Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Grâce à toutes ces causes réunies, la thérapeutique est parvenue de nos jours à un degré de perfection relative, dont nous serions tentés d'être fiers si nous pouvions oublier un instant la grandeur de la tâche qui nous reste à accomplir, si nous pouvions nous faire la moindre illusion sur la hauteur du but, les difficultés de la route et la faiblesse de nos moyens.

Supprimer la plupart des causes pathologiques par une excellente hygiène publique et privée, conjurer les maladies plus autonomes par une médecine préventive appropriée, dissiper toujours les troubles purement fonctionnels, réparer de nombreux désordres anatomiques et guérir la plupart des affections diathésiques, sinon dans l'individu, au moins dans la race : voilà l'idéal vers lequel aspire la thérapeutique et dont elle ne peut approcher qu'à la faveur des efforts constants de plusieurs générations d'observateurs pourvus d'une bonne méthode et dirigés par les principes d'une sage philosophie.

Il s'agit maintenant de nous entendre sur cette question fondamentale.

Quelques-uns d'entre vous connaissent déjà mes principes; j'ai eu l'occasion de les développer plus d'une fois par la parole ou dans mes écrits, mais il est indispensable que je les remette sous vos yeux. Pour épargner du temps, je vous demande, messieurs, la permission d'en emprunter l'exposé succinct à la préface de mes Commentaires thérapeutiques du Codex publiés il y a plus d'un an. Après avoir déclaré qu'il n'y a que des actions physiologiques suivies ou non de résultats thérapeutiques, j'ajoutais:

<< D'abord, il n'y a que des actions physiologiques en ce sens que, d'une part, les médicaments sont uniquement des modificateurs d'organes ou de fonctions et nullement des antagonistes d'entités morbides, et que, d'autre part, ils agissent en santé comme en maladie. En second lieu, il n'existe à vrai dire ni propriétés ni vertus thérapeutiques. Le soulagement et la curation d'un mal ne sont pas le résultat d'une lutte engagée contre celui-ci par un agent capable de le combattre, et de le neutraliser directement comme ferait une base par rapport à un acide. Ce bénéfice est la conséquence des changements apportés dans la composition chimique la structure et les actes organiques du sujet, etc. »

Plus haut j'avais dit : « Les agents thérapeutiques ne se comportent pas autrement, ou plutôt ils n'agissent pas en vertu d'autres lois chez un malade que chez un sujet sain. Dans les deux cas, ils

n'atteignent que nos organes pour en modifier la composition et la structure ou les actes sécrétoires, moteurs, sensitifs, nutritifs et plastiques. » Et plus loin : «Les lumières de la biologie dissiperont le fantôme de la spécificité morbide et de la spécificité thérapeutique...» « La doctrine des vertus spécifiques des remèdes issue de l'ontologisme périra avec lui, et quand l'action physiologique des médicaments sera parfaitement connue, la thérapeutique ne sera plus qu'un corollaire de la physiologie. »

Faut-il m'expliquer davantage sur la question de doctrine ? Ai-je besoin de vous dire si je me range dans le camp des organiciens ou sous la bannière du vitalisme? Au fond, cette question n'a pas l'importance qu'on lui attribue.

Entre les spiritualistes et les sensualistes, les matérialistes et lest animistes, les vitalistes et les organiciens, la dissidence porte toujours sur le même point: la séparation ou la confusion de la matière et de la force. Que la matière soit minérale ou organique, que la force s'appelle attraction ou vie : c'est toujours le même problème qui se dresse devant nous.

Pour ceux qui n'admettent comme réel que ce qui tombe sous nos sens, il n'existe que de la matière et des propriétés ou qualités de cette matière.

