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en Europe, avait gagné le littoral de la Baltique, où ils furent connus sous le nom de Cimbres, et d'où plus tard ils vinrent fondre sur la Gaule. C'est ce que nous apprend Plutarque, dans sa Vie de Marius; mais l'écrivain grec ne cache pas tout ce qu'avait d'hypothétique une pareille assimilation. Le rapprochement de cette migration supposée avec celles des peuples barbares qui s'opérèrent vers le commencement de notre ère, suivant la même direction', a donné, de nos jours, une assez grande vraisemblance à la supposition des anciens. Retrouvant dans le nom de Kymru ou Kymmri porté par les Gallois, incontestable débris de la population celtique de la Grande-Bretagne, une appellation voisine de celle de Cimbres, des érudits n'ont fait aucune difficulté d'admettre que les Celtes d'Albion et les Gaulois-Belges, dont ils étaient des colonies, formaient un seul et même peuple avec les Cimbres, et qu'ils sont conséquemment les descendants des Cimmériens repoussés par les Scythes. M. Bergmann accepte sans la discuter cette opinion, quoiqu'elle soulève des objections fort graves. Malgré ce qu'a pu dire son plus éloquent et plus habile défenseur, M. Amédée Thierry, malgré les savantes considérations réunies par M. F. E. Schirn, dans sa dissertation imprimée à Copenhague en 1842, sous le titre d'Origines el migrationes Cimbrorum, les Cimbres, étudiés dans leurs caractères les plus distinctifs, se présentent à nous comme une nation toute germanique. Les auteurs anciens qui les ont le mieux connus, tels que Tacite, les tiennent, non pour des Celtes, mais pour des Germains; ce qu'indique d'ailleurs leur alliance avec les Teutons. C'est seulement à une époque où le nom de Celtes était indifféremment appliqué aux populations mal connues, répandues du Danube à la mer du Nord et à l'Atlantique, que les Cimbres ont été confondus avec les Celtes. César ne fit pas cette confusion; il nous montre les Aduatuques, restes de l'armée des Cimbres demeurés en Gaule, gardant un caractère distinct des Belges qui les entouraient et étaient précisément ceux qui avaient opposé à l'invasion de leur nation la plus vive résistance. Enfin le nom de Kymru, Kymri, Cambri, donné aux Gallois, n'apparaît pas avant le xo ou au plus tôt avant le vir siècle de notre ère, et semble dérivé d'une tout autre racine que le nom de Cimbres. L'unité de la race gauloise et, en général, celtique, établie par de récents travaux, notamment par ceux de MM. H. Chr. Brandes et Roget de Belloguet, exclut d'ailleurs la possibilité de deux émigrations distinctes, celle des Galls et celle des Kymris. Le même caractère, les mêmes institutions se retrouvent à la fois chez les

'Telle fut notamment la migration des Vandales, Procop. Bell. Vandal. I, II, III.

Gaulois proprement dits, chez les Belges et chez les Celtes d'Albion, qui parlaient seulement des dialectes différents d'un même idiome.

Aucune donnée positive, aucun rapprochement d'une vraisemblance suffisante n'autorisent donc aujourd'hui l'assimilation de la race celtique à celle de Gomer, et l'on doit laisser dans le pays où les place l'histoire les Cimmériens émigrés de la Tauride, très-distincts de ceux dont parle Homère et qui sont purement fabuleux. Disons pourtant que M. Bergmann et ceux dont il reproduit l'opinion semblent s'appuyer du témoignage imposant de Josèphe. L'historien juif dit, à propos de Gomer, que ce personnage est le fondateur de la nation des Gomares (For μαρεῖς δὲ λεγομένους ἔκτισε) que les Hellenes appellent aujourd'hui Galates (τοὺς μὲν γὰρ νῦν ὑφ' Ελλήνων Γαλάτας καλουμένους). Ce nom de Gar lates était, comme on sait, celui que les Grecs donnaient aux Gaulois; mais, d'autre part, on n'ignore pas non plus qu'il fut plus spécialement appliqué aux Gaulois appelés de la Thrace par Nicomède I, roi de Bithynie, et qui vinrent s'établir, moins de trois siècles avant notre ère, dans une partie de la grande Phrygie et de la Paphlagonie 2. Au temps où écrivait Josèphe, c'était surtout les Gaulois de l'Asie Mineure qui s'appelaient ainsi en Grèce, et les expressions dont se sert l'historien des Juifs donnent à penser qu'il entend parler, non de la Gaule, mais de la Galatie. Or cette province était précisément située dans la région où Hérodote fait émigrer les Cimmériens. Le témoignage, de Josèphe ne saurait donc être sérieusement invoqué en faveur d'une identification reposant sur des confusions de noms, de temps et des étymologies hasardées.

