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tretien des routes. Sa sévérité l'avait fait d'abord disgracier sous Claude; on lui avait plus tard donné l'armée de Belgique à qui il avait fait creuser un canal de vingt-trois mille pas, entre la Meuse et le Rhin (Fossa Corbulonis).

Dès que Burrhus arriva aux affaires, il se hâta de lui confier un commandement plus difficile, celui de l'armée d'Orient. Les Parthes menaçaient la frontière de l'Empire, l'Arménie voulait se révolter, excitée par le roi Tiridate, et les soldats romains étaient hors d'état de leur résister. Corbulon trouva, en effet, une armée amollie par les délices de l'Orient et en quelque sorte efféminée. Les soldats ne pouvaient plus supporter ni casques ni cuirasses; ils avaient pris les longs vêtements des Asiatiques. Corbulon rétablit la discipline, la vigueur, l'habitude des fatigues, retrempa ses soldats sur les hauts plateaux de l'Asie, au milieu des neiges. Il donnait l'exemple, tête nue, vêtu d'un léger manteau militaire, bravant un froid qui faisait geler et tomber à terre les mains des soldats attachées à leurs fardeaux. Corbulon était trop attaché aux vieilles mœurs militaires de la république pour n'être pas un peu stoïcien. Une doctrine commune, autant que ses vertus, assurait Sénèque et Burrhus de sa fidélité.

Plusieurs bustes nous font connaître Corbulon. Comment les désignet-on avec assurance? C'est la découverte même du premier buste qui sert de garantie à l'explication. En 1791, dans les fouilles que le prince Borghese entreprit à Gabies, on trouva un petit édifice consacré à la mémoire de Domitia, fille de Corbulon. Une inscription ne laissait aucun doute sur la destination de ce monument. Dans une niche ménagée au milieu de la paroi principale, se trouvait un buste qu'on a supposé être celui du père de Domitia. Ce buste a été transporté au musée de Paris, qui en possède un autre presque identique; il a été comparé à d'autres bustes qui sont à Rome, en Angleterre, où ils ont été rapportés par M. Hamilton. L'accord de tous ces monuments a paru constituer le type de Corbulon. Je dois faire cependant une objection qui a de la gravité. Tacite nous dit que Corbulon était de grande taille, qu'il avait de la prestance, un langage magnifique, et qu'outre son expérience et son talent il était puissant même par de vains dehors. Or les sculptures produisent une impression toute différente. La tête et les épaules annoncent un personnage petit; le front est bas, contracté; la bouche peut être une bouche d'orateur, et la disposition des muscles peut indiquer l'habitude de la parole, mais elle n'a aucune noblesse. En un mot, rien ne rappelle ce grand air et cette beauté militaire dont parle Tacite. L'expression de la rectitude, de l'honnêteté, de la persévé

rance, une intelligence suffisante, tendue vers le devoir et vers l'honneur, voilà tout ce qu'on lit sur les portraits que l'on suppose être ceux de Corbulon.

Sûrs des prétoriens et de l'armée d'Orient, les précepteurs de Néron avaient besoin du sénat pour la politique intérieure et l'administration. Pour rendre de la vigueur à ce corps énervé, ils y fortifièrent et y poussèrent au premier rang les hommes les plus indépendants, les plus nobles, les plus capables de s'associer à des réformes courageuses: d'abord Cassius, descendant du meurtrier de César, qui se recommandait par son opulence héréditaire, la gravité de ses mœurs, le culte de ses ancêtres; puis Silanus, qu'une naissance illustre, une jeunesse sagement réglée, signalaient à tous les regards autant que les malheurs de sa famille, décapitée sous tous les empereurs comme la moisson destinée à la faux. On fit rentrer Plautius Lateranus, qui avait été mis au nombre des amants de Messaline et rayé du sénat : son caractère élevé, sa noblesse, sa fermeté, rachetaient un entraînement de jeunesse; son palais et ses jardins occupaient l'emplacement de la basilique actuelle de SaintJean-de-Latran. Enfin Pætus Thrasea, de Padoue, Gaulois d'origine, la plus belle figure du temps, un sage et un vrai citoyen, dont la richesse n'était surpassée que par le désintéressement et dont la réputation n'avait d'égale que la vertu, put exhorter librement les sénateurs à de mâles résolutions.

Pour administrer les provinces ou commander les pays conquis, les ministres s'assurent le concours de magistrats capables et honnêtes, Ostorius Scapula, qui contiendra les Bretons; L. Vetus et Barea Soranus, qui seront tour à tour proconsuls d'Asie, et donneront l'exemple de l'administration la plus intègre; d'autres que l'histoire n'a point cités ou qu'elle ne signale plus tard qu'à l'heure de l'exil et du supplice.