Pour ceux, au contraire, qui croient que notre esprit ne crée rien et qui cependant conçoivent des abstractions, pour ceux-là les choses abstractives doivent être aussi réelles que le sont les phénomènes sensibles. Pour moi, je ne vois pas comment l'accord pourra jamais s'établir entre ces deux opinions. Qui nous montrera la force motrice distincte du projectile en mouvement? Qui nous fera voir que le boulet ne se meut qu'en vertu d'une modalité transitoire de sa substance matérielle? Mon esprit se refuse à comprendre la force subsistant par elle-même; mais il ne comprend pas davantage la transmission d'un je ne sais quoi, dépourvu de toute existence propre, qui s'effectuerait d'un objet à un autre. Quand une bille d'ivoire en met une seconde en mouvement, elle ne lui cède pas de matière, et cependant elle lui donne quelque chose qu'elle perd elle-même; ce quelque chose existe donc indépendamment de la masse à laquelle il se trouve momentanément associé. Ce que je dis de la force, à plus forte raison le dirai-je du temps, dont l'existence me semble indépendante des phénomènes qui nous servent à le mesurer. Le temps ne saurait plus, comme la force, devenir une manière d'être de l'aiguille qui parcourt le cadran, de la terre qui tourne sur elle-même

ou des astres qui gravitent dans les espaces planétaires. Un nombre incalculable de phénomènes se passent au même instant dans l'univers, et cette portion de l'éternité n'appartient en propre à aucun d'entre eux le temps subsisterait essentiellement, quand même aucun événement ne viendrait en partager le cours.

Toutefois, comment saisir le temps et l'espace, si ce n'est par la durée des phénomènes dont nous sommes témoins, ou par l'étendue des objets que nous pouvons toucher ou mesurer du regard?

Reconnaissons donc que ce sont là des problèmes inaccessibles à la science et ne consumons pas notre intelligence à la recherche d'une solution qui paraît devoir nous échapper toujours.

Que la force soit indépendante de la matière, ou qu'elle n'en soit qu'un attribut: question de métaphysique dans laquelle la science proprement dite n'a rien à voir; mais, puisqu'en bonne logique il faut éviter de multiplier les êtres des raisons, on peut s'en tenir provisoirement à la conception de la force-attribut, ce qui nous conduit au vitalisme organique si brillamment exposé, si énergiquement défendu par l'un des esprits les plus éminents de notre époque, mon savant maître et ami M. Pidoux. Ce n'est peut-être là qu'un compromis, qu'un expédient, mais il a le mérite de nous restreindre dans le cercle des faits et de nous interdire le domaine de l'hypothèse pure où va s'engloutir toute véritable science.

Voilà ma profession de foi quant aux principes scientifiques. Reste la méthode, plus importante peut-être que les principes eux-mêmes.

A mon avis, il n'y en a qu'une bonne: bien observer et rigoureusement induire, rapprocher les faits par voie analogique et les subordonner logiquement de manière à s'élever à des faits de plus en plus généraux et compréhensifs, décorés du titre de lois. Un illustre chimiste, M. Chevreul, la désigne sous le nom de méthode expérimentale à posteriori. C'est la méthode formulée, sinon imaginée par Bacon, c'est aussi par excellence celle de la philosophie positive à laquelle se rallient désormais tous les esprits sévères.

Mais si la définition de la méthode est généralement acceptée, l'accord cesse dès qu'il s'agit de préciser le meilleur moyen d'arriver à la connaissance des faits. Sous ce rapport, les savants semblent vouloir se partager en deux camps les uns attachés à l'observation ancienne, les autres partisans exclusifs de l'expérimentation sur les animaux. Ceci cache un malentendu qu'il importe de faire cesser.

Nous devons à l'expérimentation sur les animaux d'inestimables conquêtes la distinction rationnelle des racines antérieures et postérieures par Magendie, Ch. Bell et M. Longet, l'éminent professeur de physiologie de cette école; la glycogénie hépatique, par le plus célèbre de nos physiologistes, M. Cl. Bernard; les voies de transmission des impressions sensitives, par mon savant ami et collègue M. Brown-Séquard; la régénération nerveuse, par le même physiologiste et par l'un de ses plus dignes émules, M. le professeur Vulpian, etc.

Faut-il donc proclamer la supériorité absolue de ce procédé d'investigation, et l'observation, désormais inutile ou superflue, doit-elle être reléguée dans un coin de la galerie de l'histoire du travail? En agir ainsi serait à la fois injuste, imprudent et irrationnel. Ce serait de l'injustice et de l'ingratitude, puisque nous devons à l'observation le meilleur de nos connaissances.

