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LE ROI EST MORT

VIVE LE ROI

Le roi est mort!... Jour d'épouvante où ce cri fut entendu, il y a trente ans, pour la dernière fois dans Paris! Le roi est mort! La monarchie va-t-elle se dissoudre? La colère céleste s'est-elle déployée de nouveau sur la France? Où fuir? où se cacher devant la terreur et la tyrannie? Pleurez, François! vous avez perdu le roi qui vous a sauvés, le roi qui vous a rendu la paix; le roi qui vous a faits libres; mais ne tremblez point pour votre destinée; le roi est mort, mais le roi est vivant. LE ROI EST MORT, VIVE LE ROI! C'est le cri de la vieille monarchie; c'est aussi le cri de la monarchie nouvelle.

Un double principe politique est renfermé dans cette acclamation de la douleur et de la joie : l'hérédité de la famille souveraine, l'immortalité de l'État. C'est à la loi salique que nous devons, comme nation, une existence dont la durée n'a point d'exemple dans les annales du monde. Nos pères étoient si convaincus de l'excellence de cette loi que, dans la crainte de la violer, ils ne reconnurent point immédiatement Philippe de Valois pour successeur de Charles le Bel. A la mort de celui-ci, la monarchie demeura sans monarque. La reine étoit grosse; elle pouvoit porter ou ne pas porter le roi dans son sein: en attendant on resta soumis à la légitimité inconnue, et le principe gouverna dans l'absence de l'homme.

Certes, il peut s'appeler immortel, un État qui a vu le sang d'une même race passer le Robert le Fort à Charles X. « Quel royaume ', dit un vieil écrivain (qui sous Henri III défendoit les droits de Henri IV contre les prétentions des Guise); quel royaume, monarchie et république, est aujourd'hui ou a été au monde mieux orné, affermi et

1. De la Noblesse, Ancienneté, etc., de la troisième Maison de France; Paris, 1587.

fortifié des plus belles polices, lois et ordonnances que la françoise? Où est-ce que les autres ont une loi salique pour la succession du royaume? Quels rois ailleurs se voient et se sont vus mieux aimés, obéis et révérés? Néanmoins, ils ont laissé régler et limiter leur puissance par des lois et ordonnances qu'eux-mêmes ont faites; ils se sont scumis sous la même raison que leur peuple, et ont, d'ancienne institution, réduit leurs voulants sous la civilité de la loi. Pour raison de quoi tout le peuple, avec une douce crainte, a été contraint de les aimer.

« Qui ont donc été les rois au monde qui se soient plus acquis de gloire par la justice que les nôtres ? Ils n'ont pas moins acquis à leur royaume l'honneur et la prééminence des bonnes lettres et des sciences libérales que des armes. Grand nombre d'hommes signalés en savoir et intelligence sont sortis de cette école des lettres, et la France a provigné quant et quant d'excellents capitaines (outre ceux du sang royal) par la discipline que nos rois y avoient établie, lesquels rois ont peuplé mêmement les nations étrangères d'hommes héroïques.

«Reste maintenant à exposer les autres grâces, bénédictions et bonnes rencontres d'heur particulières dont il a plu à la divine Providence orner la famille de Hugues Capet par-dessus toutes les autres : l'une est de l'avoir fait être la plus noble et plus ancienne de toutes les races royales qui sont aujourd'hui au monde; car à compter depuis le temps que Robert le Saxon, que nous prenons pour le chef d'icelle, se voit connu par les histoires, elle a subsisté près de huit cents ans, étant parvenue en la personne de notre très-chrétien roi Henri III jusqu'à la vingt-troisième génération de père en fils, si nous ne comptons point plus avant que ledit Robert '.

« A ces premiers bonheurs s'en vient joindre un non moins remarquable que les précédents, qui est d'avoir produit plus de maisons et de familles royales, et donné plus grand nombre de rois, empereurs, princes, ducs et comtes à divers royaumes et contrées.

