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es trop vieux pour travailler, lui disoit-il brusquement, va-t'en. » Le cocher, non moins déterminé à rester, déclaroit qu'il avoit une nombreuse famille, et qu'il falloit qu'il travaillât. « Et que ne disois-tu cela plus tôt? s'écrie le prince : c'est une autre affaire. J'augmente de 1,200 francs ta pension de retraite; mais, bon homme, je t'en prie, repose-toi. >>

Depuis quelque temps le prince entendoit toute sa maison retentir du nom d'un certain Joseph, qu'on ne cessoit d'appeler dans les jardins, les cours, les vestibules. Il ordonne qu'on lui amène cet homme, qu'il ne connoissoit pas. «Eh bien, Joseph! lui dit-il, c'est donc toi qui mènes ma maison? Tu me parois faire la besogne de tout le monde. Es-tu marié? as-tu des enfants?» Joseph, tremblant, répond: « Oui, monseigneur. » Les gages de Joseph furent doublés.

Aubry étoit le premier piqueur du prince, souvent loué, souvent grondé, suivant la fortune de la chasse. Un rendez-vous est donné à Compiègne. Aubry reçoit l'ordre de s'y trouver à huit heures précises du matin. Le prince, arrivé plus tôt, ouvre la chasse à sept heures et demie. Aubry, exact à huit heures, entend la chasse au loin dans la forêt. A midi, Mgr le duc de Berry rentre fatigué, le cerf égaré, les chiens en défaut. Il demande Aubry avec les marques de la plus vive impatience. On trouve Aubry qui se cachoit : on l'amène tout interdit devant Monseigneur. « Aubry, s'écrie le prince, quelle est la punition des gens qui ne sont pas exacts? » Aubry ne peut répondre. « Tu ne le sais pas? dit le prince: eh bien, moi, je le sais : c'est de payer une amende, et je la paye. » Il lui remet une somme pour ses enfants.

Il n'oublioit jamais les services qu'on lui avoit rendus. Sa reconnoissance alla chercher jusqu'en Amérique M. de Provenchère, son premier valet de chambre, que l'âge et les infirmités retenoient aux États-Unis. Par une rare délicatesse, Mgr le duc de Berry nomma pour son trésorier ce vieux serviteur; et c'est à ce titre qu'il recevoit une pension, quoique le prince n'eût jamais ni trésor ni cassette.

CHAPITRE XII.

SUITE DE LA VIE PRIVÉE. CHARITÉ DU PRINCE.

Les bontés de Mgr le duc de Berry ne se renfermèrent pas dans sa maison. Dans toutes les parties de la France, il découvroit les misérables: son nom, comme celui de la charité même, se trouvoit mêlé à

toutes les œuvres de miséricorde ce caractère est particulier à nos rois. Il nous reste des ordonnances qui prescrivent, dans les temps les plus désastreux, l'acquittement des aumônes avant les assignations, ou qui commandent de surseoir au payement de toutes dettes, à l'exception des aumônes, exceptis eleemosynis'. Chaque soir on remettoit à Mgr le duc de Berry une feuille contenant l'analyse des pétitions qui lui étoient présentées dans le courant du jour; et selon les renseignements obtenus il faisoit droit à ces pétitions.

Il prenoit sur ses goûts pour satisfaire sa générosité. C'est ainsi qu'il renonça à l'achat de quelques tableaux qu'on proposoit de lui vendre à Anvers. « J'ai réfléchi à votre proposition, écrivoit-il à M. Despalières, et j'ajourne l'emplette. Dans un temps où mes pauvres appellent ma sollicitude, je me reprocherois d'acheter si cher un plaisir dont je puis me passer. » Une autre fois, il disoit au maire de son arrondissement : « Quand vos pauvres auront besoin de moi, ne m'épargnez pas. >>

Il donnoit à la société de bienfaisance, dont il étoit président, un secours de 500 francs par mois; et dans l'année 1816 il versa à la caisse de cette société la somme de 11,000 francs comme don extraordinaire. A la mort de Mgr le prince de Condé, il remplaça son général dans la présidence de l'Association paternelle des chevaliers de SaintLouis c'étoit un droit. On a déjà dit que, par un testament fait en Angleterre, le prince de Condé avoit légué le soin de ses compagnons d'armes à celui qui avoit partagé leurs périls. En apprenant la mort du héros de Berstheim, Mgr le duc de Berry laissa échapper ces paroles, qui disent tout: « Nous avons perdu notre vieux drapeau blanc. »

