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survint. La jeune princesse se précipita sur son mari, et dans un instant ses habits de fête furent couverts de sang.

L'assassin, déjà arrêté par un garçon de café, nommé Paulmier, par le factionnaire Desbiez, chasseur au 4o régiment de la garde royale, et ensuite par les sieurs David, Lavigne et Boland, gendarmes, avoit été amené à la porte où il avoit commis son crime. Les soldats l'entouroient: il étoit à craindre qu'ils ne le massacrassent. M. le comte de Mesnard leur cria de ne pas le toucher. M. le comte de Clermont donna l'ordre de le conduire au corps de garde, et l'y suivit. On le . fouilla on trouva sur lui un autre poignard avec sa gaîne et la gaîne du poignard laissé dans la blessure. Ces objets furent donnés à M. le

· comte de Clermont, qui les remit à M. le comte de Mesnard.

CHAPITRE II.

PREMIER PANSEMENT DU PRINCE.

Tandis que Mgr le duc de Berry étoit assis sur le banc dans le passage, M. le comte de Choiseul, un valet de pied, un ouvreur de loges, avoient couru pour chercher un médecin. On leur avoit indiqué le docteur Blancheton: il demeuroit dans le voisinage, et vint à l'instant même. M. Drogard, médecin, l'avoit précédé. Ces deux hommes de l'art trouvèrent Mgr le duc de Berry dans le petit salon de sa loge où il avoit été porté. En entrant dans ce salon, le prince, qui avoit repris sa connoissance, demanda si le coupable étoit un étranger. On lui répondit que non. « Il est cruel, dit le fils de France, de mourir de la main d'un François! >>

Mme la duchesse de Berry s'adressa au docteur Blancheton pour connoître la vérité, promettant de la supporter avec courage : il répondit que le prince n'ayant pas rendu le sang par la bouche, c'étoit un favorable augure. M. Blancheton crut d'abord que la plaie étoit au basventre, où il trouva une grande quantité de sang épanché; mais il reconnut bientôt qu'elle étoit au-dessous du sein droit. Il la dégagea de sang caillé le prince fut saigné au bras droit par M. Drogard. Monseigneur recouvra alors assez de force pour dire aux deux médecins « Je suis bien sensible à vos soins, mais ils sont inutiles; je suis perdu. » M. Blancheton essaya de lui persuader que la blessure n'étoit pas profonde. « Je ne me fais pas illusion, repartit le prince; le poignard est entré jusqu'à la garde, je puis vous l'assurer. » Mme la

:

duchesse de Berry arracha sa ceinture pour servir de bandage et d'appareil. Elle seule avoit conservé sa présence d'esprit dans ce moment affreux, et déployoit un caractère au-dessus des âmes communes. Le prince, dont la vue s'obscurcissoit, disoit de temps en temps: « Ma femme, êtes-vous là? - Oui, répondoit la princesse en essuyant ses pleurs; oui, je suis là; je ne vous quitterai jamais. »

M. Bougon, premier chirurgien ordinaire de MoNSIEUR, instruit du malheur par M. Esquirolle, médecin de la Salpêtrière, se rendit en hâte auprès de Mgr le duc de Berry : le docteur Lacroix venoit d'arriver de son côté. Le prince reconnut M. Bougon, qui l'avoit suivi à Gand et qui avoit espéré lui donner ses soins sur un autre champ de bataille. « Mon cher Bougon, lui dit-il, je suis frappé à mort. » En attendant l'application des ventouses, le dévoué serviteur d'un si bon maître suça la blessure à diverses reprises. «Que faites-vous, mon ami! dit le royal patient; la plaie est peut-être empoisonnée ! »

CHAPITRE III.

ARRIVÉE DE MR L'ÉVÊQUE DE CHARTRES,

DE MAR LE DUG D'ANGOULÈME, DE MADAME ET DE MONSIEUR.

SECOND PANSEMENT DE LA BLESSURE.

Monseigneur le duc de Berry n'avoit cessé de demander un prêtre. M. le comte de Clermont étoit parti pour les Tuileries, d'où il ramena Mgr l'évêque de Chartres, confident d'une conscience qui n'a rien à cacher à la terre. Le prélat, accoutumé à admirer le père, venoit s'instruire auprès du fils. Il trouva le prince dans le cabinet de sa loge, assis dans un fauteuil, soutenu par ses gens et entouré de chirurgiens; il avoit toute sa connoissance. Le blessé tendit la main au respectable évêque, demanda les secours de la religion, en exprimant les plus vifs sentiments de foi, de repentir et de résignation. Mgr l'évêque de Chartres exhorta Mgr le duc de Berry à la confiance en Dieu : il lui demanda un acte général de contrition, afin de pouvoir l'absoudre, calmer ses inquiétudes et attendre le moment où il seroit possible à S. A. R. de faire une confession plus détaillée.