Ceci posé, la descendance de Gomer ne peut être cherchée ailleurs que dans les contrées limitrophes de la région occupée par les Cimmériens, conséquemment à l'entour du Pont-Euxin. La Genèse donne trois fils à Gomer: Achkenaz ou Ascenez (135N, Aσxara?), Riphath (n, P.) et Togarma ou Togorma (nan, Oopyaμá, Oopyάuns). Togorma est plusieurs fois mentionné dans la Bible. Ezéchiel (xxxvIII, 6) le qualifie de contrée voisine de l'aquilon et en parle comme étant voisin de Gomer. D'où il suit que le pays de Togorma devait être situé au nord de l'Assyrie. Ailleurs, le même prophète (xxvII, 14) nous dit que Togorma envoyait à Tyr des mules, des chevaux et des cavaliers. La contrée de

1 La majorité des critiques a reconnu la distinction de ces deux peuples. Les Cimmériens d'Homère ne peuvent être, d'ailleurs, placés dans la Tauride. Voy. à ce sujet Ch. Ém. Ruelle, Les Cimmériens d'Homère (Paris, 1859). —2 Pline, Hist. nat. V, XLII.

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ce nom ne pouvait conséquemment être fort éloignée de la cité phénicienne, d'où l'on devait s'y rendre par terre; et cette donnée vient encore à l'appui de la raison que j'ai fait valoir pour placer le pays qui recevait cette appellation dans une des régions qui s'étendent au pied du Caucase. La tradition des Arméniens et des Géorgiens leur attribue pour ancêtre Targamoss ou Torgom, père de Haig, qui est visiblement Togorma. Josèphe, en avançant que, de ce même Togorma, était issue la nation des Phrygiens, s'éloigne peu de l'identification que cette tradition entraîne, puisque Hérodote nous apprend que les Arméniens étaient une colonie de Phrygiens.

H règne beaucoup plus d'incertitude pour la position à assigner à Riphath et à Aschkenaz; mais les considérations précédentes font comprendre que ces contrées ne devaient pas être bien distantes de l'Arménie ni du Pont-Euxin. Un passage de Jérémie (LI, 27), où les rois d'Ararat, de Minni et d'Aschkenaz, sont représentés comme devant attaquer Babylone, légitime pleinement cette induction. En effet Ararat est certainement une partie de l'Arménie; on reconnaît dans Minni la Minyade que Nicolas de Damas1 nous apprend avoir été une province du même pays. Donc la contrée appelée Aschkenaz n'en était pas fort éloignée. Pour Josèphe, Riphath est la Paphlagonie; ce qui nous ramène précisément dans la partie de l'Asie Mineure où avaient émigré les Cimmériens, après avoir quitté la Tauride. Il est, d'ailleurs, tout naturel de supposer que ce dernier peuple chercha un refuge chez une race alliée de la sienne. L'historien juif paraît, au reste, avoir suivi ici une tradition hébraïque, car la ressemblance des noms ne l'a visiblement pas guidé dans son assimilation. On a rapproché avec raison le nom de Riphath de celui des monts Riphées (Pinaia opn) attribué par les Grecs à une chaîne de montagnes qu'ils se représentaient comme s'élevant aux extrémités boréales de l'univers, et que, pour ce motif, ils ont successivement transporté à des montagnes de plus en plus éloignées vers le nord-est, à mesure que leurs connaissances géographiques s'étendaient 2. Lorsque le Caucase apparaissait aux Hellènes comme le point le plus reculé de la terre, ils durent lui appliquer le nom de Riphée. Encore au temps de Pline3, cette chaîne était supposée se rattacher aux montagnes de ce dernier nom. La Paphlagonie, qui s'avançait presque jusqu'au pied du Caucase, et d'où l'on apercevait ses cimes les plus hautes, a donc pu être jadis