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Les charités connues de Mgr le duc de Berry se montoient à plus de 100,000 écus par an, et beaucoup d'autres étoient cachées. Mme la duchesse de Berry secondoit merveilleusement le penchant généreux du prince. On a calculé que leurs aumônes réunies, dans l'espace de six ans, se sont élevées à 1,388,851 francs, somme énorme pour un prince dont le revenu étoit au-dessous de celui de plusieurs généraux, banquiers et propriétaires. Il faut ajouter à ce million 388,851 francs les 500,000 francs que Mgr le duc de Berry abandonnoit par an aux départements qui avoient le plus souffert de la guerre; ce qui fait deux millions dans le cours de quatre années en tout près de quatre millions d'aumônes.

Tous ces dons étoient accompagnés de soins qui en doubloient le prix. Le prince et la princesse, suivant le précepte de l'Évangile, visi

1. Ordonn. des rois de France, t. II, p. 300-447.

toient les malheureux auxquels ils accordoient des secours : quelquefois ils se cachoient mutuellement leurs bonnes œuvres. Comme ils sortoient un jour ensemble, une pauvre femme se présente à eux avec ses enfants. La plus jeune des filles de cette femme s'approche naïvement de la princesse. « Je m'en suis chargée, » dit Mme la duchesse de Berry en rougissant. «Bien, répondit le prince ; j'aime à vous voir augmenter notre famille. »

CHAPITRE XIII.

SUITE DE LA VIE PRIVÉE. DIVERSES AVENTURES.

L'humanité suit la charité, ou plutôt elle en fait partie. Le cheval d'un des dragons de la garde, qui accompagnoient le roi dans une promenade, s'abattit : le dragon eut la jambe cassée. Mgr le duc et Me la duchesse de Berry le rencontrèrent; ils descendirent de voiture, y firent placer le blessé, ordonnèrent qu'on le conduisit à l'Élysée pour être soigné jusqu'à parfaite guérison, et s'en retournèrent à pied par un soleil ardent. C'étoit le même prince qui, souvent manquant de tout, n'avoit pas trouvé une main pour le secourir.

MONSIEUR avoit donné à son jeune fils cette chaumière de Bagatelle, qui fit tant parler au commencement de la révolution, et dont le dernier commis de Buonaparte auroit dédaigné les jardins et l'ameublement. Mgr le duc de Berry aimoit cette petite retraite où il nourrissoit les pauvres des environs. Il y alloit souvent le matin dans la belle saison. Un jour, traversant le bois de Boulogne, il rencontre un enfant chargé d'un panier. Le prince arrête son cabriolet : « Petit bonhomme, où vas-tu?»> dit-il à l'enfant. « A la Muette, porter ce panier, » répond celui-ci. « Il est trop lourd pour toi, ce panier, dit le prince: donnele-moi, je le remettrai en passant. » Le panier est placé dans le cabriolet, et le prince le dépose fidèlement à son adresse. Il va trouver ensuite le père de l'enfant, et lui dit : « J'ai rencontré votre petit garçon; vous lui faites porter des paniers trop lourds; vous détruirez sa santé et vous l'empêcherez de grandir. Achetez-lui un âne pour porter son panier. » Et il lui donna l'argent pour acheter l'âne.

Qu'un grand monarque, qu'un homme célèbre se mêlent inconnus à la foule, on aime à les y chercher; mais pourtant rien de plus facile que les vertus de position qu'ils déploient dans ces aventures : l'orgueil humain s'arrange de descendre pour remonter. Ce n'est point ce plaisir des contrastes qu'on éprouve en lisant la vie privée de Mgr le

duc de Berry. Il n'étoit point roi; il n'avoit point encore cet éclat de gloire que la mort lui a donné : accoutumé à l'obscurité, ce n'étoit point une chose nouvelle pour lui de se trouver au milieu des rangs inférieurs de la société. Ce qui fait donc le charme des mots et des actions dont il remplissoit ses journées, c'est la supériorité même de sa nature on aime et l'on admire l'homme dans le prince, indépendamment de la scène qui le fait connoître.

CHAPITRE XIV.

SUITE DES AVENTURES.

