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où tant d'autres auroient obtenu l'enthousiasme. Souvent les clameurs de ses ennemis parlèrent plus haut que le bruit de ses succès et de sa renommée mais à l'aspect de ce tombeau tous les ennemis sont désarmés. Ici les haines finissent, et la vérité seule demeure.

Les talents de La Harpe ne seront plus enfin contestés; tous les amis des lettres, quelles que soient leurs opinions, partagent maintenant notre deuil et nos regrets. Les circonstances où la mort le frappe rendent sa perte encore plus douloureuse; il expire dans un âge où la pensée n'a rien perdu de sa vigueur, et lorsque son talent s'étoit agrandi dans un autre ordre d'idées, qu'il devoit aux spectacles extraordinaires dont le monde est témoin depuis douze ans. Il laisse malheureusement imparfaits quelques ouvrages dont il attendoit sa plus solide gloire, et qui seroient devenus ses premiers titres dans la postérité. Ses mains mourantes se sont détachées avec peine du dernier monument qu'il élevoit ceux qui en connoissent quelques parties avouent que le talent poétique de l'auteur, grâce aux inspirations religieuses, n'eut jamais autant d'éclat, de force et d'originalité. On sait qu'il avoit embrassé avec toute l'énergie de son caractère ces opinions utiles et consolantes sur lesquelles repose tout le système social; elles ont enrichi non-seulement ses pensées et son style de beautés nouvelles, mais elles ont encore adouci les souffrances de ses derniers jours. Le Dieu qu'adoroient Fénelon et Racine a consolé sur le lit de mort leur éloquent panégyriste et l'héritier de leurs leçons. Les amis qui l'ont vu dans ce moment où l'homme ne déguise plus rien savent quelle étoit la vérité de ses sentiments; ils ont pu juger aussi combien son cœur, malgré la calomnie, renfermoit de droiture et de bonté. Déjà même des sentiments plus doux étoient entrés dans ce cœur trop méconnu et si souvent abreuvé d'amertume: les injustices se réparoient; nous étions prêts à le revoir dans ce sanctuaire des lettres et du goût, dont il étoit le plus ferme soutien; luimême se félicitoit naguère encore de cette réunion si désirée : mais la mort a trompé nos vœux et les siens; puissent au moins se conserver à jamais les traditions des grands modèles qu'il sut interpréter avec une raison si éloquente! Puissent-elles, mes chers collègues, en formant de bons écrivains qui le remplacent, donner un nouvel éclat à cette Académie françoise qu'illustrèrent tant de noms fameux depuis cent cinquante ans, et que vient de rétablir un grand homme, si supérieur à celui qui l'a fondée.

SUR LA MORT DE M. DE SAINT-MARCELLIN.

FÉVRIER 1819.

M. de Saint-Marcellin, à peine âgé de vingt-huit ans, blessé à mort le 1er de ce mois, a expiré le 3, entre neuf et dix heures du soir. Il avoit fait l'apprentissage des armes dans la campagne de 1812, en Russie. Il donna les premières preuves de sa valeur dans le combat qui eut pour résultat la prise du village de Borodino et de la grande redoute qui couvroit le centre de l'armée russe. Le rapport du prince Eugène au major général sur cette journée se termine par cette phrase: « Mon aide de camp de Sève et le jeune Fontanes de SaintMarcellin méritent d'être cités dans ce rapport. »

M. de Saint-Marcellin s'étoit précipité dans les retranchements de l'ennemi, et avoit eu le crâne fendu de trois coups de sabre.

Après le combat, il se présenta dans cet état à un hôpital encombré de quatre mille blessés, où il n'y avoit que trois chirurgiens dénués de linge, de médicaments et de charpie; il ne put même obtenir d'y être reçu. Il s'en retournoit, baigné dans son sang, lorsqu'il rencontra Buonaparte : « Je vais mourir, lui dit-il; accordez-moi la croix d'Honneur, non pour me récompenser, mais pour consoler ma famille. » Buonaparte lui donna sa propre croix.

M. de Saint-Marcellin, jeté sur des fourgons, arriva à moitié mort à Moscou; il y séjourna quelque temps, et fut assez heureux pour trouver le moyen de revenir en France, où nous l'avons vu pendant plus de dix-huit mois porter encore une large blessure à la tête.