M. le comte de Mesnard, se flattant encore que la blessure n'étoit pas mortelle, étoit allé chercher Mr le duc d'Angoulême. Ce prince, qui venoit de se coucher, s'habilla à la hâte, et se rendit au lieu de douleur. L'entrevue des deux frères ne peut s'exprimer. Mer le duc d'Angoulême se jeta sur la plaie de Msr le duc de Berry, en la baisant

et en l'inondant de ses larmes; ses sanglots l'étouffoient : son malheureux frère étoit également incapable de parler.

Tout ceci se passoit dans le petit salon de la loge. On résolut alors de porter le prince dans une pièce voisine, où l'on établit une espèce de lit sur quatre chaises, que l'on remplaça par un lit de sangle.

Mgr le duc d'Angoulême, craignant quelque nouveau danger, n'avoit pas permis à MADAME de l'accompagner lorsqu'il s'étoit rendu à l'Opéra ; mais MADAME n'avoit pas tardé à le suivre. Que lui importent les périls? Est-il une douleur qui puisse se passer d'elle, une adversité qui l'ait jamais fait reculer? MADAME est accoutumée à regarder la révolution en face ce n'étoit pas la première fois que la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette prenoit soin d'un frère mourant.

Bientôt MONSIEUR arrive. Il faut connoître la bonté, la tendresse, le cœur paternel de ce prince pour savoir ce qu'il eut à souffrir. MONSIEUR s'étoit obstiné à venir seul; mais il ne savoit pas qu'un de ses meilleurs serviteurs, M. le duc de Maillé, avoit trouvé moyen de l'accompagner et de faire la place de l'honneur de la place la moins honorée. Mgr le duc de Berry témoigna le désir de donner sa bénédiction à MADEMOISELLE; elle lui fut apportée par Mme la vicomtesse de Gontaut. Alors le prince, levant une main défaillante sur sa fille : « Pauvre enfant, lui dit-il, je souhaite que tu sois moins malheureuse que ceux de ma famille. » Mgr le duc d'Orléans, Mme la duchesse d'Orléans, Mlle d'Orléans, qui s'étoient rencontrés au spectacle, n'avoient pas quitté le prince : le père du duc d'Enghien arriva à son tour.

On tenta les saignées de pied presque sans succès; mais plusieurs applications successives des ventouses apportèrent quelque soulagement au prince. Le pouls se ranima, le visage se colora, le sang coula par les veines ouvertes : l'on se réjouit de voir couler ce sang!

M. le duc de Maillé et M. le comte d'Audenarde étoient allés chercher M. Dupuytren. Ce célèbre chirurgien arriva à une heure quand il entra, il trouva le prince couché sur le côté droit sa pâleur, ses traits altérés, sa respiration courte, le gémissement qui s'échappoit de sa poitrine, la sueur froide qui couvroit son front, le désordre de ses mouvements, le bouleversement de son lit, le sang qui inondoit ce lit, et, plus que tout cela, l'horrible blessure qui se présentoit à découvert, frappèrent de consternation un homme pourtant accoutumé aux spectacles des douleurs humaines. Le prince ne reconnoissoit point M. Dupuytren: il lui tendit affectueusement la main, en lui disant qu'il souffroit cruellement. M. Dupuytren examina la blessure, puis se retira à l'écart pour consulter avec les hommes de l'art, MM. Blancheton, Drogard, Bougon, Lacroix, Thercin, Caseneuve, Dubois, Baron,

Roux et Fournier, jeune chirurgien qui se fit distinguer par son zèle. On fut d'avis d'élargir la plaie, comme le seul moyen qui restât d'ouvrir une issue au sang épanché dans la poitrine.

