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Reste, au milieu, le synclinal perché de l'Arclusaz qui trône au-dessus de la Combe de Savoie, face au confluent de l'Arc, ceint de son majestueux croissant urgonien. Abaissé au nord vers le synclinal transversal ou cluse du Chéran supérieur à Bellevaux, il va se relevant vers le sud, sous la poussée de surrection de la masse cristalline de Belledonne dont le sépare aujourd'hui le fossé tectonique et d'érosion de la Combe. L'érosion l'a sculpté en éperon présentant deux façades inégales qui se rejoignent ou se coupent en proue de navire. Au sud-ouest, c'est la façade déterminée par l'érosion remontante du Gargot supérieur. Ce torrent, établi sur une ligne de moindre résistance à la faveur d'une flexure qui voit progressivement s'amincir puis disparaître l'obstacle des bancs durs du jurassique supérieur, a pu largement éventrer les marnes surjacentes et saper, au même alignement, leur revêtement de calcaire urgonien. Sur ce flanc de recul se sont burinés trois torrents secondaires, jeunes, courts, en pleine activité. Leurs couloirs sont empruntés par des lavanches à domaine d'alimentation restreint. Elles viennent s'y abîmer et s'embouteiller vers 800 à 1000 m. en des goulots étroits et sinueux qui les retiennent et les abritent sur leurs flancs, retardent leur fusion, épargnant au thalweg principal leurs brusques irruptions.

L'autre façade regarde le sud-est; elle court tout le long de l'Isère sur 7 kilomètres, exactement de Miolans à la Roche-Torse. C'est un versant abrupt, un des plus formidables et des plus uniformes à-pics alpestres. De l'ouest à l'est sur un plan de projection large d'environ 2 kilomètres la ligne de faîte donne une brusque dénivellation de 2 000 à 400 mètres et de 2 144 à 384 mètres, soit une pente de 64 et 65 p. 100. A-pic bien près de la verticale, n'étaient ses rares et timides paliers et la barre tithonique dure de sa base, banquette atrophiée et résorbée par le surcreusement latéral, une miniature auprès de la banquette des Petites Roches du Grésivaudan et la falaise protectrice du pied du Vercors oriental.

La morphologie de ce nur et son étonnant état de conservation s'expliquent par la tectonique qui en a relevé la masse et par l'examen des conditions génétiques et la nature de l'érosion qui l'a modelé. Ce qui surprend le plus, dans sa structure, c'est la prodigieuse épaisseur des formations tendres, les marnes berriasiennes, valangiennes et hauteriviennes. A l'est de la

Lanche, elles dépassent 1 500 mètres. Elles ont eu la bonne fortune de se trouver armées et défendues contre les injures de l'érosion par le revêtement urgonien à l'ouest et la barre tithonique tout au long de leur base. Ces deux éléments font fonction, l'un de carapace d'une puissance protectrice énorme, l'autre de mur de soutènement des plus résistants. Si, à l'est de la Lanche, l'armature urgonienne disparaît de la ligne de faîte, la masse marneuse sous-jacente est protégée contre l'affouillement et la migration latérale par la remontée de la barre tithonique. Celle-ci, en effet, au-dessus de Grésy, se relève sensiblement et brusquement se redresse en un triple empilement sur elle-même, constituant comme un chasse-roue, une borne d'angle, protégeant la masse tendre surjacente et en retrait contre les morsures du sapement et toutes les tentatives de déchaussement. C'est ainsi que la masse entière opposa une résistance opiniâtre à une érosion obstinée, intense, lui cédant peu et reculant à peine, de toute sa hauteur, en maintenant sa pente. Tout l'effort de l'érosion portait sur l'affouillement vertical du seuil dur et péniblement entamé de la banquette tithonique.

