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mais n'effacent jamais dans l'œuvre cette vérité religieuse, qui en est l'unité.

De même les lois de la fatalité, qui président à la destinée humaine, sont méditées, interprétées, résolues par le poëte. Il les cherche dans le royaume de la mort. «La terre et, avec elle, les divinités infernales <«< avaient la garde des éternels principes par lesquels l'univers se con« serve. Du sein de la terre s'élevaient à sa surface la vivante nature, les << plantes, prêtes à produire des fleurs et des fruits gonflés de sucs nourriciers. Dans son sein retournaient s'ensevelir les graines flétries, « pour y renouveler, à la source intarissable et commune, la séve épuisée. De même la terre s'ouvrait pour recevoir, après leur existence << apparente, les animaux et les hommes. Elle leur donnait asile dans a les ténèbres, près du foyer de la vie universelle. N'était-ce pas là que, <«< comme le reste de la nature, ils avaient puisé la force de naître et de <«< croître à la lumière du ciel? Pour eux, comme pour la végétation, la « vie n'était-elle pas sortie de la mort?..... Ce fut la pensée qui déter<<< mina le culte des ancêtres et des héros, intermédiaires naturels entre <«<le monde terrestre et le monde souterrain; la croyance aux oracles, « souffle prophétique de la terre; la foi dans les anges et les apparitions.... << enfin la croyance aux Erynnies à la mémoire fidèle, redoutables émis<<< saires des parents outragés et des puissances infernales. »

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M. Girard expose, dans trois résumés successifs, la part que le poëte a faite à ces doctrines qui deviennent des ressorts dramatiques d'une importance capitale. Il étudie d'abord les songes et les oracles, en particulier le songe des Choéphores; puis les apparitions, celle de Clytemnestre dans les Eumenides, celle de Darius dans les Perses, celle des Érynnies dans les Choéphores; enfin le rôle de l'Imprécation et des Érynnies dans le théâtre d'Eschyle, ou, du moins, dans tout ce qui nous en est resté. Le rôle des Érynnies surtout est analysé avec une force et une élévation qui nous font pénétrer le génie d'Eschyle. Quelle hardiesse religieuse et consolante que de peindre ces êtres monstrueux, vierges hideuses, personnification des remords et de la vengeance, filles de la nuit, habitantes des ténèbres infernales, séparées par leur nature de toutes les races qui peuplent le monde, de les vaincre par l'entremise d'Apollon Pythien, dieu de la justice clémente et de l'expiation, de les persuader par la parole ferme et sage de Minerve, de les transformer en puissances bienveillantes, que peut toucher le repentir, dont la justice n'est plus inexorable, et qui s'établissent aux portes d'Athènes dans le sanctuaire qui leur est solennellement consacré ! Les Furies deviennent les Euménides: il était réservé au caractère essentiellement humain et

AVRIL

conciliant des Athéniens de revêtir d'une forme aussi poétique un dogme nouveau, un progrès moral, et le principe qui conduit harmonieusement les mortels et les puissances qui règlent leur destinée vers un idéal commun de bien et de bonheur.

Encore une fois l'analyse est impuissante à faire sentir tout ce que contient le livre de M. Girard. Sa portée philosophique égale sa portée littéraire, de même que le mérite du style égale le mérite des traduc tions des auteurs, qu'il multiplie et qui ajoutent au charme. On se sent en pleine Grèce, ou, pour mieux dire, on comprend mieux le génie grec, dans ce qu'il a de grave, d'attique, de particulier, d'inexploré pour les modernes. M. Girard déclare dans sa préface que, depuis longtemps, il développe cette suite d'idées devant les jeunes maîtres de l'École normale: aucune nourriture n'est plus digne d'eux, aucun enseignement n'est plus propre à former de véritables professeurs, aucune publication ne fait plus d'honneur à la critique française.