M. Dupuytren se rapprocha du prince et l'interrogea sur son état ; il ne put en obtenir de réponse. Il pria Mme la duchesse de Berry de lui adresser quelques questions. La princesse se penchant, sur lui, dit à son mari : « Je vous en prie, mon ami, indiquez-moi l'endroit où vous souffrez. » Le prince se ranima à cette voix si chère, prit la main de sa femme et la posa sur sa poitrine. Mme la duchesse de Berry reprit : « C'est là que vous souffrez ! » — « Oui, répondit-il avec peine : j'étouffe. »

MONSIEUR voulut éloigner sa fille pendant l'opération. « Mon père, dit-elle, ne me forcez pas à vous désobéir; » et, se tournant vers les gens de l'art « Messieurs, faites votre devoir. » Pendant l'opération elle étoit à genoux au bord du lit, tenant le prince par la main gauche. Lorsqu'on porta le fer dans la plaie, Mgr le duc de Berry s'écria: <«< Laissez-moi, puisque je dois mourir. » — «Mon ami, dit sa femme en pleurs, souffrez pour l'amour de moi!» Un mot de cette jeune et admirable princesse apaisoit les douleurs de son mari; quand Mgr l'évêque de Chartres parloit de religion, tout se changeoit dans le malheureux prince en acte de résignation à la volonté de Dieu.

L'opération faite, Mgr le duc de Berry passa la main sur les cheveux de la princesse et lui dit : « Ma pauvre femme, que vous êtes malheureuse! » On reconnut dans l'opération toute la profondeur de la plaie. Le couteau dont le prince avoit été frappé avoit six à sept pouces de longueur, la lame en étoit plate, étroite, à deux tranchants, comme celle du couteau de Ravaillac, et extrêmement aiguë.

CHAPITRE IV.

DIVERSES PAROLES DU PRINCE.

IL ANNONCE LA GROSSESSE DE MME LA DUCHESSE DE BERRY. LE PRINCE AVOUE UNE FAUTE.

Un moment de calme suivit l'élargissement de la plaie : les mourants près d'expirer éprouvent presque toujours un soulagement qui leur laisse le temps de jeter un dernier regard sur la vie; c'est le voyageur qui s'assied un instant pour contempler le pays qu'il a parcouru, avant de descendre le revers de la montagne. Le prince tenoit

la main de M. Dupuytren, et le prioit de l'avertir lorsqu'il sentiroit le pouls remonter ou s'affaisser vigilant capitaine, il posoit une sentinelle expérimentée pour n'être pas surpris par la mort, et pour s'avancer courageusement au-devant de ce grand ennemi : Mors, ubi est victoria tua?

Dans cet intervalle de repos il adressa ces paroles à Mme la duchesse de Berry : « Mon amie, ne vous laissez pas accabler par la douleur; ménagez-vous pour l'enfant que vous portez dans votre sein. » Ce peu de mots fit un effet surprenant sur l'assemblée en présence de la douleur on sent naître malgré soi un mouvement de joie : l'attendrissement redouble en même temps pour le prince qui laisse à la patrie, pour dernier bienfait, cette dernière espérance. Il s'en va, ce prince; il semble emporter avec lui toute une monarchie, et à l'instant même il en annonce une autre. O Dieu! feriez-vous sortir notre salut de notre perte même? La mort cruelle d'un fils de France a-t-elle été résolue dans votre colère ou dans votre miséricorde? est-elle une dernière restauration du trône légitime, ou la chute de l'empire de Clovis? Le prince a-t-il fui l'avenir, ou est-il allé en solliciter un plus favorable pour nous auprès de celui qui laisse quelquefois désarmer sa colère?

Partout où M le duc de Berry tournoit ses yeux à demi éteints, c'étoit pour donner une marque de bonté ou de reconnoissance : tandis que M. Blancheton lui pressoit la tête pour comprimer l'horrible douleur qu'il y éprouvoit, il aperçut à quelque distance, au pied de son lit, des domestiques fondant en larmes : « Mon père, dit-il à MONSIEUR, je vous recommande ces braves gens et toute ma maison. »>

Des vomissements survinrent. Le prince répéta plusieurs fois que le poignard étoit empoisonné. Quelque temps auparavant il avoit demandé à voir son assassin : « Qu'ai-je fait à cet homme? répé toit-il; c'est peut-être un homme que j'ai offensé sans le vouloir. »> — « Non, mon fils, lui répondit MONSIEUR: Vous n'avez jamais vu, vous n'avez jamais offensé cet homme; il n'avoit contre vous aucune haine personnelle. »« C'est donc un insensé? » repartit le prince. O digne enfant de l'Évangile! vous mettiez en pratique le dernier conseil du saint roi de France à son fils : « Si Dieu t'envoie adversité, reçois-la bénignement ! »

Il s'informoit souvent de l'arrivée du roi. « Je n'aurai pas le temps, disoit-il, de demander grâce pour la vie de l'homme. » Il ajoutoit. après, en s'adressant tour à tour à son père et à son frère : « Promet

1. JOINVILLE.

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