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Cette campagne de 1797 ne fut pas longue. L'armistice conclu à Léoben1 entre Buonaparte et le prince Charles changea les destinées de l'armée de Condé : elle passa au service de la Russie, et se retira en Volhinie; elle étoit encore forte de plus de dix mille hommes. Mgr le duc de Berry en avoit pris le commandement pendant l'absence de Mgr le prince de Condé. Avant de quitter cette brave armée, pour se rendre à Blakembourg, il lui fit part d'une lettre de satisfaction dont le roi l'avoit chargé pour elle, et il mit à l'ordre du jour les adieux suivants :

« Après avoir été si longtemps au milieu et à la tête de la noblesse françoise, qui, toujours fidèle, toujours guidée par l'honneur, n'a pas cessé un instant de combattre pour le rétablissement de l'autel et du trône, il est bien affligeant pour moi de me séparer d'elle dans un moment surtout où elle donne une nouvelle preuve d'attachement à la cause qu'elle a embrassée, en préférant abandonner ses biens et sa patrie, plutôt que de plier jamais sa tête sous le joug républicain.

« Au milieu des peines qui m'affligent, j'éprouve une véritable consolation en voyant un souverain aussi généreux que S. M. l'empereur de Russie recueillir et recevoir le dépôt précieux de cette noblesse malheureuse, en la laissant toujours sous la conduite d'un prince que l'Europe admire, que les bons François chérissent, et qui m'a servi de guide et de père depuis trois ans que je combats sous ses ordres.

« Je vais rejoindre le roi ; je ne lui parlerai pas du zèle, de l'activité et de l'attachement dont la noblesse françoise a donné tant de preuves dans cette guerre il connoît tous ses mérites, et sait les apprécier. Je me bornerai à lui marquer le vif désir que j'ai et que j'aurai toujours de rejoindre mes braves compagnons d'armes; et je les prie d'être bien persuadés que, quelque distance qui me sépare d'eux, mon cœur leur sera éternellement attaché, et que je n'oublierai jamais les nombreux sacrifices qu'ils ont faits et les vertus héroïques dont ils ont donné tant d'exemples. >>

1. 7 juin 1797.

FIN DU LIVRE PREMIER.

LIVRE DEUXIÈME.

VIE MILITAIRE DU PRINCE JUSQU'AU LICENCIEMENT
DE L'ARMÉE DE CONDÉ.

GR

CHAPITRE PREMIER.

M LE DUC DE BERRY REJOINT L'ARMÉE DE VOLHINIE.

HOSPITALITÉ DES POLONOIS.

LE PRINCE ORGANISE LE RÉGIMENT NOBLE A CHEVAL.

Après avoir passé environ un an auprès de son père à Édimbourg et auprès du roi à Mittau, Mgr le duc de Berry vint rejoindre ses compagnons d'armes en Volhinie'; il les trouva dans la joie : cette joie étoit causée par la nouvelle du mariage, qui venoit d'être assurée, entre Mer le duc d'Angoulême et S. A. R. MADAME. Ainsi notre vieille monarchie continuoit ses destinées dans un coin du monde, tandis qu'on croyoit qu'elle n'existoit plus. Les victimes qui en gardoient les saintes lois croyoient n'avoir rien perdu tant qu'elles voyoient au milieu d'elles la famille de leurs souverains. Qui eût osé se plaindre d'un malheur que partageoit la fille de Henri IV et de Marie-Thérèse?

Mgr le duc de Berry ne se trouva point étranger en Pologne : Henri III n'y avoit-il pas régné? la fille de Stanislas n'étoit-elle pas l'aïeule du prince exilé? La France a été surnommée la mère des rois : les Bourbons trouvent des ancêtres sur tous les trônes.

Les Polonois sont les François du Nord: ils en ont la bravoure, la vivacité, l'esprit; ils parlent notre langue avec grâce. Les émigrés retrouvèrent au milieu des forêts de la Pologne de grandes dames qui leur donnèrent l'hospitalité comme au temps de la chevalerie. Ce qui ajoutoit à l'illusion étoit une certaine mollesse de l'Asie introduite dans les vieux manoirs polonois, où des femmes charmantes ont l'air d'être enfermées par des enchanteurs et des infidèles.