« Toutes ces bonnes et belles remarques que nous avons proposées jusqu'à ici de nos rois semblent bien leur avoir appartenu en général; mais outre icelles chacun d'eux (du moins la plus grande partie) s'est encore si bien fait remarquer en son particulier de certaines grâces

1. On sait qu'il y a plusieurs systèmes de généalogie des Capétiens au delà de Robert le Fort. Les uns la font remonter à Witikin le Saxon, les autres aux Carlovingiens, et par eux aux Mérovingiens; les autres aux rois lombards : peu importe. Robert étoit un prince puissant et un vaillant soldat, qui fut tué en défendant la France contre l'invasion des étrangers, il y a de cela quelque mille aus: tenonsnous-en là.

et dons d'esprit, qu'elles leur ont acquis ces honorables surnoms, qui rendent encore aujourd'hui leur mémoire illustre. >>

Il augmentera la liste de ces illustres monarques, Louis le Désiré, de paternelle et pacifique mémoire, que la reconnoissance, les pleurs, les regrets de la France et de l'Europe accompagnent au tombeau. On peut dire de l'arbre de la lignée royale, né du sol de la France, ce que le poëte dit du chêne :

Immota manet, multosque nepotes,

Multa virum volvens durando sæcula, vincit.

Comme ce vieil écrivain dont la fidélité pressentoit Henri IV, l'auteur du présent écrit eut le bonheur en 1814, au second avénement des Bourbons, d'annoncer Louis XVIII. Alors la France étoit envahie; nous étions accablés de malheurs, environnés de craintes et de périls. Rien n'étoit décidé; on se battoit sur divers points du royaume; on négocioit à Paris : Buonaparte habitoit encore le château de Fontainebleau quand il lut l'histoire de ce roi légitime', qui n'avoit point d'armée dans la coalition des rois, mais qui étoit pour lui plus redoutable que ces monarques. Ce fut en effet la force de la légitimité qui précipita l'usurpation.

Le premier service que l'héritier des fleurs de lis rendit à sa patrie fut de la dégager de l'invasion européenne. La capitale de la France n'avoit jamais été conquise sous la race légitime: Buonaparte avoit amené les étrangers dans Paris avec son épée; Louis XVIII les en écarta avec son sceptre.

Un peuple encore tout ému, tout enivré de la gloire des armes, vit avec surprise un vieux François exilé venir se placer naturellement à sa tête comme un père qui après une longue absence rentre dans sa famille, ne supposant pas qu'on puisse contester son autorité. Louis XVIII n'étoit point étonné des grandeurs nouvelles, des miracles récents de la France; il apportoit en compensation mille ans de nos antiques. grandeurs, de nos anciens prodiges; il ne craignoit point de compter avec le siècle et la nation, assez riche qu'il étoit pour payer son trône. On lui rendoit, il est vrai, le Louvre embelli; mais c'étoit sa maison. Jean Goujon et Perrault l'avoient orné par ordre de Henri II et de Louis XIV; Philippe-Auguste en avoit posé la première pierre et acheté le terrain; Louis XVIII pouvoit représenter le contrat d'acquisition 2.

1. De Buonaparte et des Bourbons.

2. Philippus, Dei gratia Francorum rex, etc., noveritis, quod nos pro excambio terræ, quam monachi Sancti Dionysii de Carcere (Saint-Denis-de-la-Chattre ou de

Ce prince comprenoit son siècle et étoit l'homme de son temps: avec des connoissances variées, une instruction rare, surtout en histoire, un esprit applicable aux petites comme aux grandes affaires, une élocution facile et pleine de dignité, il convenoit au moment où il parut et aux choses qu'il a faites. S'il est extraordinaire que Buonaparte ait pu façonner à son joug les hommes de la république, il n'est pas moins étonnant que Louis XVIII ait soumis à ses lois les hommes de l'empire, que la gloire, que les intérêts, que les passions, que les vanités mêmes se soient tus simultanément devant lui. On éprouvoit en sa présence un mélange de confiance et de respect la bienveillance de son cœur se manifestoit dans sa parole, la grandeur de sa race dans son regard. Indulgent et généreux, il rassuroit ceux qui pouvoient avoir des torts à se reprocher; toujours calme et raisonnable, on pouvoit tout lui dire, il savoit tout entendre. Pour les délits politiques, le pardon chez les François lui sembloit moins sur que l'oubli; sorte de pardon dépouillé d'orgueil, qui guérit les plaies sans faire d'autres blessures. Les deux traits dominants de son caractère étoient la modération et la noblesse par l'une il conçut qu'il falloit de nouvelles institutions à la France nouvelle; par l'autre il resta roi dans le malheur, témoin sa belle réponse aux propositions de Buonaparte.