Cette année même, à titre d'essai, une seconde chaire de grec vient d'être ouverte à la Sorbonne. Tous les amis des lettres et de la science applaudiraient à cette fondation, si elle était complète, définitive, éclatante. La littérature grecque, la plus riche du monde et la plus féconde en leçons, ne saurait avoir moins d'interprètes que la littérature latine. En outre, la Faculté de Paris, qui a réclamé cette fondation, ajoute à son autorité tout le poids de l'opinion publique. M. Girard, enfin, qui a été appelé à exposer dans cette chaire les principes et les idées que le succès le plus solide avait consacrés à l'École normale, mérite de compléter, sans épreuve préalable, cette savante Faculté des lettres qui l'appelle de tous ses suffrages.

BEULE.

LA VIE ET LES TRAVAUX DU BARON CAUCHY, membre de l'Académie des sciences, par C. A. Valson, professeur à la Faculté des sciences de Grenoble, avec une préface par M. Hermite, membre de l'Académie des sciences. Deux volumes, 1868, Gauthier-Villars.

Le premier volume de M. Valson raconte, avec de minutieux détails, la vie de l'illustre géomètre, considéré comme chrétien fervent plus encore que comme savant. Nous nous proposons ici de rendre compte du second, spécialement consacré à l'œuvre scientifique de Cauchy. En présence de sept cent quatre-vingt-neuf mémoires relatifs aux théories les plus diverses incessamment abordées, abandonnées et reprises, M. Valson a renoncé à la tâche de tout analyser, même sommairement, mais il a tout énuméré et tout classé; nous ne pouvons avoir la prétention d'en faire autant, et nous nous bornerons à signaler les traits principaux de l'œuvre dont l'importance, qui grandit chaque jour, assure à Cauchy l'un des plus grands noms que puisse citer l'histoire des mathématiques.

Augustin Cauchy, né à Paris le 21 août 1789, entra à l'École polytechnique à l'âge de seize ans. Quatre ans plus tard, en 1811, il débutait avec éclat dans la science par la solution aussi simple qu'élégante d'une question proposée par Poinsot. Tout en rendant justice au consciencieux et utile travail de M. Valson, je dois signaler l'absence regrettable du nom de l'illustre géomètre dans l'analyse de ce premier mémoire, aussi bien que dans le récit des circonstances qui s'y rapportent. Poinsot et Cauchy ne s'aimaient pas; leurs contemporains ne l'ont pas ignoré. Candidats tous deux à la succession de Lagrange dans la section de géométrie, ils étaient dignes l'un et l'autre d'un tel héritage. Ampère, dont le nom est resté tout au moins l'égal de celui de Cauchy, était au nombre des concurrents, et l'échec du jeune géomètre, âgé alors de vingt-quatre ans, n'autorisait nullement son trop enthousiaste biographe à écrire : « S'il ne fut pas nommé, c'est qu'au scrutin des considérations « d'un autre ordre furent mises en balance avec le mérite. » La question ne vaut pas qu'on l'étudie; mais, en se reportant en 1813, pour comparer les travaux publiés par Cauchy à ceux de Poinsot et d'Ampère, âgés l'un de trente-quatre ans, l'autre de trente-huit, il semble qu'un jugement équitable devait alors les préférer tous deux à leur jeune et brillant concurrent.

La section, il est vrai, plaçait au premier rang un quatrième candidat; mais à quoi bon le rappeler? L'histoire des méprises académiques est un lieu commun inépuisable qui n'étonne maintenant et n'instruit plus personne. Quoi qu'il en soit, je ne rattache nullement à l'avantage obtenu par Poinsot l'inexplicable absence de son nom dans le livre de M. Valson. Poinsot avait fait en géométrie une découverte véritable, celle de quatre nouveaux polyèdres réguliers; il s'était demandé s'il en existe d'autres, et le mémoire présenté par Cauchy à la première classe de l'Institut était la réponse à cette question.

« Le mémoire que j'ai l'honneur de soumettre à la classe, disait le «<jeune auteur, contient diverses recherches sur la géométrie des solides; la première partie offre la solution de la question proposée par «M. Poinsot sur le nombre des polyèdres réguliers que l'on peut cons<< truire. >>

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Le doute n'est donc pas possible, et l'histoire de la question n'exigeait aucune érudition.

