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pareille proposition; mais que ce qu'il avoit de mieux à faire étoit de repartir tout de suite, attendu que s'il étoit arrêté, je ne le réclamerois pas, et que je ne le pourrois qu'en disant ce qu'il est venu faire.>> Voilà les princes que l'on avoit proscrits! Ces nouveaux Fabricius ne font point étalage de leur générosité auprès du nouveau Pyrrhus : ils ne l'avertissent point qu'on le veut tuer; ils se contentent de chasser l'assassin et de faire ainsi avorter son crime: leurs vertus sont pour Dieu, et non pour les hommes. On les ignoreroit encore, ces vertus, sans des lettres que le hasard a conservées, et qui viennent longtemps après les découvrir. Et qui repousse le premier l'idée d'un assassinat sur Buonaparte? Le grand-père du duc d'Enghien!

CHAPITRE VI.

DÉPART DE MGR LE DUC DE BERRY POUR JERSEY.
SÉJOUR DU PRINCE DANS CETTE ILE.

Enfin, après vingt-deux ans de combats, la barrière d'airain qui fermoit la France fut forcée : l'heure de la restauration approchoit ; nos princes quittèrent leurs retraites. Chacun d'eux se rendit sur différents points des frontières, comme ces voyageurs qui cherchent, au péril de leur vie, à pénétrer dans un pays dont on raconte des merveilles. MONSIEUR partit pour la Suisse, Mgr le duc d'Angoulême pour l'Espagne, et son frère pour Jersey. Dans cette île, où quelques juges de Charles Ier moururent ignorés de la terre, Mgr le duc de Berry retrouva des royalistes françois, vieillis dans l'exil et oubliés pour leurs vertus, comme jadis les régicides anglois pour leurs crimes. Il rencontra de vieux prêtres, désormais consacrés à la solitude; il réalisa avec eux la fiction du poëte qui fait aborder un Bourbon dans l'île de Jersey après un orage. Tel confesseur et martyr pouvoit dire à l'héritier de Henri IV, comme l'ermite à ce grand roi :

Loin de la cour alors, dans cette grotte obscure,

De ma religion je vins pleurer l'injure.

(Henriade.)

Mer le duc de Berry passa quelques mois à Jersey; la mer, les vents, la politique, l'y enchaînèrent. Tout s'opposoit à son impatience; il se vit au moment de renoncer à son entreprise et de s'embarquer pour Bordeaux. Une lettre de lui nous retrace vivement ses occupations sur son rocher :

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MÉMOIRES SUR LE DUC DE BERRY.

8 février 1814.

<< Que direz-vous, madame, de la liberté que je prends de vous écrire, et de me charger de répondre à une lettre qui ne m'est pas adressée? Mais le tendre et touchant intérêt que vous voulez bien m'y marquer est mon excuse. Je comptois bien vous écrire, mais du sol de ma patrie, de cette terre chérie que je vois tous les jours sans pouvoir y atteindre; enfin, je voulois écrire à la veuve du grand Moreau, si digne de lui, sur le chemin qu'il auroit déjà aplani devant nous si le sort ne nous l'avoit enlevé.

<< Me voici donc comme Tantale, en vue de cette malheureuse France qui a tant de peine à briser ses fers, et les vents, le mauvais temps, la marée, tout vient arrêter les courageux efforts des braves qui vont courir des dangers qu'on ne me permet pas encore de partager. Vous, dont l'âme est si belle, si françoise, jugez de tout ce que j'éprouve; combien il m'en coûteroit de m'éloigner de ces rivages qu'il ne me faudroit que deux heures pour atteindre! Quand le soleil les éclaire, je monte sur les plus hauts rochers, et, ma lunette à la main, je suis toute la côte, je vois les rochers de Coutances. Mon imagination s'exalte; je me vois sautant à terre, entouré de François, cocardes blanches aux chapeaux; j'entends le cri de vive le roi ! ce cri que jamais François n'a entendu de sang-froid; la plus belle femme de la province me ceint d'une écharpe blanche, car l'amour et la gloire vont toujours ensemble. Nous marchons sur Cherbourg : quelque vilain fort, avec une garnison d'étrangers, veut se défendre nous l'emportons d'assaut, et un vaisseau part pour aller chercher le roi, avec le pavillon blanc qui rappelle les jours de gloire et de bonheur de la France. Ah, Madame! quand on n'est qu'à quelques heures de l'accomplissement d'un rêve si probable, peut-on penserà s'éloigner? Pardonnez toutes ces folies, madame; croyez que les sentimentsque vous m'avez inspirés sont aussi durables que ma vie. Veuillez me donner une petite part dans votre amitié, et recevoir l'hommage de mon tendre et respectueux attachement. »

