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a gagné ses cousins déloyalement, les traitements indignes qu'il a fait subir à leur femme, et la responsabilité qu'il a prise en s'obstinant à une guerre qu'il pouvait aisément éviter. Drona se plaint encore des reproches qui lui sont adressés et de ces paroles acérées qui le percent comme des flèches. Malgré ces récriminations bien inutiles, il obtempère bientôt aux ordres du roi, et il prépare une nouvelle lutte, qui ne lui sera pas plus favorable que les précédentes. Douryodhana, peu rassuré et peu content, ne sait pas contenir l'expression de son inquiétude, et il s'épanche dans le sein de Karna. Celui-ci reçoit avec déférence les plaintes du roi; mais, loin d'accabler Drona, comme aurait pu l'essayer un rival vulgaire, il le défend et rejette sur le destin seul tous les revers qu'on a successivement éprouvés1. Il convient cependant que Drona est bien vieux pour résister au bouillant courage du jeune Ardjouna.

Douryodhana, tout en faisant appel à la science et à l'énergie de Drona, n'entend pas du tout se ménager lui-même. Désolé de la mort de Djayadratha, il cherche à s'illustrer par un trépas non moins glorieux. Il s'élance avec rage sur les Pandavas et leurs alliés, et il en immole bon nombre sous ses coups 2; il parvient jusqu'au roi Youddhishthira, avec lequel il engage un duel rapide qui n'a pas d'issue; car la foule des combattants les sépare bientôt. La bataille recommence sur toute la ligne, quand la nuit obscure s'étend sur les deux armées; elles n'en continuent pas moins leur lutte acharnée; mais, dans l'obscurité, le carnage est encore plus horrible et plus confus qu'à la clarté du jour. C'est Drona qui semble reprendre l'avantage. Ardjouna tente quelques moments, mais bien en vain, de s'opposer à l'Atchârya 3. Drona renverse des bataillons entiers, quand ils ne fuient pas à son aspect. Le seul adversaire qu'arrête en cet instant l'armée des Kourous, c'est le géant Ghatotkatcha, le Rakshasa terrible. Il se mesure spécialement avec le fils de Drona, le vigoureux Açvatthâman. Le duel doit être fatal à l'un des deux. Les champions commencent par s'outrager en paroles. Ghatotkatcha, quoique fils de Bhîma et simple mortel, dispose cependant d'une puissance magique qui devrait le soustraire aux étreintes les plus funestes du plus vaillant ennemi; à un certain moment, il peut planer au-dessus du sol et s'envoler dans les airs; à un autre moment, il fait mieux encore: il disparaît et se change immé

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1 Mahabharata, Dronaparva, çlokas 6533-6601. - Ibid. çloka 6614. Les combats particuliers et les duels se succèdent sans que le poëte donne à chacun de ces épisodes des développements suffisants. — 3 Ibid. çloka 6766.

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diatement en une montagne couverte d'une immense forêt1. Mais ce n'est pas là une grande difficulté pour Açvatthâman; il lance à la montagne «l'astra de la foudre, » et il la réduit à reprendre une forme humaine. Ghatotkatcha revient donc à sa figure ordinaire, qui n'est pas belle, à en juger par la description qu'en donne le poëte 2, et il est entouré de ses troupes, Rakshasas, aussi féroces si ce n'est aussi forts que leur maître. Mais rien ne trouble le brave Açvatthâman; il essaye même de communiquer son assurance et son sang-froid à Douryodhana, qui a complétement perdu le sien. Il se jette sur les Rakshasas, tout nombreux et tout redoutables qu'ils sont, et il les a bientôt dispersés. Ghatotkatcha a beau vouloir arrêter la déroute et reformer les rangs rompus, il n'y peut réussir. Dhrishtadyoumna n'est pas plus heureux. Le carnage redouble sous la main toujours victorieuse d'Açvatthâman 3. Ghatotkatcha, après avoir vu tomber un nombre immense. des siens, tombe à son tour sous ce bras infatigable; il est percé d'une flèche, qu'Açvatthâman a lancée si vigoureusement, qu'après avoir traversé le géant de part en part elle va se cacher tout entière dans le sol. Drishtadyoumna, le généralissime des Pandavas, en est réduit à fuir comme les autres, tandis que tous les demi-dieux, Nagas, Pisâtchas, Garoudas, les Siddhas, les Gandharvas, les Apsaras et les dieux euxmêmes, viennent applaudir le fils de Drona, aussi habile et plus vigoureux que son auguste père.