Cette érosion fut alternativement ou simultanément l'œuvre des eaux courantes et des glaciers, des glaciers conjugués de l'Isère et de l'Arc. Le versant, en effet, fait face au confluent de l'Are; il fut donc, de plein fouet, le versant d'affrontement direct des vagues d'assaut successives, le butoir de confluence du glacier de Maurienne. La composante des deux glaciers réunis glissait en les érodant puissamment, le long de sa base et de ses flancs et avivait fortement ce versant migrateur, resté << debout ». D'autre part, en fonction du glacier de l'Isère, à la faveur de sa barre tithonique empilée à la Roche-Torse et de son revêtement urgonien, il fut un flanc d'auge parfait du défilé glaciaire qui séparait et isola sûrement les deux ombilics de la Combe de Savoie, bien individualisés, reconnaissables encore aujourd'hui en ce que les gens appellent la vallée d'Albertville à l'amont et la vallée de Saint-Pierre d'Albigny à l'aval. Un simple coup d'œil sur l'ouverture du plancher alluvial remblayé permet de constater que, du Villard de Grésy sur la rive droite au Gros-Chêne sur la rive gauche, la distance ne dépasse pas 2 kilomètres tandis qu'un peu plus en aval, elle est de 7 entre Fréterive et Chamoux. De plus, la « motte » en place du Monteiller, près la station de Grésy, faite de schistes calloviens et

liasiques tendres, prouve que le fond glaciaire n'est pas très bas et que le remblaiement alluvial, sur l'ancien seuil en place de l'encoche principale ', d'une épaisseur peu considérable 2.

Aujourd'hui, le grand outil d'érosion disparu, le versant migrateur glaciaire s'est stabilisé, gardant toute sa raideur, à peine égratigné par la seule érosion subaérienne et torrentielle.

Le long de ce mur les eaux de pluie n'ont guère le loisir de s'attarder. La pente fait qu'elles donnent tout au ruissellement, rapidement concentré en un remarquable et homogène groupe de torrents latéraux, régulièrement burinés suivant la verticale et la ligne de plus grande pente et sensiblement équidistants. entre eux. Au nombre de dix, de Miolans à la Roche-Torse, ils ont, pour la moitié, à peine dépassé le stade du parallélisme des torrents secondaires sur versants raides. Tels quels, ils sont encore grossièrement parallèles, rectilignes, serrés, pressés, avec un bassin de réception à peine esquissé et une hâte marquée à se précipiter vers l'aval. Cirque rudimentaire en haut, cône de déjection minuscule à la base, ils sont presque tous couloirs d'écoulement, au début de leur évolution; donc des organismes précaires, des appareils fluviatiles très intermittents dont le fonctionnement ne survit guère au temps des précipitations; tout entiers à évacuer rapidement la charge que leur confie leur cirque simplement ébauché et leurs flancs raides, indécis et sans

retenue.

Seule la neige parvient à s'y accrocher pour un temps, précipitation solide à écoulement différé. L'altitude du versant, l'orientation directe de la vallée qu'il domine aux vents humides du sud-ouest, son retrait vers le nord-ouest par rapport aux premières chaînes extérieures, le voisinage refroidissant des massifs centraux qui lui font face et des masses alpestres internes, toutes proches, sont responsables de l'enneigement prodigieux qui s'y abat. La pente fixe très mal cette neige.

1. Encoche principale du versant d'ombre, car la Roche-Torse (1 574 m.) pourrait bien n'être qu'un verrou démantelé et surbaissé par l'érosion postérieurement à son modelé glaciaire, et sa bosse, décoiffée au niveau de l'encoche qui l'isolait du flanc ouest de l'Armenaz. A sa base, la Combe-Etroite, empruntée par la route qui va de Grésy à Montailleur est une encoche-gouttière manifeste; de même que, sur la rive gauche, l'encoche qui isole le château de la Perrière. et dont le rebord nord-ouest fut éventré par l'érosion remontante du torrent des Hérys qui dévale sur le cône du Villard.

2. Note de M. Raoul Blanchard, professeur de géographie à l'Université de Grenoble et directeur de la Revue de géographie alpine.

Donc elle doit glisser quand sont réalisées toutes les conditions requises 1° la masse neigeuse; 2° son amollissement; 3o l'absence de barrages de retenue à l'aval.