1. 29 octobre 1798.

C'étoit au reste une étrange fortune que celle qui reléguoit un prince victime de la politique chez un peuple bouleversé par cette même politique, qui amenoit ce prince dans un pays que des diètes tumultueuses ont perdu, comme des assemblées populaires ont perdu la France. Et que de vicissitudes dans la destinée des rois de Pologne, depuis ce Jagellon qui conquit, perdit, reprit et refusa des couronnes, jusqu'à ce Casimir d'abord jésuite, ensuite cardinal, et puis roi, lequel, après avoir proposé pour monarque aux Polonois le duc d'Enghien, fils du grand Condé, vint oublier le trône aux soupers de Ninon, et mourut abbé de Saint-Germain-des-Prés !

L'armée de Condé avoit subi une nouvelle organisation. Les cavaliers nobles, distribués auparavant en différents corps, ne formoient plus qu'un seul régiment, destiné par l'empereur Paul à Mgr le duc d'Angoulême. Mgr le duc de Berry prit le commandement de ce régiment en l'absence de son frère; il employa ses loisirs à discipliner un corps superbe, mais difficile à conduire par la nature même de sa composition. Il montra dans cette circonstance des talents qui annonçoient en lui un des meilleurs officiers de cavalerie de l'Europe.

CHAPITRE II.

L'ARMÉE DE CONDÉ SE MET EN MARCHE

POUR REJOINDRE LES TROUPES A LLIÉES. MARIAGE DE S. A. R. MADAME ET DE MGR LE DUC D'ANGOULÊME.

La Russie s'étant déterminée à secourir l'Autriche, à délivrer l'Italie et à porter la guerre en France, le corps de Condé reçut en Volhinie l'ordre de se tenir prêt à marcher. Cet ordre ranima dans le cœur des vaillants proscrits leur double passion pour les combats et pour la patrie : chacun se défit de ce qui lui restoit pour s'équiper: les lambeaux de la fidélité furent vendus pour acheter les armes de l'honneur. L'armée s'étoit formée en trois colonnes': la première commandée par Mgr le prince de Condé; la seconde par Msr le duc de Berry, et composée du régiment noble à cheval, du régiment d'infanterie de Durand et de l'artillerie; la troisième sous les ordres de Mgr le duc d'Enghien.

Tandis que ces guerriers s'avançoient vers la France dans l'espoir d'en ouvrir le chemin à leur roi, le ciel accomplissoit une partie de

1. 25 janvier 1799.

leurs vœux MADAME donnoit sa main à Mgr le duc d'Angoulême. Des témoins oculaires nous ont transmis des détails de cette pompe, qui n'a presque point été connue : nous les laisserons parler. Hélas! nous avons vu et nous raconterons les solennités d'un autre mariage! il s'étoit fait au sein de la patrie, sous des auspices bien plus favorables: Dieu avoit ses desseins sur les deux frères.

Mittau, 5 juin 1799.

« La reine arriva hier après un long et pénible voyage. Le roi se proposoit d'aller à quatre milles d'ici: il la rencontra à moitié chemin de cette distance. Leur entrevue excita tout l'intérêt que doivent inspirer deux augustes époux séparés depuis huit ans, et cherchant dans leur réunion quelque adoucissement à des malheurs inouïs.

« MADAME Thérèse est arrivée le lendemain ; le roi étoit parti de grand matin pour aller à sa rencontre. La première maison de poste étoit indiquée pour le rendez-vous; mais la princesse ayant fait la plus grande diligence, ce fut aussi sur le chemin qu'ils se rencontrèrent : nulle expression ne pourroit peindre un pareil moment. Le même sentiment fit s'élancer à la fois hors de leurs voitures le roi, Mgr le duc d'Angoulême et MADAME Thérèse. Le roi courut vers MADAME en lui tendant les bras; mais ses efforts ne purent suffire pour l'empêcher de se précipiter à ses pieds. Des larmes et des sanglots furent les premiers témoignages des sentiments profonds dont le cœur étoit rempli. Le premier tribut payé à la nature et au souvenir de tant d'infortunes fit place aux expressions de la plus tendre reconnoissance. Mgr le duc d'Angoulême, retenu par le respect, mais entraîné par mille sentiments divers, arrosoit de ses pleurs la main de sa cousine, tandis que le roi, dans la plus vive émotion et les yeux inondés de larmes, pressoit contre son sein cette princesse et lui présentoit en même temps l'époux qu'il lui donne. Ce roi si bon, si digne d'un meilleur sort, placé ainsi entre ses enfants d'adoption, éprouvoit pour la première fois qu'il peut encore exister pour lui quelques instants de bonheur.

