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laissent de nombreux desiderata. Il importe de dissiper les obscurités dont demeurent enveloppés certains noms consignés au chapitre x du livre I du Pentateuque, car ce chapitre est souvent presque la seule source à laquelle nous puissions puiser pour l'histoire de plusieurs des plus anciennes migrations. Le tableau qu'il nous donne, tableau où les différentes races sont personnifiées par des individus, ne nous reporte pas pourtant tout à fait à la distribution primitive. L'examen attentif de ce document nous montre, en effet, que des mélanges entre quelques races s'étaient déjà opérés à l'époque de sa rédaction. Ainsi nous y voyons Assour, autrement dit l'Assyrie, donnée comme ayant reçu sa population des fils de Sem; mais ce qui est dit en même temps de Nemrod prouve que les Couschites l'avaient antérieurement occupée. Ces mêmes Couschites nous sont représentés comme établis dans le pays d'Havila, qui, un peu plus loin, est indiqué comme ayant été peuplé par des descendants de Sem. Toutefois, si ce document ne nous offre pas la répartition primordiale de l'humanité dans la partie de la terre à laquelle se rapportent les plus vieilles traditons, il nous fournit, du moins, une sorte de carte ethnographique pour un âge qui ne saurait descendre plus bas que le xn ou le x siècle avant notre ère. Et c'est là ce qui donne au chapitre x de la Genèse une extrême importance.

Le livre sacré rattache visiblement les populations de la famille indoeuropéenne au personnage de Japheth. Ce nom fut aussi associé, chez les Grecs, aux légendes sur l'origine de l'humanité. Pour eux, la race humaine, condamnée à la souffrance et au travail, était la lignée d'un personnage appelé Japet (laneτós). Comme ils se représentaient les agents, les grands phénomènes de la nature physique qui ont présidé à la formation du monde, sous les traits d'êtres gigantesques et puissants, en lutte avec le ciel et la divinité, et qu'ils nommaient Titans, Japet fut pour eux un Titan, et, à ce titre, Homère nous le dépeint comme ayant été avec Kronos précipité dans le Tartare. Le caractère de fils d'Uranus et de la Terre, qu'a Japet dans la vieille théogonie hellénique 2, décèle en lui l'homme primitif, l'homme type; et, en effet, Prométhée, son fils, est donné pour le créateur de l'humanité. L'épouse qu'on lui associe, Asia, indique que le souvenir de ce Japet se rattachait à l'Asie; c'était au sommet du Caucase, dont la contrée fut le berceau de la race japétique, que la fable grecque attachait Prométhée, personnification de cette race humaine dont la témérité impie avait provoqué le courroux de Jupiter audax Japeti genus, comme dit Horace3. Ainsi ce

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Iliad. VIII, 479.- Hesiod. Theogon. 507 et suiv. Hérodot. IV,

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n'est pas seulement dans la Bible que Japheth ou Japet est pris pour l'ancêtre d'une des grandes familles humaines; la légende hellénique vient confirmer la tradition hébraïque. Rien n'est donc plus légitime que de prendre pour base de nos recherches sur les plus antiques migrations le chapitre x de la Genèse et d'essayer de l'éclairer à l'aide des lumières de la science. Si l'entreprise est difficile, elle est, du moins, bien faite pour aiguiser notre curiosité. De là l'intérêt des travaux qu'a poursuivis dans cette direction, depuis quinze années, un professeur distingué de la faculté des lettres de Strasbourg, M. F. G. Bergmann. Dès 1853, il y préludait dans une dissertation qui parut sous le titre de : Les peuples primitifs de la race de Jafète; elle a été suivie d'une série de mémoires sur des sujets liés à la même question, et dont le dernier date de 1867.

M. Bergmann, qui est très-versé dans la connaissance des langues de l'orient et du nord de l'Europe, appelle surtout à son secours la comparaison des mots et l'étymologie. A mon avis, il a trop de confiance dans ce procédé d'investigation et marche d'un pas trop assuré sur un sol aussi mouvant. Il aborde avec une hardiesse qui surprend parfois les problèmes les plus obscurs et les plus délicats de l'ethnologie primitive. Ingénieux dans ses rapprochements, il réussit, en diverses circonstances, à éclaircir les difficultés et à faire saisir des analogies, mais on aurait aimé à le voir plus réservé. Sa critique n'est pas assez sévère et il se paye bien souvent de simples apparences. En général, il discute peu et présente presque dogmatiquement les faits auxquels il est conduit, sans avoir pris le soin préalable de solidement les établir. Cela tient, il faut le reconnaître pour sa décharge, moins aux habitudes de son esprit qu'à la tâche qu'il s'est imposée d'offrir dans un court résumé le résultat de ses longues et patientes recherches. Malgré leurs défauts, ses dissertations attachent par l'abondance des renseignements qui y sont réunis, la clarté de l'exposition et la liaison parfaite des idées. Son point de vue systématique lui permet de supprimer, pour ainsi dire, les obscurités, et, quoique la lumière qu'il répand soit quelquefois tout artificielle, le lecteur se sent heureux de sortir, grâce à lui, du brouillard où l'avaient laissé tant de précédentes publications. M. Bergmann lui donne en effet un fil pour se reconnaître dans le dédale des transformations par lesquelles les peuples ont passé; le fil se rompt de temps en temps, mais le savant professeur en renoue alors habilement les bouts, et il parvient ainsi à reconstituer une filière continue, sans se préoccuper de