La partie active du règne de Louis XVIII été courte, mais elle occupera une grande place dans l'histoire. On peut juger ce règne par une seule observation: il ne se perd point dans l'éclat que Napoléon a laissé sur ses traces. On demande ce que c'est que Charles II après Cromwell, Charles II, dont la restauration ne fut que celle des abus qui avoient perdu sa famille on ne demandera jamais ce que c'est que le sage qui a délivré la France des armées étrangères, après l'ambitieux qui les avoit attirées dans le cœur du royaume; on ne demandera jamais ce que c'est que l'auteur de la Charte, le fondateur de la monarchie représentative; ce que c'est que le souverain qui a élevé la liberté sur les débris de la révolution, après le soldat qui avoit bâti le despotisme sur les mêmes ruines; on ne demandera jamais ce que c'est que le roi qui a payé les dettes de l'État et fondé

la Prison; dans l'historien de Saint-Denis, Carcere Glaucini, aujourd'hui Glatigny) habebant, ubi turris nostra de Louvre sita est, eisdem monachis assignamus triginta solidos, annui redditus, etc. Actum Parisiis, anno ab incarnatione Domini 1214, mense augusti.

Cette rente se payoit encore par le receveur du domaine au commencement de la révolution : quel beau titre de propriété ! Ce titre étoit conservé au prieuré de SaintDenis-de-la-Chartre.

le système de crédit après les banqueroutes républicaines et impériales: on ne demandera jamais ce que c'est que le monarque qui trouvant une armée détruite a recréé une armée; le monarque qui après des guerres glorieuses, mais longues et funestes, a mis fin en quelques mois, par un vaillant prince, à la prodigieuse expédition d'Espagne, tuant deux révolutions d'un seul coup, rétablissant deux rois sur leur trône, replaçant la France à son rang militaire en Europe, et couronnant son ouvrage en nous assurant l'indépendance au dehors, après nous avoir donné la liberté au dedans.

Son règne s'agrandira encore en s'éloignant de nous la postérité le regardera comme une nouvelle ère de la monarchie, comme l'époque où s'est résolu le problème de la révolution, où s'est opérée la fusion des principes, des hommes et des siècles, où tout ce qu'il y avoit de possible dans le passé s'est mêlé à tout ce qu'il y avoit de possible dans le présent. De la considération des difficultés innombrables que Louis XVIII a dû rencontrer à l'exécution de ses desseins naîtra pour lui dans l'avenir une admiration réfléchie. Et quand on observera que ce monarque, qui avoit tant souffert, n'a exercé ni réaction ni vengeance; que ce monarque, dépouillé de tout, a aboli la confiscation; qu'étant maître de ne rien accorder en rentrant en France, il nous a rendu des libertés pour des malheurs, nul doute que sa mémoire ne croisse en estime et en vénération chez les peuples.

Nous venons de le perdre, ce roi patient et juste. Pendant un hiver du Nord, obligé de fuir d'exil en exil avec le fils et la fille de nos rois, ses pieds avoient été atteints par le froid rigoureux du climat : ses infirmités étoient encore en partie notre ouvrage, et au milieu de ses longues douleurs il ne s'est jamais souvenu de ceux qui les avoient. causées. On l'a vu au moment d'expirer opposer à des maux qui auroient abattu toute autre âme que la sienne un calme qui sembloit imposer à la mort. Depuis longtemps il est donné au peuple le plus brave d'avoir à sa tête les princes qui meurent le mieux par les exemples de l'histoire, on seroit autorisé à dire proverbialement : Mourir comme un Bourbon, pour exprimer tout ce qu'un homme peut mettre de magnanimité dans sa dernière heure.

Louis XVIII n'a point démenti cette intrépidité de famille. Après avoir reçu le saint viatique au milieu de sa cour, le fils aîné de l'Église a béni d'une main défaillante, mais avec un front serein, ce frère encore appelé à un lit funèbre, ce neveu qu'il nommoit le fils de son choix, cette nièce deux fois orpheline et cette veuve deux fois mère. Cependant le peuple donnoit des signes non équivoques de sa douleur. Essentiellement monarchique et chrétien quand il est

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