Cette lettre charmante n'est écrite ni à des émigrés, ni à un compagnon d'infortune du prince. Les sentiments françois y sont-ils moins vifs? Pouvoit-on ne pas adorer un pareil prince? Mgr le duc de Berry arriva à Jersey, grandeur évanouie, couronne tombée! Toutefois ce fils de France avoit en lui quelque chose de si singulièrement propre à se faire aimer, que les habitants de Jersey ont parlé d'élever un monument en l'honneur du proscrit étranger que nos tempêtes avoient jeté dans leur île.

Les destinées de Buonaparte s'accomplirent. Ses droits eurent l'inconstance de la victoire : fidèle, elle les avoit donnés, elle les retira infidèle son favori tomba au milieu de ses gardes, et la France alla chercher dans sa retraite le vrai roi, qui devoit supporter la prospé rité comme il avoit supporté le malheur.

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FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

DEUXIÈME PARTIE.

VIE ET MORT DE MGR LE DUC DE BERRY EN FRANCE.

LIVRE PREMIER.

PREMIÈRE ET DEUXIÈME RESTAURATION.

CORRESPONDANCE DE MOR ET DE MME LA DUCHESSE DE BERRY. LEUR MARIAGE. VIE PRIVÉE DU PRINCE.

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ARRIVÉE DE MGR LE DUC DE BERRY EN FRANCE.

VOYAGE DE CHERBOURG A PARIS.

A peine le pavillon blanc arboré à Cherbourg'avoit-il flotté dans les airs, que ce signal de paix en appela un autre. On aperçut en mer une frégate ayant aussi pavillon blanc; c'étoit la frégate L'Eurotas, qui conduisoit à Caen Mgr le duc de Berry: mais ce prince, ayant découvert dans la rade de Cherbourg le drapeau sans tache, fit tourner la proue vers la première terre de France. La ville de Cherbourg avoit envoyé une députation à Jersey, afin de prier Mgr le duc de Berry de vouloir bien débarquer dans son port: le vaisseau chargé de cette députation ne rencontra pas en mer L'Eurotas. Les habitants et la garnison de Jersey s'étoient distingués par les marques de respect et d'amour qu'ils avoient données au fils de France à son départ de leur île, dix-huit cents coups de canon saluèrent le vaisseau qui portoit le prince dans sa patrie.

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Le préfet maritime et les principales autorités de Cherbourg s'avancèrent en mer au-devant de L'Eurotas. Mgr le duc de Berry les reçut

1. 1814.

sur son bord. L'Eurotas entra dans la rade au bruit des salves d'artillerie et au milieu des navires pavoisés. Le prince, descendu de la frégate angloise, passa à bord du vaisseau-amiral françois, qui recommença le salut militaire. Ensuite la chaloupe de l'amiral conduisit Ma le duc de Berry au fond du port royal. Elle étoit suivie d'une multitude d'autres chaloupes et de petits bâtiments qui portoient, avec la suite du prince, les premières autorités et les habitants les plus distingués de la ville. Les quais étoient couverts d'une foule immense qui faisoit retentir l'air des plus vives acclamations. Le duc de Berry sauta à terre en criant: France! La révolution vient de répondre à ce cri

Ma le duc de Berry étoit accompagné des comtes de La Ferronnays, de Nantouillet, de Mesnard et de Clermont-Lodève. Le soir, la ville fut illuminée Louis XVI avoit été reçu dans ce même port, créé par lui, avec les mêmes témoignages d'allégresse. Pour répondre aux transports de la joie publique, Mgr le duc de Berry fit relâcher six cents conscrits réfractaires, remettre au capitaine de la frégate angloise des prisonniers de sa nation. C'est ainsi qu'il délivra à Caen d'autres prisonniers françois et espagnols : tout devenoit libre sur le passage d'un Bourbon.