Ainsi constitué, que fait ce parti des honnêtes gens qui s'est emparé des affaires, du consentement de Néron, trop jeune, malgré les protestations d'Agrippine irritée et tendant les mains vers un pouvoir perdu? Forme-t-il une ligue temporaire ou représente-t-il une doctrine politique? Se bornera-t-il à des remèdes qui apaisent et à des demi-mesures qui gagnent du temps, ou veut-il modifier le gouvernement dans son principe et selon un plan? Est-ce une régence qui ne durera qu'autant que l'occasion, ou le triomphe d'une idée qui survivra à ceux qui la font triompher? Telle est la question, tel est le secret de l'avenir, pour tout parti et surtout pour un parti d'honnêtes gens.

Le premier discours de Néron, dans le sénat, qui avait été rédigé par Sénèque, peut être considéré comme un véritable programme. Aus

sitôt après avoir été proclamé par les prétoriens, le pupille de Burrhus et de Sénèque exposa quelle serait la forme de son gouvernement, formam principatus sui.

D'abord les procédures juridiques seront rétablies; les causes ne seront plus évoquées au Palatin; les débats redeviendront publics.

En second lieu, la vénalité des charges sera interdite et l'on ne verra plus les scandaleux trafics des affranchis de Claude.

En troisième lieu, la division des provinces fixée par Auguste sera respectée et l'on ne confondra plus celles qui sont gouvernées par le sénat avec celles qui sont la propriété du fisc impérial. L'administration et les finances seront distinctes: l'empereur se contentera de posséder la meilleure moitié du monde et n'empiétera plus sur la part du peuple romain. L'Italie et les provinces de l'empire qui appartenaient au peuple romain, au lieu de recourir à l'empereur pour toutes les difficultés et pour les procès, devront s'adresser au tribunal des consuls. Grâce à cette juridiction reconquise, les consuls et le sénat retrouveront leur influence, confisquée par les procurateurs des Cé

sars.

Mais ce programme, qui obtint l'approbation universelle, n'était qu'une restauration apparente et au fond qu'une fiction. Ces promesses sont des concessions bénévoles ou l'expression d'intentions honnêtes; mais, dans tout cela, il n'y a rien d'absolu, rien qui lie, rien qui soit une garantie durable comme la loi. Il ne faut pas confondre la division des provinces avec la séparation des pouvoirs, et cette division même est illusoire, puisque, dans la pratique, elle dépend du bon plaisir du prince, qui la fera disparaître comme ses prédécesseurs, de la faiblesse du sénat, qui est trop démontrée, de la bassesse des magistrats, qui ont trahi tant de fois leur mandat, de l'intelligence des provinces qui savent ce qu'elles gagnent à recourir directement à l'empereur.

Il ne faut point se payer d'illusions. Les réformes proposées par les nouveaux ministres sont une simple rectification du système impérial, altéré pendant deux règnes. C'est un retour à l'organisation d'Auguste, et la décadence a été si rapide, que déjà cette organisation apparaît comme un rêve et un âge d'or; de même que les mots charmants fabriqués par Sénèque, répétés par Néron, répandus dans l'univers par le journal de Rome (Acta diurna): «Attendez que j'en sois digne! Je « voudrais ne point savoir écrire ! » sont une contrefaçon de la modération et de la clémence d'Auguste.

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Mais des promesses et des mots, il faut passer aux actes. Or ces actes seraient sans portée contre un pouvoir jaloux de ses priviléges ou cruel.

Tout est précaire, tout dépend de l'impuissance du jeune despote et de la vertu de ses conseillers, tout disparaîtra au premier souffle. Que fait ce sénat lui-même, qu'on a voulu relever, enhardir, à qui l'on remet, en apparence, les affaires de l'empire? Le sénat s'occupe avant tout de se protéger contre les délateurs, ses grands ennemis; il abolit le salaire des orateurs, c'est-à dire l'appât de la dénonciation; il poursuit les concussionnaires et les magistrats infidèles; il dispense les questeurs, c'est-à-dire les jeunes patriciens qui entraient dans la carrière politique, de donner des combats de gladiateurs, c'est-à-dire de se ruiner; il fait régler les pensions qui seront données par le prince aux sénateurs pauvres : ces pensions peuvent atteindre une somme qui équivaut à 10,000 francs de notre monnaie. Telles sont les graves mesures adoptées ou provoquées par le sénat. On n'ose aller plus loin: on est arrivé à la dernière limite du libéralisme. C'est au point que Thrasea, entendant un jour ses collègues agiter pendant toute une séance la question suivante : « Combien de paires de gladiateurs les habitants « de Syracuse seront-ils autorisés à produire dans l'arène?» ne put s'empêcher de leur faire honte et de leur rappeler que c'étaient les intérêts de l'empire, les lois, les institutions qu'il devaient discuter. Mais Thrasea mettait le doigt sur la plaie sans pour cela la guérir. Les questions frivoles trouvaient faveur parce que les questions essentielles paraissaient pleines de péril.

