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La Géologie

et la Géographie physique'

Dans l'étude de la surface terrestre émergée et de ses transformations, la géologie a été l'animatrice de la Géographie physique. Réduite à ses seuls moyens, celle-ci, à l'époque où personne ne songeait encore à unir, dans une même synthèse de groupement, les enveloppes solide, liquide et gazeuse du globe, était capable à la rigueur de nommer, de classer et de décrire; mais de ses nomenclatures et de ses descriptions elle ne faisait rien sortir de satisfaisant pour l'esprit, car elle était hors d'état d'établir, entre les accidents de la surface, des liens logiques, non plus que de percevoir les forces d'évolution qui les font engendrer les uns par les autres. La géologie, bien avant la Géographie physique, a su découvrir, dans l'apparent chaos des roches et des formes du terrain, des successions qui peu à peu se sont groupées en lois; nous savons que les lois, à leur tour, quand il y a entre elles des connexions régulières, préparent les voies à l'explication rationnelle. Le mouvement lent et continu qui transforme la surface terrestre, qui dissocie, désintègre ou recompose les roches, qui minéralise les formes organiques et qui opère, par pressions latérales ou verticales, de véritables transmutations de matière, nous paraît une puissante et admirable évocation de la science moderne, et une évocation parfois si prestigieuse, que nous sommes tentés d'y voir l'œuvre de l'imagination constructive plutôt

1. Le présent travail est un chapitre que nous avons détaché, à l'intention des lecteurs de La Géographie, de notre livre en préparation sur les Sciences Géographiques (chez Alcan; paraîtra probablement en 1924).

2. La gradation de la loi à la cause et la distinction nécessaire entre elles ont été très bien mises en lumière par E. Meyerson, De l'Explication dans les sciences, Paris, Payot, 1921; v. notamment, t. 1, p. 56-58.

LA GÉOGRAPHIE.

T. XXXIX, 1923.

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qu'une somme de patientes observations réunies une à une. Mais, en réalité, c'est par la pénétration et par la multiplicité de leurs analyses moléculaires que les géologues sont parvenus à construire leurs idées générales. C'est à son armature de science moléculaire que la géologie a dû ses progrès; l'ancienne Géographie physique ne pouvait progresser parce qu'elle ne possédait pas une armature semblable. De la géologie à la Géographie, il y a donc eu un apport de données positives acquises par l'observation; à ce point de vue, il s'est passé entre les deux sciences quelque chose d'analogue à ce qui se passe entre la Géographie et toutes les autres sciences physicochimiques et naturelles. Mais l'apport de la géologie a été et est encore particulièrement abondant, et ses méthodes éprouvées se sont imposées aux géographes d'une manière envahissante et impérieuse, de sorte que pour beaucoup d'esprits, la dernière venue des deux sciences, la Géographie physique, paraît, quand ils veulent bien admettre son existence, une sorte de doublure de la géologie; volontiers ils concevraient la Géographie physique, par rapport à la géologie, comme les théologiens du moyen âge concevaient la scolastique par rapport à leurs spéculations divines : philosophia ancilla theologiae.

Pourtant la géologie moderne a eu, en tant que science, des débuts assez modestes et fort analogues à ceux de la vieille Géographie, car comme celle-ci, la géologie fut, à ses commencements, utilitaire avant tout. La géologie naquit dans les mines et les minières, lorsque l'exploitation plus intensive et l'utilisation économique des métaux et des combustibles devinrent, au XVIII° siècle, des nécessités pour la grande industrie naissante 1. Les méthodes d'observation directe des géologues, fondées sur la stratigraphie, sur les fossiles et sur l'étude des roches éruptives ou pétrographie, se montrèrent tout de suite tellement fécondes en résultats, que non seulement elles inspirèrent de bonne heure les grandes hypothèses explicatives des neptuniens et des plutoniens, mais encore elles donnèrent aux chercheurs du sous-sol l'idée de les appliquer à l'étude du sol; c'est ainsi que l'étude des formes du terrain, qui nous

1. Cela est vrai surtout de la tectonique, née dans les mines. La géologie stratigraphique est antérieure les fossiles et les strates avaient déjà excité la curiosité de Palissy, et les travaux de Nicolas Stenon sont du xvII° siècle. Mais l'exploitation méthodique et intensive des mines apporta d'un coup une masse de documents nouveaux et donna à la science un merveilleux essor.