Cependant les Pandavas, qui voient leurs principaux chefs toujours à leur tête, ne se découragent pas, et la bataille continue aussi furieuse que jamais.

BARTHÉLEMY SAINT-HILAIRE.

(La suite à un prochain cahier.)

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Mahabharata, Dronaparva, çlokas 6814, 6833, 6837. - Ibid. çlokas 6791 et suivants. Voici quelques traits de la physionomie de Ghatotkatcha: Sa terrible "personne est aussi haute qu'une cime de montagne; sa bouche a des dents menaçantes et longues; ses oreilles sont droites comme des pieux de fer; ses mâ« choires sont énormes; ses cheveux sont hérissés sur sa tête; ses yeux louchent; a sa bouche jette des flammes; son ventre est creux; son cou semble l'entrée d'une caverne. Sa gueule, constamment ouverte, paraît menacer tous les êtres « d'une destruction inévitable; il s'avance pareil à un incendie. On conçoit que cet être hideux puisse terrifier l'armée des Kourous, dès qu'il se montre. Mais que devient la réalité au milieu de ces fantaisies monstrueuses? Ibid. çlokas 6902

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et suiv. — Ibid. çloka 6921.

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1 vol.

LA GEOGRAPHIE DU TALMUD, mémoire couronné par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, par Adolphe NEUBAUER. grand in-8° de XXVIII-466 pages; Paris, 1868, chez Michel Lévy frères.

M. Neubauer, l'auteur de ce livre, est un hébraïsant de la plus haute distinction, qui a déjà publié, tant en allemand qu'en français, plusieurs travaux justement remarqués sur la lexicographie hébraïque, sur les Karaîtes et sur les inscriptions tumulaires recueillies en Crimée. En ce moment même, grâce à la réputation que lui ont value ces précieuses recherches, il est occupé à rédiger le catalogue des manuscrits hébreux de la Bibliothèque bodléienne, à Oxford. Mais, avant de partir pour l'Angleterre, d'où il nous reviendra, il faut l'espérer, avec une riche moisson de documents inédits, il a habité la France assez longtemps pour se rendre maître de notre langue, pour faire connaissance avec nos bibliothèques et prendre part au concours que l'Académie des inscriptions, en 1863, a ouvert sur ce sujet :

Réunir toutes les données géographiques, topographiques et histo«riques sur la Palestine, disséminées dans les deux Talmuds, dans les «Midraschim et dans les autres livres de la tradition juive (Meguillat «Taanit, Seder Olam, Siphra, Siphri, etc.). Présenter ces données «dans un ensemble systématique, en les soumettant à une critique « approfondie et en les comparant à celles que renferment les écrits de «Josèphe, d'Eusèbe, de saint Jérôme et d'autres auteurs ecclésiastiques << et profanes. >>

Le prix a été décerné au mémoire de M. Neubauer, et ce n'est qu'une partie de l'ouvrage couronné, celle qui se rapporte à la géographie, qu'il a fait paraître, il y a quelques mois, sous le titre inscrit en tête de ces lignes. On se tromperait cependant d'étrange façon, si l'on s'attendait à ne trouver dans ce volume qu'un ouvrage de géographie pure. Ce n'est jamais dans l'intérêt de la géographie elle-même que les monuments de la tradition juive renferment des indications géographiques, mais pour définir avec plus de précision certains détails de la liturgie, certaines pratiques religieuses et les circonstances favorables ou défavorables dans lesquelles elles doivent être observées. On conçoit à quel point des renseignements donnés dans cet esprit et sous cette influence

sont nécessairement obscurs et incomplets. Les questions géographiques sont donc ici inséparables des questions théologiques, philologiques et historiques. Pour comprendre les docteurs de la Synagogue, lorsqu'ils citent le nom ou donnent la description d'une ville, d'un pays, d'une montagne, d'un fleuve, il faut connaître toutes leurs habitudes d'esprit et de langage; il faut être dans le secret de leurs allusions, toujours compliquées d'idées théologiques; il faut avoir une connaissance approfondie de l'idiome talmudique, informe mélange composé avec les débris de plusieurs langues devenues méconnaissables dans cet assemblage.

Toutes ces conditions, M. Neubauer les a remplies; mais il connaît trop bien et est trop habitué à suivre les règles de la saine critique pour ne pas s'avouer à lui-même que les résultats obtenus par d'aussi laborieuses investigations ne tiennent pas moins de la divination que de la science. Aussi ne manque-t-il pas de les confronter, toutes les fois que cela est possible, avec les témoignages des auteurs contemporains et les enseignements les plus authentiques de l'histoire.