à ce sujet K. H. Völcker, Die Mythologie des Japetischen Geschlechtes (Giessen, 1824). p. 375 et suiv.

savoir s'il n'a pas rattaché ensemble des fils de trames différentes et originairement étrangères les unes aux autres.

Afin de dégager de la partie hypothétique des résultats présentés par M. Bergmann ce qui me paraît acceptable, je crois bon de reprendre sommairement, et en m'aidant de ses travaux, l'étude qu'il a poursuivie de la distribution primitive de la race japhétique. Toutefois, au lieu d'adopter pour base de cette étude les distinctions non suffisamment justifiées que cet auteur admet comme point de départ, je m'attacherai aux données que nous fournit la Bible pour la descendance de Japheth, parce qu'elles me placent sur un terrain plus sûr.

La Genèse et, d'après elle, le premier livre des Paralipomènes attribuent, comme on sait, sept fils à Japheth: Gomer (, Touép, гauép), Magog (11, Maywy), Madai (D, Mado), Javan (, Iwav), Thubal (ban, Oo6ếλ), Meschech ou Mosoch (, Mooox) et Thiras (075, Osipas). Les peuples ou les pays que nous représentent ces noms ne sauraient être cherchés à une bien grande distance de la contrée qu'occupaient les Israélites, car leurs connaissances géographiques furent, dans le principe, assez bornées. Ils n'ont guère pu entendre parler que des nations qui étaient en rapport, soit directement avec eux, soit avec l'Assyrie, la Phénicie et l'Egypte. Et, en effet, les indications de subdivisions des peuples ne se rencontrent dans ce même chapitre et ne s'y multiplient que pour les nations et les tribus qui étaient en relation plus immédiate avec les Hébreux. Il suit de là que l'on ne doit point reculer aux extrémités du monde ancien plusieurs des peuples personnifiés dans la Genèse. La parenté que les Israélites reconnaissaient entre les diverses nations à eux connues devait tenir d'ailleurs à ce qu'elles avaient originairement vécu dans des contrées limitrophes.

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La discussion des différents noms rattachés par la Bible à Japheth permet de constater, sinon que la totalité, du moins que la grande majorité des populations de sa race, étaient établies dans la région du Caucase. On peut, avec une certaine exactitude, regarder comme le berceau des Japétites l'espace compris entre le trente-cinquième parallèle au sud, la mer Noire au nord-ouest, la mer Caspienne et la mer d'Aral

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Les Assyriens, dès une haute antiquité, devaient déjà faire usage de cartes géo graphiques tracées soit sur des briques, soit sur des planches de cuivre telle qu'était celle qu'Aristagoras, tyran de Milet, présenta à Cléomènes, roi de Sparte. (Hérodot. V, XLIX). Les Hébreux ont pu voir de ces cartes. 2 Ézéchiel (XXVII, 4 et suiv.) nous donne la liste des pays avec lesquels Tyr entretenait des relations de commerce; les contrées désignées sont presque toutes celles qui paraissent dans le chap. x de la Genèse.

au nord-est. C'est ce que montreront les considérations qui vont suivre.

Entre les noms des enfants de Japheth, plusieurs se prêtent à une détermination géographique précise. Madai représente incontestablement la Médie ou les Mèdes, qui reçoivent ce nom en divers passages de l'Écriture sainte1. Meschech ou Mosoch personnifie les Mosches d'Hécatée, d'Hérodote et de Strabon, peuple limitrophe des Arméniens et des Ibériens, qui valut leur nom aux monts Moschiques (Mooxind opn) et que Pline 2 place aux sources du Phase (Mingrélie, Iméréthie). L'historien Josèphe nous apprend que ces Mosches, dont font aussi mention Pomponius Mela et Procope, avaient constitué la première population de la Cappadoce, où une ville importante, Mazaca, rappelait encore par son nom leur existence 3.

M. Bergmann a accepté avec toute raison les identifications de Madaï et de Mosoch presque universellement admises; elles nous conduisent, comme on voit, en pleine contrée caucasique.