Cauchy, dans son premier mémoire, montrait d'éminentes qualités devenues chez lui de plus en plus rares. La forme est aussi excellente que le fond, et la rigueur des raisonnements semble s'allier sans effort à la plus lumineuse clarté. Les deux mémoires de 1811 et de 1812, sur la théorie des polyèdres et les premières études sur le nombre des valeurs d'une fonction, montrent que Cauchy, en arrêtant plus longtemps son esprit sur chacune de ses découvertes, aurait pu, s'il l'eût voulu, leur imprimer ce cachet de perfection définitive que trop souvent, depuis, il n'a pas eu le loisir de chercher. C'est par sa grande hâte de produire que Cauchy a été si loin de mériter l'éloge que lui décerne cependant M. Valson:

Il ne quittait pas un sujet avant de l'avoir complétement appro«fondi et élucidé, de manière à satisfaire les exigences des esprits les << plus difficiles. >>

S'il est un nom illustre dans l'histoire de la science, auquel cette louange ne soit pas applicable, c'est, sans contredit, celui de Cauchy, et, lorsque l'on peut louer en lui tant de rares et exceptionnels mérites, c'est un tort véritable envers sa mémoire de citer précisément celui qui, de l'aveu de tous et évidemment par sa faute, lui a complétement fait défaut.

La théorie des intégrales doubles, et leur application à la recherche des intégrales définies, fut pour Cauchy l'occasion d'un succès plus brillant encore, et, pour les géomètres les plus illustres, l'objet d'un véri

table étonnement.

Une intégrale simple ou double est la limite d'une somme d'éléments infiniment petits, et les géomètres jusqu'alors, si l'on en excepte l'illustre Gauss, admettaient que, sans en changer la valeur, on peut intervertir les opérations et ajouter les mêmes éléments dans un autre ordre.

Il faut exclure le cas où certains éléments deviennent infinis. Gauss. dans un beau mémoire, avait remarqué que, réciproquement, quand l'ordre des intégrations change la valeur d'une intégrale double, l'élément intégré devient nécessairement infini. Cauchy, conduit par ses propres recherches au même résultat, en a su déduire des conséquences plus importantes et plus précises. Non content d'affirmer que l'ordre des intégrations peut influer sur la valeur d'une intégrale, il calcule dans un cas étendu la différence des deux résultats, et, par un de ces artifices élégants qui, chez lui, semblent naturels, en déduit, pour le calcul des intégrales définies, la méthode la plus ingénieuse et la plus féconde qui eût été donnée jusque-là.

Legendre s'est montré strictement et un peu sèchement juste lorsque, en rendant compte de ce beau mémoire, il écrivit :

«Nous n'examinons pas si les nouvelles méthodes de M. Cauchy « sont plus simples que celles qui étaient déjà connues, si leur appli«cation est plus facile, et si l'on peut trouver par leur moyen quelque « résultat que ne pourraient donner les méthodes connues; car, quand «même on répondrait négativement à ces questions, il n'en resterait « pas moins à l'auteur le mérite,

« 1° D'avoir construit, par une marche uniforme, une suite de for« mules propres à transformer les intégrales définies et à en faciliter la « détermination;

« 2o D'avoir remarqué le premier qu'une intégrale double, prise « entre des limites données pour chaque variable, n'offre pas toujours « le même résultat dans les deux manières d'effectuer les intégrations; « 3o D'avoir déterminé la cause de cette différence et d'en avoir

« donné la mesure exacte au moyen des intégrales singulières, dont l'idée appartient à l'auteur et qui peuvent être regardées comme une décou« verte en analyse;

((

« 4° Enfin d'avoir donné par ses méthodes de nouvelles formules intégrales fort remarquables, qui peuvent bien se déduire des for<«< mules connues, mais auxquelles personne n'était encore parvenu.

«Il nous paraît, par tous ces motifs, que M. Cauchy a donné, dans <«< ses recherches sur les intégrales définies, une nouvelle preuve de la sagacité qu'il a montrée dans plusieurs de ses autres productions. Legendre aurait pu, sans exagération, hausser de plusieurs tons la

"

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