paraît avant tout géographique, passa tout entière aux géologues. Comment s'en étonner? A prendre rigoureusement les choses, la géologie n'est-elle pas, elle aussi, une science de surface? Ne suffit-il pas de gratter un peu le sol, de creuser des carrières et d'ouvrir des tranchées de chemin de fer pour exhumer les paysages géologiques? Que sont les 2000 mètres de profondeur où parviennent nos observations directes, que sont même les 15 000 ou 20 000 mètres auxquels nous permettent d'atteindre les hypothèses de recoupement de la géologie, qui ne sont après tout, que des hypothèses auprès des 6371 kilomètres du rayon terrestre? La géologie étudie la mince pellicule solide, aux trois quarts ameublie et transformée au cours des âges, sur laquelle nous vivons; cette étude ne lui appartient-elle pas tout entière, depuis les profondeurs accessibles jusqu'à la surface exposée à l'altération atmosphérique? Ainsi raisonnent, avec une apparence de logique, les partisans exclusifs de la géologie et de ses méthodes.

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L'invasion de la géologie dans l'étude de la surface terrestre s'est prononcée surtout au moment du triomphe de la théorie des causes actuelles, due à Lyell. Tant que les anciennes révolutions du globe, pour parler comme Cuvier, étaient attribuées à d'effroyables catastrophes dont rien dans le monde actuel ne pouvait nous donner l'idée, la surface terrestre, telle qu'elle est aujourd'hui, semblait immobilisée ou à peu près; elle ne relevait point des forces géologiques, ni même d'aucun autre mécanisme appréciable. Conception évidemment fausse. Lyell en fit justice; il démontra qu'il n'était pas nécessaire d'attribuer les transformations de la surface du globe à des agents doués d'une miraculeuse puissance, et qu'il suffisait, pour expliquer les transformations par les forces que nous connaissons aujourd'hui, de faire entrer en ligne de compte un facteur dont ses prédécesseurs n'avaient nulle idée : la longueur extraordinaire du temps sur lequel s'est répartie la constitution des successives et minces pellicules terrestres accessibles à notre observation. Expliquer toutes ces formations, depuis les terrains dits primitifs, par les forces qui agissent sous nos yeux et uniquement par celles-là, c'était faire entrer en ligne de compte,

1. Sauf quelques vérifications toujours partielles et limitées

parmi les forces géologiques, les faits de l'atmosphère, des eaux courantes et des eaux marines, aussi bien que les forces d'expansion, de pression et de gravitation internes de sorte que la géologie était amenée à étudier de près le présent pour comprendre le passé, et à analyser l'écorce terrestre telle qu'elle est, pour se représenter ce qu'elle fut. On est frappé de voir, dans les traités de Lyell et des géologues de son école, la place que tiennent des observations et des études que la plupart des géologues eux-mêmes ont consenti depuis à laisser à la Géographie physique.

Ces abandons ne proviennent pas d'une sorte de désertion scientifique ils montrent simplement à quel point les idées maîtresses de la science se sont compliquées et diversifiées depuis Lyell. A mesure que la part de l'accident grandissait en géologie avec les observations de plus en plus précises et minutieuses, et à mesure que la Géographie physique comprenait mieux les connexions superficielles entre les trois états de la matière, il paraissait que si mince que fùt la partie de l'écorce terrestre accessible aux observations des géologues, elle était encore trop épaisse pour que le mécanisme de ses formations anciennes répondit exactement au mécanisme en action à la surface trop de feuillets avaient été arrachés à l'histoire ancienne de la terre, trop de faits actuels ne s'harmonisaient pas avec les faits anciens correspondants, pour que du passé il fût possible de déduire purement et simplement le présent. C'est dans les grands tours d'horizon du Nouveau-Monde, aux États-Unis de l'Amérique du Nord, que jaillit de la simple observation des faits la distinction du sol fondamental et du sol superficiel1 le premier soumis aux lois de la géologie, le second soumis à des lois particulières qui pour une part relèvent encore de la géologie, mais qui pour une autre part, la plus grande peut-être, ne peuvent relever que de la Géographie physique. Ce que l'Amérique du Sud a été, au temps de Humboldt et de Darwin, pour le rôle de la vie organisée dans le paysage, l'Amérique du Nord l'a été pour l'intelligence des formes du terrain. Il n'y a pas là un simple hasard : le NouveauMonde se prête, beaucoup mieux que notre continent trop fractionné et trop humanisé, à la perception directe des rapports

1. Les géologues américains eux-mêmes parlent couramment de géologie fondamentale et de géologie superficielle.

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