La France ayant rappelé son roi légitime, M. de Saint-Marcellin fut fidèle aux nouveaux serments qu'il avoit faits. Il étoit aide de camp du général Dupont à l'époque du 20 mars. Il se trouvoit à Orléans avec son général, lorsque des soldats séduits quittèrent la cocarde blanche; M. de Saint-Marcellin osa la garder circonstance que peut avoir connue M. le maréchal Gouvion de Saint-Cyr, qui fit reprendre la cocarde blanche aux troupes égarées. Rentré à Paris, M. de SaintMarcellin eut une altercation politique avec un officier, se battit, blessa son adversaire, et partit du champ clos pour aller rejoindre ceux à qui il avoit engagé sa foi.

Nommé capitaine à Gand, il sollicita l'honneur d'accompagner le général Donnadieu, chargé pour le roi d'une mission importante.

Débarqué à Bordeaux, il fut arrêté et remis aux mains de deux gendarmes qui devoient le conduire à Paris pour y être fusillé. En passant par Angoulême, il échappa à ses gardes, excita un mouvement royaliste dans la ville, et rentra dans Paris avec le roi.

M. de Saint-Marcellin fut alors envoyé comme chef de bataillon dans un régiment de ligne à Orléans. Blessé de nouveau, il fut obligé de revenir à Paris. Depuis ce moment il consacra ses loisirs aux lettres : il avoit de qui tenir. Il donna quelques ouvrages à nos différents théâtres lyriques. Compris comme chef d'escadron dans la nouvelle organisation de l'état-major de l'armée, il avoit refusé dernièrement un service actif qui l'eût éloigné de Paris. La Providence vouloit le rappeler à elle. Pour des raisons faciles à deviner, l'administration avoit subitement, dit-on, changé en rigueur sa bienveillance politique. On assure que M. de Saint-Marcellin alloit perdre sa place de chef d'escadron quand la mort est venue épargner aux ennemis des royalistes une destitution de plus, et rayer elle-même ce brave militaire du tableau d'où elle efface également et les chefs et les soldats.

M. de Saint-Marcellin n'a point démenti, à ses derniers moments, ce courage françois qui porte à traiter la vie comme la chose la plus. indifférente en soi et l'affaire la moins importante de la journée. Il ne dit ni à ses parents ni à ses amis qu'il devoit se battre, et il s'occupa tout le matin d'un bal qui devoit avoir lieu le soir chez M. le marquis de Fontanes. A trois heures il se déroba aux apprêts du plaisir pour aller à la mort. Arrivé sur le champ de bataille, le sort ayant donné le premier feu à son adversaire, il se met tranquillement au blanc, reçoit le coup mortel, et tombe en disant : « Je devois pourtant danser ce soir. » Rapporté sans connoissance chez M. de Fontanes, on sait qu'il y rentra à la lueur des flambeaux déjà allumés pour la fête. Lorsqu'il revint à lui, on lui demanda le nom de son adversaire : « Cela ne se dit pas, répondit-il en souriant; seulement c'est un homme qui tire bien. » M. de Saint-Marcellin ne se fit jamais d'illusion sur son état; il sentit qu'il étoit perdu, mais il n'en convenoit pas, et il ne cessoit de dire à ses parents et à ses amis en pleurs : « Soyez tranquilles, ce n'est rien. » Il n'a fait entendre aucune plainte; il n'a témoigné ni regrets de la vie, ni haine, ni même humeur contre celui qui la lui arrachoit ; il est mort avec le sang-froid d'un vieux soldat et la facilité d'un jeune homme. Ajoutons qu'il est mort en chrétien.

Les lettres et l'armée perdent dans M. de Saint-Marcellin une de leurs plus brillantes espérances. On remarque dans les premiers essais échappés à sa plume une gaieté de bon goût appuyée sur un fonds de raison et sur des sentiments nobles. Lorsqu'il parle d'honneur on voit

qu'il le sent, et quand il rit on s'aperçoit qu'il méprise. Sa destinée paroissoit devoir être heureuse dans un ordre de choses différent de celui qui existe aujourd'hui ; mais aussitôt qu'il est entré dans la ligne des devoirs légitimes, il a été atteint par cette fatalité qui semble s'attacher aux pas de tout ce qui est devenu ou resté fidèle. Est-ce une raison pour renoncer à une cause sainte et juste? Bien loin de là, c'est une raison pour s'y attacher: les hommes généreux sont tentés par les périls, et l'honneur est une divinité à laquelle on s'attache par les sacrifices mêmes qu'on lui fait.

