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désolait, et, ne trouvant pas de motifs aux rigueurs de son père, il n'osait cependant l'interroger. Il avait le soupçon de la vérité, le rejetait loin de sa pensée. Ce fut Léonie qui, plus naïve ou plus hardie, le lui confirma. Emmanuel, lui dit-elle un jour, mon oncle est jaloux de l'affection que nous avons l'un pour l'autre. - Le jeune homme tressaillit. Cette affection est pourtant bien naturelle, reprit-elle, nous ne faisons point de mal, vous êtes mon parent, elle hésita, mon ami.

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Votre ami, Léonie, dit Emmanuel. C'est vrai, votre ami bien sincère, bien dévoué; mais, si je n'étais que cela, mon père ne s'irriterait pas contre moi c'est qu'il voit que je vous aime de tout mon cœur et de toutes mes forces.

- Eh bien! répondit-elle en se troublant un peu, pourquoi pâlissez-vous quand vous me dites cela? N'avez-vous pas le droit de m'aimer ainsi, ne pouvons-nous pas?.. Elle n'acheva pas, et,

pleurant doucement, appuya sa tête à l'épaule d'Emmanuel.

Le jeune homme la serra contre son cœur, et, tout tremblant d'émotion, lui répéta: - Ne pouvons-nous pas?..

- Nous marier, fit-elle, ayant cessé de pleurer et levant sur lui ses yeux purs et limpides.

Ces jolies fiançailles se faisaient non loin du château, sous une grande allée d'arbres, par une belle soirée d'été. Emmanuel et Léonie se promenèrent assez longtemps, la main dans la main, tous deux muets: la jeune fille s'abandonnait aux émotions nouvelles qui l'envahissaient; Emmanuel, plus bouleversé qu'elle ne l'était, frissonnait de joie et d'orgueil, mais, plus inquiet aussi, réfléchissait à cette réalité redoutable et radieuse qui se dressait devant lui. Léonie, dit-il enfin, il faut que je parle à mon père, c'est lui seul qui peut disposer de votre sort et du mien.

- Oui, Emmanuel, et je crois qu'il vaut mieux maintenant que vous le fassiez sur-le-champ. Il a pu être injuste envers ses enfans en se méfiant d'eux, il doit être le premier à connaître l'aveu qu'ils se sont fait.

- A bientôt donc, mon amie, et priez Dieu que mon père nous soit favorable.

— Je vais le prier, dit-elle, allez.

Le général, qui était demeuré seul au salon, vit entrer son fils et le regarda fixement. L'attitude du jeune homme était respectueuse et résolue. Mon père, fit-il, je viens vous demander de vouloir bien causer quelques instans avec moi.

M. d'Herbel se souleva brusquement à demi sur son fauteuil. Ah! dit-il, vous jugez donc enfin le moment venu. Vous avez bien tardé. Vous vous y prenez juste à temps d'ailleurs; j'allais pour ma part réclamer de vous cet entretien. Je vous écoute.

Mon père, voici trois mois que je vis auprès de vous et de ma cousine. Je n'ai pas à vous parler de la beauté et des qualités de Léonie. Je me suis par degrés, sans le savoir, sans le vouloir même, laissé aller à la séduction qui est en elle, je l'aime et je viens de le lui dire.

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Le général eut un rapide éclair dans les yeux, mais il baissa le regard devant son fils. — Eh bien! après, dit-il froidement.

Eh bien! reprit Emmanuel, vous êtes l'oncle et le tuteur de Léonie, vous êtes mon père bien-aimé, je viens vous demander sa main.

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- Mon père, s'écria Emmanuel, vous me faites souvenir que Léonie est riche, je l'avais oublié.

Il y avait dans la voix de l'officier un tel accent de franchise et d'honneur, il était si loin de se douter que le général eût voulu lui adresser un mot cruel et un reproche, que M. d'Herbel se sentit ému et honteux de lui-même. Il resta quelques instans sans parler, se livrant un combat intérieur qui se trahissait par le frisson de ses membres, par la mobilité de ses traits. Il se leva enfin et simplement, revenu à lui-même et à sa tendresse paternelle, il tendit les bras à son fils.

- Ah! dit Emmanuel, vous redevenez bon pour moi, vous ne m'en voulez donc plus?

- J'ai été un vieux fou, dit en souriant le général. La réalité vient. Vous vous aimez, Léonie et toi, tu me le dis, j'aime mieux cela. J'étais jaloux de toi, mon enfant, jaloux d'elle. Oh! continuat-il avec un geste, jaloux comme un père à qui l'on prend une fille aimable et chérie, jaloux tout de même et, ce qui est bizarre, absolument comme si on avait vingt ans, et c'est là ce qui me rendait injuste et méchant. C'est fini maintenant, et cela ne recommencera plus. Donne-moi ta main et dis-moi que tu ne m'en veux plus. Mon père! fit Emmanuel.