Ce serait imprudent, car nous nous priverions ainsi de gaieté de cœur d'un moyen d'acquisition à la disposition de tous ceux qui cultivent la science, tandis que l'expérimentation, même débarrassée des entraves de la Société protectrice des animaux et de la sensiblerie de quelques efféminés ou de quelques hypocrites, l'expérimentation libre dans ses allures ne sera jamais que le privilége d'un petit nombre.

Ce serait irrationnel, attendu que l'observation s'applique au fait expérimental aussi bien qu'au fait de hasard.

L'expérimentation, sachez-le bien, n'est autre chose qu'un procédé à l'aide duquel le savant suscite un phénomène dont il cherche à déterminer les lois; mais lorsque l'expérimentateur est parvenu à réaliser les conditions de ce phénomène, il faut bien qu'il en observe l'apparition, la durée, l'intensité et tous les autres caractères afin de constater les rapports de succession ou de causalité, eu égard à d'autres phénomènes connus, et d'en déterminer la nature.

A part l'idée hypothétique dont on cherche la vérification, à part la conception du dispositif de l'expérience, l'opération de l'esprit qui s'exécute alors est fondamentalement la même que celle à laquelle se livre l'observateur proprement dit. Celui-ci, je l'accorde, est plus contemplatif; l'expérimentateur, suivant l'expression pittoresque de M. Cl. Bernard, est plus conquérant, mais tous deux mettent en jeu les mêmes facultés, tous deux observent soit des faits voulus et provoqués, soit des faits relativement spontanés, et que le hasard a placés sur leur chemin. L'individu avide de vérités

et pressé de jouir doit recourir à l'expérience; l'humanité, qui a devant elle la suite indéfinie des temps, peut à la rigueur s'en passer. Loin de moi la pensée de blâmer ceux qui vont au-devant de l'observation et de leur préférer absolument ceux qui l'attendent! Question de tempérament, question de mœurs : l'expérimentation convient mieux à ce siècle d'ardeurs impatientes.

Au reste, chaque méthode a ses mérites particuliers. L'homme qui sacrifie des animaux arrive souvent plus vite à dégager de cette chair palpitante les inconnues du problème compliqué de la vie, il apporte parfois à la théorie ses appuis les plus solides et ses démonstrations les plus éclatantes. En rendant un grand nombre d'adeptes témoins de ces faits expérimentaux, il décide les fortes convictions et propage une science plus sûre d'elle-même. Mais, à côté de ces avantages, il faut bien reconnaître certaines infériorités. Sans parler des faiblesses de l'expérimentateur, de ses illusions, des interprétations erronées, des conclusions hâtives, des applications prématurées; sans tenir compte des contradictions entre les autorités les plus recommandables, sans insister sur l'assimilation impossible des résultats observés chez des grenouilles et même chez des mammifères herbivores à ce qui se passe chez l'homme, je signalerai d'autres conditions défectueuses. Beaucoup de phénomènes sont difficiles à saisir ou sont impossibles à constater chez les animaux; les premiers degrés passent inaperçus. Quant aux phénomènes subjectifs, ils échappent presque entièrement. Comment reconnaître chez les animaux les troubles légers de la sensibilité tactile dans ses différents modes, ainsi que des sensibilités spéciales? Comment savoir s'ils éprouvent de l'engourdissement, des douleurs fulgurantes, des mouches volantes, de la photopsie; ou bien de la céphalalgie, du délire, de l'amnésie et de la torpeur musculaire. Et, remarquez-le bien, l'existence de tels symptômes au début des expériences ne saurait s'induire de la circonstance qu'ils deviennent évidents dans les périodes plus avancées, car les effets des agents mis en œuvre sont souvent inverses, selon que l'action est légère ou violente. On ne s'étonnera donc pas si j'avance que, dans un grand nombre de cas, les expérimentateurs ont méconnu les premiers stades des effets provoqués intentionnellement, et que leur attention ne s'est fixée que sur les manifestations grossières des désordres occasionnés par les substances médicamenteuses ou toxiques.

A ne tenir compte que des résultats obtenus, on serait souvent

« ZurückWeiter »