Devons-nous plaindre ou féliciter M. de Saint-Marcellin? Il n'étoit pas fait pour vivre dans ces temps d'ingratitude et d'injustice. Le sang lui bouilloit dans les veines; son cœur se révoltoit quand il voyoit récompenser la trahison et punir la fidélité. Son indignation avoit l'éclat de son courage, et il ne faisoit pas plus de difficulté de montrer ses sentiments que de tirer son épée : avec une pareille disposition d'âme, nous ne l'eussions pas gardé longtemps. D'ailleurs nous marchons si vite, le système adopté nous prépare de tels événements, que Saint-Marcellin n'a peut-être perdu que des orages : il s'est hâté d'arriver au lieu de son repos, et du moins il n'entend plus le bruit de nos divisions.

Mille raisons nous commandoient de payer ce tribut d'éloges à la mémoire de Saint-Marcellin; mais il y en a surtout une qu'une vieille amitié sentira. Cette amitié a été éprouvée par la bonne et la mauvaise fortune; elle nous retrouvera toujours, et particulièrement quand il s'agira de la consoler : Ille dies utramque duxit ruinam.

SUR LA MORT DE M. DE FONTANES.

MARS 1821.

A M. LE RÉDACTEUR DU JOURNAL DES DÉBATS.

MONSIEUR,

Il est de mon devoir de répondre à l'appel que vous avez fait à l'amitié dans votre journal du 19 de ce mois. J'y répondrai mal, car ce n'est pas quand on a le cœur brisé qu'on peut écrire. L'école à

jamais célèbre fondée par Boileau, Racine et Fénelon, finit en M. de Fontanes; notre gloire littéraire expire avec la monarchie de Louis XIV.

Mon illustre ami laisse entre les mains de sa veuve inconsolable et de sa jeune et malheureuse fille les manuscrits les plus précieux; et telle étoit son indifférence pour sa renommée, qu'il se refusoit à les publier. Ces manuscrits consistent en un Recueil d'odes et de poëmes admirables, en des mélanges littéraires écrits dans cette prose où le bon goût ne nuit point à l'imagination, l'élégance au naturel, la correction à l'éloquence, et la chasteté du style à la hardiesse de la pensée.

Devois-je être appelé sitôt à parler des derniers ouvrages de l'écrivain supérieur qui annonça mes premiers essais! Personne (si ce n'est un de ses vieux amis, qui est aussi le mien, M. Joubert) n'a mieux connu que moi cette bonhomie, cette simplicité, cette absence de toute envie, qui distinguent les vrais talents et qui faisoient le fond du caractère de M. de Fontanes. Singulière fatalité! notre amitié commença dans la terre étrangère, et c'est dans la terre étrangère que j'apprends la mort du compagnon de mon exil!

Comme homme public, M. de Fontanes a rendu à son pays des services inappréciables: il maintint la dignité de la parole sous l'empire du maître qui commandoit un silence servile; il éleva dans les doctrines de nos pères des enfants qu'on vouloit séparer du passé pour bouleverser l'avenir. Vous aussi, monsieur, vous avez admiré, aimé ce beau génie, cet excellent homme, qui peut-être est déjà oublié dans la ville où tout s'oublie.

Mais le temps de la mémoire reviendra; la postérité reconnoissante voudra savoir quel fut ce dernier héritier du grand siècle dont elle lira les pages immortelles. Je suis incapable aujourd'hui d'entrer dans de longs détails sur la personne et les travaux de mon ami; la perte que je fais est irréparable, et je la sentirai le reste de ma vie. Aut moment même où votre journal est arrivé, j'écrivois à M. de Fontanes: je ne lui écrirai plus! Pardonnez, monsieur, si je borne ma lettre à ce peu de mots que je vois à peine en les traçant.

J'ai l'honneur, etc.

Berlin, 31 mars.

CHATEAUBRIAND.

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