Au fond, dans ce gouvernement d'honnêtes gens, de grandes personnalités ont pris place, parce que la personnalité du prince n'apparaît pas encore et parce qu'il n'a souci que de ses plaisirs. Leurs intentions sont excellentes, leurs promesses sincères; mais la force des choses les empêche d'aller plus loin. L'organisation de l'empire est si vaste, si compliquée, si difficile à soulever, les maux sont si profonds, les abus si invétérés, qu'il faudrait détruire la société romaine pour la réformer. Les siècles seuls pourront amener cette dissolution. Les ministres de Néron se contentent donc de rétablir une apparence d'ordre, de régularité administrative; ils reviennent aux formes juridiques, font de bons choix, répriment les excès, encouragent, exhortent, pardonnent. On sent que les mains qui tiennent le pouvoir sont plus pures; on se détend, on respire, on espère, entre Agrippine impuissante et Néron contenu; malheureusement ce n'est ni une révolution définitive, ni un changement de constitution, c'est un replâtrage, et, selon l'expression de Tacite, un fantôme de république. Rien n'est établi, rien n'est proclamé comme doctrine politique, rien n'est converti en institutions. Tout dépend de quelques hommes: ces hommes écartés, le despotisme brisera leurs

liens de soie et leurs guirlandes de fleurs pour reprendre sa course et ses bonds furieux.

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On peut donc rendre hommage à ceux qui ont procuré cette paix au monde et le calme entre deux tempêtes. Après les règnes de Caligula et de Claude, cinq années de repos étaient nécessaires aux Romains ils en ont joui avec ivresse et leurs illusions étendaient cet âge d'or dans un avenir sans limites. Ces cinq ans furent appelés plus tard non pas l'âge d'or, mais le lustre d'or, le lustre sans pareil. Trajan, qui savait ce qu'il en coûte en coûte pour bien gouverner, citait cette période comme la plus heureuse de l'empire et la plus exemplaire. Il faut s'incliner devant cette régence trop courte, qui ne fut qu'une régence, mais qui rendit le règne de Néron populaire, qui consola l'univers et lui donna le répit nécessaire pour se préparer à de nouvelles épreuves.

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Si l'on pénètre la vie secrète de ces ministres et leur politique de palais, on sent tout ce que leur influence a de précaire leur mérite n'en est que plus grand. Le feu couve sous leurs pieds; ils ne se dissimulent point que tout peut éclater d'un moment à l'autre; leur vertu est sans cesse réduite à des complaisances dont ils rougissent, leur tolérance va jusqu'à la faiblesse, leurs concessions sont parfois une lâcheté. Que dis je? ils sont forcés de fermer les yeux sur les débauches de Néron, d'y prêter les mains et de rester les spectateurs muets de ses premiers crimes. Or un spectateur muet devient un complice. Sénèque met un de ses disciples en avant pour couvrir les rendez-vous de Néron avec Acté, l'affranchie. Après le meurtre de Britannicus, que Néron complote avec Locuste dès la première année de son règne, les ministres sont forcés de recevoir des terres, des villas, des présents, que l'empereur leur distribue pour acheter leur silence. Tacite, à ce sujet, reproduit les murmures du public et le blâme des stoïciens. Enfin les premiers emportements de Néron, ses liaisons avec de jeunes débauchés, ses orgies, ses violences, le scandale qui éclate, font gémir les anciens précepteurs sans qu'ils jugent prudent de s'y opposer. Leurs observations sont si rares, leurs luttes si discrètes, leur résistance si molle! Ils perdent du terrain, ils sont vaincus chaque jour par l'invasion et les attaques des épicuriens autant que par le tempérament du prince, qui se développe rapidement dans ce milieu empesté. Ils ressemblent à ces colons africains qui élèvent un jeune tigre, prévoyant le jour où ses instincts sanguinaires éclateront malgré leurs soins et la douceur d'une nourriture calculée.

Le coup de tonnerre fut l'assassinat d'Agrippine. Ni Burrhus ni Sénèque n'avaient cru, en excitant le fils contre la mère, qu'ils le pousse

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