Dis-le-moi, car j'ai une objection à faire à tes projets et, pour quelque temps du moins, un chagrin à te causer.

-Parlez, mon père, et, quoi qu'il m'en coûte, je respecterai votre volonté.

-Tu veux te marier, mon enfant, et tu es soldat, et tu aimes ta carrière. Si tu es heureux en ménage, et tu le seras, je l'espère bien, tu compromets ton avenir.

-J'aime Léonie, mon père, je ne puis vous répondre autrement; mais je crois d'ailleurs que vous vous trompez. Ma femme sera la digne et vaillante compagne d'un soldat. Vous la connaissez comme

moi, elle est forte, courageuse et résignée. Elle me sera un appui et non un obstacle.

- Soit, Emmanuel, mais songe à ceci : Léonie est riche, elle est trop riche, et toi tu n'as rien.

Cela m'importe peu, mon père. Sa fortune sera la sienne, la nôtre, si vous voulez, à ma femme et à moi; mais, pour mon propre compte, je n'ai pas à m'en inquiéter. Je me suis toujours suffi à moimême; cet argent, qui ne fera que le luxe ou le bien-être de ma famille, ne m'est point nécessaire en somme. Ma fiancée serait pauvre que je n'hésiterais pas à l'épouser; pourquoi hésiterais-je davantage parce qu'elle est riche? ·

-Tu as raison, mon fils, dans ta conscience et devant moi; tu auras tort aux yeux du monde. Les grands mariages flétrissent, quoi qu'il en ait, l'homme qui les accepte. Ne te révolte pas, fit-il à un mouvement d'Emmanuel, car je n'ai pas tout dit. Ils flétrissent le père qui les permet à son fils. Je ne veux point que la déconsidération nous atteigne, si indéterminée qu'elle puisse être, si peu méritée qu'elle soit.

Vous vous opposez à notre mariage alors? dit Emmanuel en pâlissant.

Non, mais je te prie de le retarder. Léonie a dix-huit ans à peine, je suis son tuteur, et tu es mon fils. Si ce mariage se faisait aujourd'hui, ce ne serait pas seulement le monde qui aurait le droit de nous accuser, ce serait peut-être Léonie elle-même qui en aurait le droit un jour. Elle n'est qu'une enfant, et tu as les premiers battemens de son cœur. Laisse-la grandir, devenir femme. Rendezvous dignes tous les deux, par ce sacrifice et par l'attente, de cette union qui ne vous est chère encore aujourd'hui que par la poésie et la soudaineté du rêve. Quand Léonie sera majeure et maîtresse de ses actions, quand tu auras vécu trois années encore de la vie des camps dans la patience et l'abnégation, tu épouseras ta cousine.

Le langage de M. d'Herbel était celui du devoir, c'était un appel aux sentimens élevés de son fils. Emmanuel baissa la tête, cherchant dans son respect pour son père, dans la puissance même de son affection pour Léonie la force d'obéir.

Va, mon enfant, fit doucement le général, je ne te dirai pas que c'est là ma volonté formelle sur laquelle je ne saurais revenir; j'ai trop de confiance en toi et dans ta loyauté. Je ne veux même point être mêlé à tout ceci. Je ne parlerai de rien à ma pupille. Vois-la, répète-lui ce que je désire; si elle t'aime fortement, elle acceptera ce délai que je vous impose. Elle comprendra que je dois agir ainsi pour vous comme pour moi. La jeunesse a l'avenir devant elle, il est digne d'elle de savoir le mériter.

Quelle que fût la douleur d'Emmanuel, il fit part à la jeune fille

de la décision du général. Il le fit sans amertume, avec une énergie généreuse, ne pensant point à l'apitoyer sur ses propres souffrances, mais à la raffermir et à la consoler. C'est une longue absence,

lui dit-il, mais l'amour est plus fort que l'absence et le temps. Léonie se montra courageuse et résignée. Elle aussi, en s'abandonnant à sa faiblesse, eût craint de trop affliger son fiancé. Ces quelques mois de tendresse partagée, de sensations nouvelles, les inquiétudes qui les avaient suivis, l'aveu de son amour, ce dénoûment immédiat et cruel, avaient transformé Mile d'Herbel. Ce n'était plus une enfant ignorante de la vie, joyeuse et timide à la fois, c'était une noble et fière jeune fille que les obstacles ne pouvaient abattre. Je vous attendrai, dit-elle à Emmanuel, je suis à vous désormais et pour toujours.