Il ne règue guère plus d'incertitude pour la détermination de Gomer. La race ainsi désignée devait être l'une de celles que connaissaient le mieux les Hébreux, puisque la Genèse nous donne la descendance du personnage de ce nom, autrement dit les peuples qui passaient pour issus de la souche gomérienne. Rien n'est plus naturel que de reconnaître les Gomériens dans les Cimmériens (Kiuuépio) dont parle Hérodote (IV, XI) comme ayant constitué la population de la Chersonèse taurique avant l'invasion des Scythes, et qui allèrent s'établir ensuite en Paphlagonie. Ezechiel (xxxvIII, 6) associe Gomer à Thogorma, et l'on verra plus loin que ce dernier nom représente une contrée qui correspond à l'Arménie et peut-être aussi à la Géorgie. Les Cimmériens jouèrent, pendant quelque temps, un assez grand rôle dans l'histoire de l'Asie Mineure, qu'ils désolèrent par leurs incursions. Sous le règne d'Ardys, environ six cent cinquante ans avant notre ère, ils pénétrèrent en Lydie et s'emparèrent de Sardes. Alyattes, second successeur de ce monarque, en délivra le pays. 5.

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'L'étymo

Voy. notamment Jérémie, xxv, 25. —2 Pline, Hist. nat. VI, iv. logie de l'ancien nom de Césarée de Cappadoce proposée par Josèphe n'est pas tou tefois bien certaine, et l'on peut, avec vraisemblance, la rattacher à l'hébreu ou phénicien (I Reg. xiv, 5). Ce que dit Hérodote (I, LXXII, V, XLIX) montre que les Cappadociens étaient de race syrienne, autrement dit, sémitique; si ce qu'avance Josèphe est fondé, les Mosches de Cappadoce se seraient alors fondus dans la population sémitique qui leur succéda. Strabon, I, p. 51, XIV, p. 553, éd. C. Müller. Hérodot. I, xv, XVI.

Au temps auquel se rapportent les généalogies consignées dans le chapitre x de la Genèse, les Cimmériens devaient encore occuper la Chersonèse taurique et sans doute aussi le littoral du Pont-Euxin et du Palus Mæotis. Ils s'avançaient probablement jusque dans la Thrace. En effet, on trouve les Cimmériens alliés aux Trères, qui doivent n'avoir été qu'une fraction de leur nation; plus tard l'on rencontre un peuple de ce dernier nom sur les frontières de la Thrace et de la Macédoine. Strabon (XII, p. 501) nous apprend que les Trères avaient occupé la Troade. D'où il semble résulter qu'une partie des Cimmériens avaient pénétré jusque sur les bords de l'Hellespont, qu'ils avaient ensuite traversé. Le nom de Côbos (Kabos), donné à un roi cimmérien, paraît, ainsi que l'observe M. Pape, avoir simplement signifié chef ou téte, et ce mot nous ramène à un radical indo-européen (caput) 2. Quant au nom de Lygdamis porté par le chef des Cimmériens qui pilla Sardes, il se retrouve chez les Cariens et fait supposer que ce peuple s'était uni aux Cimmériens dans leur expédition contre la Lydie.

L'identification des Cimmériens et de Gomer est donc parfaitement acceptable, et je serais complétement d'accord avec M. Bergmann, s'il s'était borné à la constater; mais, à l'exemple d'un grand nombre d'érudits, il agrandit singulièrement le domaine des Gomériens. Quoique la filiation de Gomer et de Japheth dût le ramener, pour le berceau de ce peuple, à une région caucasique, il en recule la patrie beaucoup plus à l'est; et, préoccupé de l'idée qu'il faut rapprocher de l'Arie la station première des diverses populations japhétiques, il croit en découvrir les ancêtres dans les Comares de Pomponius Mela3 et de Pline, qui, à en juger par la place que ces auteurs leur assignent, devaient être établis du côté de l'Iaxarte et de l'Oxus, entre l'Inde et la Perse. Rien pourtant n'indique la haute antiquité de ces Comares, dont Hérodote ne fait nulle mention et que Strabon passe sous silence.

En même temps que M. Bergmann repousse jusque sur les confins de l'Inde le berceau primitif des Cimmériens, il donne à leur migration une bien plus grande extension à l'ouest. L'analogie des noms de Cimmériens et de Cimbres avait fait supposer par quelques anciens que le premier de ces peuples ne s'était pas porté tout entier en Paphlagonie, qu'à la suite de l'invasion scythique une notable portion s'était avancée

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Wörterbuch der griechischen Eigennamen, éd. Benseler, v° Kw6os. Cf. neGan, Kopf. Voy. G. Curtius, Grundzüge der griechischen Etymologie, 2° édit. n° 54. Ce géographe nomme les Comares comme un peuple du pays des Saces, voisins des Massagètes (IV, x, S 3).

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