Sa conscience de savant ne pouvant se contenter des sources pourtant déjà si nombreuses et si difficilement abordables que lui signalait l'Académie des inscriptions et belles-lettres, il a voulu, pour remplir le programme qui lui était tracé, mettre à contribution, non-seulement les deux Talmuds, les Midraschim et les vieilles chroniques, mais les Targoumim, c'est-à-dire les traductions araméennes, improprement appelées chaldaïques, des diverses parties de l'Ancien Testament, et jusqu'aux prières et compositions élégiaques qui, par leur caractère légendaire et homilétique, se rapprochent de l'Agada. On ne saurait trop approuver M. Neubauer d'avoir fait usage de ce supplément d'information. Les Targoumim sont une mine féconde, qui n'a pas encore jusqu'aujourd'hui été suffisamment explorée. C'est là, aussi bien que dans la Mischna et la Guémara, quoique sous une forme détournée, que, pendant trois ou quatre siècles, les plus obscurs qu'on puisse rencontrer dans l'histoire du judaïsme, les différentes générations israélites ont laissé l'empreinte de leurs idées, de leurs sentiments et de leurs connaissances.

Les scrupules de M. Neubauer l'ont bien servi. Ils l'ont conduit à réunir une diversité de faits, de traditions et de légendes, qui rend son livre non moins intéressant, nous irons jusqu'à dire non moins agréable qu'instructif. Pour en donner la preuve, nous choisissons une citation au hasard : c'est la notice que l'auteur a consacrée à la ville d'Ascalon.

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« Ascalon était une ville importante tant à l'époque du premier qu'à l'époque du second temple. Hérode le Grand, qui, selon Eusèbe, était originaire d'Ascalon, avait embelli sa ville natale par différents édifices. Ascalon, ville des Philistins, et qui a vu naître plus tard ce roi étranger, ne fut pas admise par les talmudistes comme ville d'Israël au point de vue des observances religieuses. Elle fut considérée comme ville frontière du sud. Ascalon fut encore abhorrée par les Juifs à cause de son idolâtrie. On y adorait la déesse Derceto, et les Talmuds « mentionnent une autre idole d'Ascalon, appelée Çarifa ou Caripa, qui « est peut-être la divinité romaine Sarapia ou Serapia.

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« Les habitants d'Ascalon rendaient leur haine aux Juifs. Malgré toutes «ces inimitiés, et quoique les environs d'Ascalon fussent déclarés impurs (déclaration probablement rétractée plus tård, comme cela eut lieu d'autres villes), Ascalon possédait non-seulement une population « pour «juive assez nombreuse, mais aussi des docteurs célèbres, entre autres Siméon ben Schétah, frère de la reine Alexandra. Les Talmuds cepen« dant rendent justice à un païen d'Ascalon qui honorait son père d'une a façon exceptionnelle, de sorte qu'on le propose comme exemple pour « l'accomplissement du cinquième commandement du Décalogue. On «demanda un jour à Rabbi Éliézer: «Jusqu'à quel point faut-il hono«rer son père et sa mère?» «Allez, dit-il, chercher la réponse chez «le païen Dama ben Nethina à Ascalon.

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« Un jour, on vint chez ce Dama pour acheter des pierres précieuses «destinées à l'Éphod1. On lui offrit une somme considérable. Or les « clefs de l'écrin où ces pierres étaient renfermées se trouvaient sous «l'oreiller de son père, qui dormait en ce moment. Dama, plutôt que de troubler son sommeil, laissa partir les acheteurs et renonça au « bénéfice énorme qu'on lui offrait. »

Le tableau que M. Neubauer, toujours d'après la Guémara, a tracé de la Galilée et des Galiléens, appelle particulièrement l'attention, parce qu'il peut servir à éclairer certains points obscurs de l'histoire du judaisme et de la tradition évangélique. Les Galiléens répugnaient, par la pente naturelle de leur intelligence et de leur caractère, aux subtiles discussions d'où est sortie la Halacha, ou cette foule d'observances instituées par les docteurs de la Synagogue pour servir de clôture à la loi (Siag lathora). Ils aimaient mieux rester fidèles aux anciens usages, et la prédication inspirée par le sentiment ou ornée par l'imagination avait

Une des pièces du costume du Grand Prêtre, celle qui couvrait sa poitrine et qu'on appelle, pour cette raison, le pectoral.

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