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NOTICES NÉCROLOGIQUES

NOTICES NÉCROLOGIQUES

SUR LA MORT DE M. DE LA HARPE.

FÉVRIER 1803.

La littérature vient de perdre presque à la fois M. de Saint-Lambert
et M. de La Harpe. Le premier étoit âgé de plus de quatre-vingt-
quatre ans; son lit de mort a été entouré de nombreux amis; il a
devancé dans la tombe ceux qui firent le bonheur de sa vie; ses opi-
nions, toujours les mêmes, l'ont mis à l'abri des outrages dont on a
accablé les derniers ans de l'auteur de Philoctète et du Cours de Littė-
rature: on ne pourra donc pas dire de M. de Saint-Lambert :

Malheur à qui le ciel accorde de longs jours!

Tandis que l'auteur des Saisons mouroit au milieu de toutes les con-
solations de la philosophie, M. de La Harpe expiroit au milieu de toutes
les consolations de la religion. L'un fut visité des hommes à son
dernier soupir; l'autre fut visité de Dieu, selon la belle et tendre
expression du christianisme pour peindre la mort du fidèle. M. de La
Harpe quitta ce monde le vendredi 11 février 1803, entre sept et huit
heures du matin. Il conserva toute sa tête jusqu'à son dernier moment.
Il put sentir avec reconnoissance ce que le ciel faisoit pour lui; plus
heureux que M. de Saint-Lambert, qui ignora les derniers soins que
lui rendoit la terre.

M. de La Harpe a montré le plus grand courage et la piété la plus
sincère pendant sa longue maladie. Il se fit lire plusieurs fois les
prières des agonisants. M. de Fontanes se présenta un jour au milieu
de cette triste cérémonie: « Mon ami, lui dit le mourant en lui ten-
dant une main desséchée, je remercie le ciel de m'avoir laissé l'esprit
assez libre pour sentir combien cela est consolant et beau. » C'est à
la fois le dernier regard du chrétien et de l'homme de lettres.

Les obsèques de M. de La Harpe furent célébrées le dimanche matin, à Notre-Dame. Il s'étoit retiré depuis quelques années dans le cloître de cette cathédrale, comme s'il avoit voulu se réfugier, loin d'un monde peu charitable, à l'ombre de la maison du Dieu de miséricorde. Ceux qui ont vu les restes de cet auteur célèbre renfermés dans un chétif cercueil ont pu sentir le néant des grandeurs littéraires, comme de toutes les autres grandeurs; heureusement c'est dans la mort que le chrétien triomphe, et sa gloire commence quand toutes les autres gloires finissent.

On eût dit que la présence du cercueil de cet homme, qui avoit si bien senti les beautés de l'Écriture, rendoit encore plus belles les prières que le christianisme a consacrées à la mort. Tous ces cris d'espérance Requiem dabo tibi, dicit Dominus : JE VOUS DONNERAI LE REPOS, DIT LE SEIGNEUR; Expectabo, Domine, donec veniat immutatio mea : vocabis me, et ego respondebo tibi : operi manuum tuarum porriges dexteram : - J'ATTENDS, SEIGNEUR, QUE MON CHANGEMENT ARRIVE : VOUS M'APPELLEREZ, ET JE VOUS RÉPONDRAI: VOUS TENDREZ VOTRE DROITE A L'OUVRAGE DE VOS MAINS; l'épître de saint Paul : 0 mort, où est ton aiguillon! l'évangile de saint Jean : Le temps viendra que tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu; tous ces soupirs de la religion, toutes ces paroles prophétiques attendrissoient profondément les cœurs. Quand les prêtres ont chanté, à la communion, ut requiescant a laboribus suis, DÈS A PRÉSENT ILS SE REPOSENT DE LEURS TRAVAUX, les larmes sont venues aux yeux de tous les amis de M. de La Harpe.

Le convoi est parti à une heure pour le cimetière de la barrière de Vaugirard. Nous avons sincèrement regretté de ne pas voir marcher à la tête du cortége cette croix qui nous afflige et nous console, et par laquelle un Dieu compatissant a voulu se rapprocher de nos misères. Lorsqu'on est arrivé au cimetière, on a déposé le cercueil au bord de la fosse, sur le petit monceau de terre qui devoit bientôt le recouvrir. M. de Fontanes a prononcé alors un discours noble et simple sur l'ami qu'il venoit de perdre. Il y avoit dans l'organe de l'orateur attendri, dans les tourbillons de neige qui tomboient du ciel et qui blanchissoient le drap mortuaire du cercueil, dans le vent qui soulevoit ce drap mortuaire, comme pour laisser passer les paroles de l'amitié jusqu'à l'oreille de la mort; il y avoit, disons-nous, dans ce concours de circonstances quelque chose de touchant et de lugubre.

On va maintenant entendre parler M. de Fontanes lui-même ', inter

1. Voyez ci-après le Discours de M. de Fontanes.

prète bien plus digne que nous d'honorer la mémoire de M. de La Harpe. Nous ferons observer seulement que l'orateur s'est trompé lorsqu'il a dit que la mort éteint toutes les haines. Les restes de M. de La Harpe n'étoient pas encore recouverts de terre, nous pleurions encore autour de son cerceuil, près de sa fosse ouverte, et dans le moment même où M. de Fontanes nous assuroit que toutes les injustices alloient s'ensevelir dans cette tombe, que tout le monde partageoit nos regrets, un journal insultoit aux cendres d'un homme illustre: on l'accusoit d'avoir déshonoré le commencement de sa carrière par ses neuf dernières années. Nous appliquerons aux auteurs de cet article les paroles de l'Écriture que M. de La Harpe a citées à la fin de son dernier morceau sur l'Encyclopédie, et qui sont aussi les dernières paroles que ce grand critique ait fait entendre au public: Malheur à vous qui appelez mal ce qui est bien et bien ce qui est mal!

DISCOURS

PRONONCÉ PAR M. DE FONTANES DEVANT L'INSTITUT

AUX FUNÉRAILLES DE M. DE LA HARPE.

Les lettres et la France regrettent aujourd'hui un poëte, un orateur, un critique illustre... La Harpe avoit à peine vingt-cinq ans, et son premier essai dramatique l'annonça comme le plus digne élève des grands maîtres de la scène françoise. L'héritage de leur gloire n'a point dégénéré dans ses mains, car il nous a transmis fidèlement leurs préceptes et leurs exemples. Il loua les grands hommes des plus beaux siècles de l'éloquence et de la poésie, et leur esprit comme leur langage se retrouva toujours dans celui d'un disciple qu'ils avoient formé : c'est en leur nom qu'il attaqua jusqu'au dernier moment les fausses doctrines littéraires; et dans ce genre de combat sa vie entière ne fut qu'un long dévouement au triomphe des vrais principes. Mais si ce dévouement courageux fit sa gloire, il n'a pas fait son bonheur. Je ne puis dissimuler que la franchise de son caractère et la rigueur impartiale de ses censures éloignèrent trop souvent de son nom et de ses travaux la bienveillance et même l'équité; il n'arrachoit que l'estime

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