1

La masse neigeuse fait rarement défaut au cours de chaque hiver. Quelques dizaines de centimètres suffisent pour déclencher de nombreuses et courtes lavanches. L'amollissement est rigoureusement indispensable. Il précipite dans les couloirs de vastes lambeaux de neige toute fraîche et molle, en cours ou en fin de chute. Si le temps se remet au beau, sec et froid et forme sur la neige une croûte dure qui la fige et la fixe, elle devra attendre, pour couler, non pas le seul réchauffement solaire qui n'agit qu'en surface, mais un « redoux », un relèvement notable de la température par coup de foëhn ou de vent du midi, par quoi la masse amollie décolle, perd son adhérence au sol et, sollicitée par son poids et la pesanteur, glisse sur la paroi montagneuse détrempée et transformée en plan de glissement jusqu'à la plus proche gouttière torrentielle. Il est à remarquer que le phénomène prend des proportions plus grandioses et plus générales en automne et surtout au printemps où la neige, moins froide et plus humide, adhère beaucoup moins au sol d'un versant droit, bien exposé et préalablement mis à nu et réchauffé par l'insolation déjà puissante du soleil printanier. Les lavanches, en nombre et en amplitude sont strictement en fonction de la température en hiver, elles ne sont qu'un accident provoqué par les redoux; elles ne produisent que des « noirs » dans la couverture blanche et quelques niches d'arrachement, prolongées par de longues coulées d'aspect boueux sur les parties les plus déclives. Au printemps, au contraire, le manteau neigeux est littéralement déchiré 2, mis en pièces par ces coulées vite conjuguées qui se donnent la main, se renforcent en cours de route pour dévaler, avec une vitesse accélérée par chaque renfort, le long d'un couloir torrentiel

1. Un peu en amont, au-dessus de Cléry, au printemps 1893, sur les pentes gazonnées de la Montagne de la Fougère, une avalanche par 15 centimètres de neige, surprit trois jeunes gens du pays, dont deux furent entraînés. L'un deux disparut. En 1919, les premières neiges de fin octobre, au même endroit entrainèrent trois meules de foin.

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2. Il est des jours particulièrement chauds, d'une chaleur humide et lourde où le versant « foire de toutes parts et se dégarnit en une seule après-midi. Les coulées fusent partout, à vue d'œil, semblent s'appeler et sûrement se provoquent par leur déplacement d'air forminable, sensible jusque dans les villages de la vallée et le grondement de tonnerre de leur roulement et de leur chute au point d'arrêt.

qui en canalisera la masse parfois jusqu'à la plaine de l'Isère, si aucun barrage n'est venu s'interposer.

Ces barrages, ce sont le boisement, les ressauts ou paliers rocheux qui font rupture de pente et parmi eux, au premier rang mais bien près du pied du versant, vers 600 mètres, de 800 à 1000 au-dessus de Grésy, la banquette atrophiée de la barre tithonique.

Le boisement est un obstacle sérieux aux lavanches : les branches retiennent la neige et les troncs sont autant de clous qui fixent le manteau neigeux au sol, de même que leur ombre atténue l'insolation, l'amollissement et retarde la fusion. Chacun sait que les bois retiennent la neige plus longtemps que les espaces découverts. Mais les cirques, à cause de leur grande élévation et de leur excessive raideur ne connaissent pas cet obstacle, non plus que les couloirs, lignes de plus grande pente, véritables cheminées, périodiquement ramonées par le ravinement torrentiel et le racloir des lavanches, des trombes qui balayent tout, interdisant toute tentative humaine de correction et de reboisement. Donc, peu ou point de lavanche dans toute l'étendue des taillis au dessous de 1500 mètres environ. Par contre, elles trouvent un domaine de prédilection dans la zone gazonnée qui les domine. C'est là qu'aux premières chaleurs du printemps, se multiplient à plaisir les niches d'arrachement dont le plus grand nombre convergent vers la ligne du couloir le plus proche, les autres viennent expirer aux abords des premiers taillis. Elles les saccagent et les mutilent chaque année, ne contribuant pas peu à leur donner un air rabougri, souffreteux, précaire et à en abaisser la limite supérieure. Leur coup de balai n'épargne que la falaise urgonienne où la neige ne parvient pas à s'accrocher, de même que la croupe marneuse de l'arête à l'est, où la pente demeure indécise et garde longtemps, jusqu'à la fin juin, une étroite et longue carapace neigeuse, un liséré blanc qui épouse toutes les sinuosités du faîte et ne disparaît tout à fait que sous les coups de la chaleur solaire ou des pluies estivales.

Les barrages rocheux n'abondent pas dans ce mur si uniforme. En haut, à 100 mètres en contrebas de la falaise urgonienne, court une banquette minuscule, le cordon de la « Petite-Roche 1».

1. Banc de calcaires jaunes du Barrémien inférieur, d'après M. Révil, in Géologie des Chaines jurassiennes et subalpines de la Savoie, t. I, p. 460.

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