Par une matinée du mois de juin, qui sembloit devoir être belle, Mer le duc de Berry et Mme la duchesse de Berry allèrent se promener à pied sur le boulevard: survient un orage. Un jeune homme passe avec un parapluie; le prince le prie de le lui prêter pour sa femme. « Volontiers, dit le jeune homme; Madame me permettra-t-elle de l'accompagner?»« Très-certainement, » dit le prince. Et le voilà qui marche auprès de la princesse avec l'étranger. Le chemir étoit long; le jeune homme disoit souvent : « Est-ce ici? »> - «Encore quelques pas,» répondoit le prince. On approche de l'Élysée-Bourbon; la garde reconnoît LL. AA. RR. et prend les armes. Le jeune homme, dans la dernière confusion, balbutie des excuses: Mgr le duc de Berry le rassure et le remercie.

Dans une autre course avec Mme la duchesse de Berry, il fut obligé de se réfugier dans la loge d'une portière qui eut lieu de remercier le ciel de lui avoir envoyé de pareils hôtes.

Lorsqu'on transporta au Pont-Neuf la statue de Henri IV, un accident arrêta l'appareil dans l'avenue de Marigny. Msr le duc de Berry, qui se trouvoit sur la terrasse de son jardin, le long de cette avenue, aperçut MONSIEUR et Mer le duc d'Angoulême, au milieu du peuple, dans leur voiture: il descend tête nue, en habit bleu, et sans ordres. La foule, qui ne le connoissoit pas, ne vouloit pas le laisser passer. Par hasard, quelqu'un le nomme. Aussitôt la multitude ouvre ses rangs, et le prince passe en disant : « Je vous demande pardon, mes amis c'est mon père et mon frère qui m'appellent. » Le peuple fut charmé de cette simplicité et de cette confiance. Ce prince étoit au milieu des François sous la protection publique, comme ces riches moissons qui reposent dans nos champs sans gardes et sans défen

seurs.

Il alloit souvent aux incendies, travailloit, portoit de l'eau, et ne se retiroit que le dernier : il se trouvoit ainsi continuellement mêlé aux aventures populaires. Il revenoit avec un aide de camp d'une de ses promenades accoutumées, lorsque remontant le long du quai au charbon, il aperçoit des charbonniers qui retenoient un de leurs camarades: celui-ci faisoit des efforts pour se débarrasser et se jeter dans la Seine. Le prince approche, entre en conversation, et apprend que le charbonnier qui veut se noyer est un père de famille, livré au désespoir par la perte d'une somme de 400 francs. Le prince fend la foule, arrive à l'homme, emploie tous les raisonnements, et obtient de lui avec beaucoup de peine qu'il différera l'exécution de son dessein de quelques moments. Le traité conclu, Monseigneur confie le charbonnier à la garde de ses camarades; l'aide de camp court au palais et apporte les 400 francs. Les charbonniers apprirent alors que l'inconnu avec lequel ils avoient causé si familièrement étoit le neveu du roi. Ces braves gens, qui ne pouvoient rien pour leur bienfaiteur pendant sa vie, ont fait éclater leur reconnoissance à sa mort : ils ont accompagné à sa dernière demeure le prince dont ils n'ont pu sauver les jours, comme il avoit sauvé ceux de leur infortuné camarade.

Les artistes avoient leur bonne part des visites de Mgr le duc de Berry. Il tomboit tout à coup dans l'atelier de nos grands peintres, comme François Ier chez Léonard de Vinci : il y passoit des heures entières à les voir travailler, mêlant à sa vive admiration d'utiles et savantes critiques. Si aucune remarque fine n'échappoit à la délicatesse de son goût, aucun sentiment élevé n'étoit étranger à la noblesse de son cœur. Il apprit que les restes du château de Bayard étoient à vendre; il désira les acquérir, mais sous la condition que le contrat ne seroit pas fait en son nom. Après la chute et le rétablissement de la monarchie, un fils de France, traitant pour acheter en secret les débris du manoir du plus parfait des chevaliers, est une chose qui peint à la fois et le prince et le siècle. Il y a des temps où il n'est permis ni d'honorer des ruines ni d'être sans reproche.

Les personnes les moins bienveillantes pour le prince étoient désarmées aussitôt qu'elles l'avoient vu : il ne sortoit pas d'un musée, d'un atelier, d'une manufacture, sans y laisser un ami ses moyens de succès étoient tirés de sa propre nature. Apercevoit-il un enfant, il couroit à lui, le prenoit dans ses bras, le caressoit, l'embrassoit : voilà le père et la mère séduits. Lui présentoit-on un objet d'art, il l'examinoit curieusement : voilà le savant ou l'artiste charmé. Enfin il suivoit envers tout le monde, par bonhomie, le conseil de Nestor, qui recommande d'appeler chaque soldat par son nom, afin de lui prouver qu'on

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