Parti de Cherbourg, le prince s'arrêta quelques instants à Valognes et à Saint-Lô. Il fut complimenté auprès de Bayeux par le préfet du Calvados. Ces villes croyoient revoir le bon connétable qui les fit rentrer autrefois sous l'autorité paternelle du sage Charles V. A Bayeux, un militaire se présente au prince, et lui dit : « Monseigneur me reconnoît-il? » C'étoit un soldat de l'armée de Condé. « Si je vous reconnois!» répondit vivement le prince en s'approchant de lui et écartant ses cheveux. « Vous devez avoir au front la cicatrice d'une blessure que je vous ai vu recevoir à Walden. » Honneur au prince qui lit si bien sur le front le nom de ses serviteurs!

Un régiment dont l'esprit n'étoit pas encore changé passoit dans les environs de Bayeux. On conseilloit à Ms le duc de Berry de l'éviter. Ce fut au contraire pour le prince une raison de marcher au-devant de ces troupes. Il se présente aux soldats. « Vous êtes, leur dit-il, le premier régiment françois que je rencontre. Je viens au nom du roi recevoir votre serment de fidélité. » Les soldats crient: Vive l'empereur ! « Ce n'est rien, dit le prince avec un sang-froid admirable; c'est le reste d'une vieille habitude. » Il tire son épée, et crie Vive le roi! Les soldats françois aiment le courage; ils répètent aussitôt : Vive le roi!

Le prince fut reçu à Caen avec des démonstrations de joie extraordinaires. Il assista au spectacle on lui présenta sur le théâtre,

après la pièce, les prisonniers qu'il avoit fait mettre en liberté. Ainsi, la première fois que Mer le duc de Berry parut dans nos jeux publics, ce fut pour essuyer les larmes de quelques François, et la dernière fois pour y répandre son sang.

Le prince rencontra à Lizieux le brave général Bordesoulle à la tête de la cavalerie du premier corps de l'armée. A Rouen, il eut encore l'occasion d'admirer les débris de ces vieilles troupes échappées à tant de combats, et qui sembloient plutôt succomber sous le poids des victoires que sous celui des revers. Mgr le duc de Berry s'avançoit vers Paris entre deux haies de drapeaux blancs flottant sur les remparts et sur les clochers, aux portes des villes, aux fenêtres des châteaux, des maisons et des chaumières. Partout les rues étoient sablées, les murs ornés de tapisseries, de guirlandes et de fleurs de lis d'or; partout les choches sonnoient, les canons tiroient; les Te Deum étoient chantés, les cris de vive le roi! vivent les Bourbons! se faisoient entendre. Le prince objet de tant d'amour traversoit avec ravissement ces riches campagnes, ce beau pays de France, cette terre natale qui lui étoit plus inconnue que la terre de l'exil. Environné, pressé, porté par la foule, il disoit les larmes d'attendrissement dans. les yeux : « Je n'en puis plus; j'en mourrai peut-être; mais je mourrai de joie. » Est-ce de joie qu'il est mort?

Un détachement de gardes à cheval attendoit Mer le duc de Berry au delà de Saint-Denis. Hélas! nous l'avons vu dernièrement passer sur ce chemin dans une tout autre pompe! Le corps municipal, les maréchaux et les généraux le complimentèrent à la barrière. MONSIEUR attendoit son fils au château des Tuileries, et le reçut dans ses bras. Tout étoit nouveau pour le jeune prince: Paris, ses jardins, ses monuments; et parmi tant de François cet étranger de notre façon ne connoissoit que son père.

CHAPITRE II.

LE ROI A COMPIÈGNE.

Cependant Louis XVIII, débarqué à Calais, approchoit de Compiègne : on se rendit en foule à cette résidence. Les François, comme du temps de la Ligue, étoient affamés de voir un roi; des courriers se succédoient d'heure en heure. Tout à coup on bat aux champs; une voiture attelée de six chevaux entre dans la cour du château de Compiègne. Elle s'arrête, on l'environne; on en voit descendre non le roi, mais

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