<< Tous les François qui entourent Sa Majesté, avides de voir, de bénir, d'adorer l'auguste fille de Louis XVI, s'étoient postés en foule dans les cours et les escaliers du château. A l'instant où elle a paru, des larmes d'attendrissement couloient de tous les yeux, et l'on n'entendoit plus que des vœux adressés au ciel.

« On admire dans les traits de MADAME Thérèse, dans son maintien, dans son langage et le mouvement de sa physionomie, l'aisance, la noblesse et les grâces de Marie-Antoinette. La France, avec autant de joie que de douleur, retrouva dans sa figure les traits de l'infortuné Louis XVI, embellis par la jeunesse, la fraîcheur, la sérénité; et, par un heureux accord, qui sans doute est un don du ciel, la princesse rappelle aussi Mme Élisabeth.

1. Marie-Josèphe-Louise de Savoie, épouse de Louis XVIII.

« Les regrets universels que la cour et les habitants de toutes les classes de la ville de Vienne ont témoignés au départ de MADAME Thérèse, le respect et la vénération qu'elle inspire à tous ceux qui ont le bonheur de l'approcher sont un garant certain des sentiments d'amour dont la France entière fera hommage à cette adorable princesse.»>

Mittau, 10 juin 1799.

« Le mariage si longtemps désiré de Mer le duc d'Angoulême avec MADAME Thérèse de France s'est célébré aujourd'hui dans une grande salle du chàteau, où l'on avoit dressé un autel entouré de fleurs. Son Ém. Mer le cardinal de Montmorency, grand-aumônier de France, leur a donné la bénédiction nuptiale; le clergé catholique de Mittau assistoit à cette cérémonie. L'abbé Edgeworth étoit auprès du prie-Dieu des jeunes époux. MONSIEUR, que l'état actuel des choses retient à la proximité de France, et MADAME, à qui sa santé n'a pas permis d'entreprendre un si long voyage, n'y ont pas été présents 1. Toutes les personnes les plus considérables de la ville se sont empressées de s'y rendre, ainsi que le prêtre grec et le pasteur luthérien. Les François qui se sont trouvés à Mittau dans ce beau jour ont eu le bonheur de voir former ces liens. La famille royale avoit pour escorte ces cent gardes du corps, respectables vétérans de l'honneur et de la fidélité, à qui l'empereur de Russie a donné pour récompense de leurs longs services la fonction d'entourer leurs maîtres. MM. les ducs de Villequier, de Guiche, de Fleury, le comte de Saint-Priest (qui a reçu le contrat de mariage), le marquis de Nesle, le comte d'Avaray, le comte de Cossé, et quelques autres officiers ou serviteurs du roi ont eu l'honneur de signer comme témoins l'acte de célébration.

« Une fille de France et un petit-fils de France ne pouvant trouver qu'à six cents lieues de leur patrie un autel où il leur fût permis de déposer leurs serments; l'héritier présomptif de la couronne de Louis XVI, et les précieux restes du sang de ce monarque, unissant leurs destinées à Mittau sous les auspices de l'empereur de Russie: quel spectacle et que de réflexions il fait naitre!

« Le roi, qui trouve dans l'union de sa nièce et de son neveu tout ce que le sentiment a de plus doux réuni à ce que la politique peut avoir de plus important, jouit maintenant de son ouvrage, en y reconnoissant une nouvelle marque de l'amitié du digne successeur de Pierre le Grand. Ce magnanime souverain signera le contrat de mariage, et en recevra le dépôt dans les archives de son sénat 2. >>

Ainsi s'accomplit dans une terre étrangère, au milieu des religions étrangères, le mariage dont un des témoins fut le prêtre étranger qui

1. Le comte d'Artois et la comtesse d'Artois.

2. Corresp. manusc. et of. de M. le comte de Saint-Priest avec le chevalier de Vernègues.

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