Emmanuel ne pouvait plus rester aux Tourelles, et son départ fut fixé à quelques jours de là. Le général était redevenu pour lui et pour sa cousine ce qu'il avait été autrefois. Il était bienveillant et calme avec une sorte de dignité paternelle. Les jeunes gens ne le quittaient que rarement, car la solitude les mettait trop vivement aux prises avec l'émotion qu'ils ressentaient. Au moment des adieux cependant ils prirent congé de lui dans la grande salle du château. Léonie avait exprimé le désir d'accompagner seule son fiancé jusqu'à la lisière du parc, où le fidèle Spandau se tenait avec une voiture. Les jeunes gens, s'efforçant de dominer leur trouble, marchaient, les yeux humides, dans ces allées ombreuses qu'ils avaient si souvent parcourues ensemble. Ils ne se parlaient pas, sinon pour se dire par mots entrecoupés qu'ils ne s'oublieraient point, que cette absence aurait un terme, qu'ils s'écriraient souvent. Au dernier instant, Emmanuel prit Léonie dans ses bras. Il sentit qu'elle y défaillait et poussait un profond soupir. Il l'assit sur un tertre de gazon et la ranima. -Qu'avez-vous, mon Dieu ? lui dit-il, ayez du courage pour moi, qui en ai si peu.

J'en aurai, répondit-elle; mais j'ai succombé à je ne sais quel pressentiment de deuil et de tristesse. Promettez-moi, Emmanuel, d'accourir aussitôt auprès de moi si je courais un danger, si j'avais besoin de vous.

-Léonie, fit le jeune homme, vous savez que je vous aime plus que tout au monde. J'ignore ainsi que vous le péril qui peut vous menacer; mais à votre premier appel je reviendrais, et vous me verriez à vos côtés.

II.

Après le départ d'Emmanuel, les relations du général et de Léonie ne redevinrent qu'en apparence ce qu'elles avaient été. En exi

geant que son fils retournât en Afrique et que les jeunes gens attendissent trois années avant de s'épouser, M. d'Herbel avait obéi aux conseils de la raison et à de véritables scrupules d'honnêteté. Toutefois peut-être il n'avait pas été sans songer qu'il garderait ainsi sa nièce auprès de lui longtemps encore et qu'il retrouverait les habitudes d'affection et d'intimité qui lui étaient chères. Cette illusion ne dura pas. Certes Léonie ne lui témoigna ni ressentiment ni froideur; mais, en ne cessant point d'être attentive, affable et gracieuse à son égard, elle n'eut plus ces caresses vives et confiantes, ces naïves gaîtés qui charmaient le vieillard. Il était devenu pour elle un tuteur, presqu'un maître dont elle respectait les volontés, dont elle s'étudiait à prévenir les désirs; il n'était plus l'ami de sa jeunesse et le confident de ses pensées. La vie de la jeune fille était ailleurs qu'aux Tourelles, au loin, dans un pays qu'elle ne s'imaginait point, où vivait Emmanuel. Les jours où elle recevait une lettre de lui, elle était plus joyeuse, d'une joie sereine et attendrie; si la lettre se faisait attendre, elle s'attristait légèrement, mais ne se trahissait que par une attitude plus sérieuse et plus calme. Il était rare qu'elle lût à son tuteur les lettres d'Emmanuel, il fallait qu'il le lui demandât, et encore ne lui lisait-elle que les passages où il était question des expéditions de guerre ou du métier du jeune homme. Elle se réservait à elle seule les expansions ou les espérances de leur amour. Le général s'aperçut bientôt qu'il n'était plus aimé de sa nièce. Il n'en éprouva plus le chagrin exclusif et jaloux qu'il en avait ressenti tout d'abord, mais il tomba par degrés dans un découragement apathique de l'existence qu'il menait et qui avait eu pour lui de si vifs plaisirs. Il se voyait réduit à ce rôle ingrat de gardien d'une belle jeune fille qui s'isolait de l'affection même qu'il lui portait, et dont l'imagination franchissait les grilles de la prison où il avait prétendu l'enfermer.

Ce fut au milieu de ces ennuis que diverses affaires d'intérêt l'appelèrent à Paris. Il partit avec indifférence et presque content de ce voyage imprévu. Il allait échapper en effet à cette solitude à deux qui lui était un remords et un combat. Si âgé qu'il fût, le général avait le cœur tendre et l'esprit mobile, et il en venait par momens à se demander s'il ne ferait pas mieux, plutôt que de se poser en Bartholo, de rappeler son fils et de le marier à Léonie. Le bonheur de ses enfans serait le sien, et il se débarrasserait de cette contrainte qui était de toutes les heures et qui lui pesait. Il maudissait la jalousie étrange qui l'avait saisi et soupirait cependant au souvenir de ce passé qui était si près de lui et qui avait disparu pour jamais. En somme, il avait le besoin de se distraire, de se reprendre avec le sens exact et précis des fautes qu'il avait pu commettre et des moyens qu'il y aurait de les réparer.

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