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Ap. Joseph. Antiq. jud. I, 111, § 6. — C'est par la même raison étendirent le nom de Caucase au Paropamisus. Q. Gurt. VII, xiv. <qua juga Caucasi ad Ripæos montes torquentur.» (Hist. nat. VI,

que les Grecs

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connue des Grecs, qui y envoyèrent de bonne heure des colonies1 sous le nom de pays des Riphées, lequel aura ensuite passé chez les Phéni

ciens,

L'appellation d'Ascanie, qui était restéc attachée, jusqu'au temps de la domination romaine, à un canton de la Bithynie, semble avoir été empruntée au nom que portait, dans le principe, la contrée à laquelle cette province appartient. Le souvenir de cette antique dénomination était rappelé par le nom de deux lacs, l'un voisin de Nicée, l'autre situé plus au sud 2. Pline mentionne un Ascanius sinus, et des Ascaniæ insulæ dans la Troade, un Ascanius portus dans l'Eolie. C'est, selon toute vraisemblance, le nom d'Ascanie qui suggéra la création du personnage mythique d'Ascanius ou d'Ascagne donné pour fils à Énée et à Créüse. La ressemblance du nom d'Ascanie avec celui d'Aschkenaz, que la position des autres peuples gomériens conduit à placer sur les bords du Pont-Euxin, justifie leur identification, à l'appui de laquelle je dois rappeler un passage de Xanthus de Lydie, cité par Strabon3. Ce géographe rapporte que les Phrygiens étaient venus, après la guerre de Troie, sous la conduite de Scamandrius, du littoral occidental du Pont-Euxin en Ascanie et près du mont Bérécynthe. Une pareille migration est en complet accord avec celle que mentionne Hérodote. des Bryges de Thrace en Phrygie. Il serait hors de vraisemblance d'aller chercher au delà de l'Asie Mineure l'emplacement de ce pays d'Aschkenaz dont les rois menaçaient Babylone, et, si l'on n'admettait pas l'identification proposée, ce serait plutôt dans une contrée plus voisine encore de l'Arménie, qu'il faudrait le placer. Aussi ne saurais-je souscrire à l'opinion de M. Knobel, qui fait d'Aschkenaz les Germains. Le savant professeur de Giessen se laisse trop, à mon avis, influencer par les identifications arbitraires des Juifs modernes, enclins à faire rentrer dans les énonciations du chapitre x de la Genèse les populations les plus éloignées. Disons pourtant que l'assimilation adoptée par Josèphe n'est pas d'accord avec celle que nous proposons. L'historien juif dit en effet qu'Aschkenaz fut le père des Aschanazes (Aoxaváloı) que les Grecs appellent maintenant Rhégines (Pnyīves); mais de quelque pays qu'il entende ici parler, soit qu'il désigne la Rhagiane (Payavn), une des provinces de la Médie, soit qu'il ait en vue le canton de la Ba

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Les Achéens (Axatot) établis dans le Pont passaient pour être venus d'Orchomène, peu de temps après la prise de Troie, sous la conduite d'Ialmenus (Strabon, IX, p. 537, XI, p. 426); leur territoire touchait au Caucase. Arrien, Anab. I, XXIX, Pseudo-Aristot. De mirab. LIV, Strabon, XII, p. 483, XIV, p. 585. Plin. Hist. nat. V. XLIII, XXXI, x. — ' XIV, p. 580.- La capitale de cette province était

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bylonie où se trouvait la ville de Rhagæa (Payaia) ou encore quelque région d'un nom analogue1, rien n'indique, dans l'ensemble de son texte, qu'il transporte le pays d'Aschkenaz hors des limites géographiques entre lesquelles nous resserre la distribution des autres descendants de Japheth.

Les considérations présentées plus haut montrent donc que la race cimmérienne a occupé primitivement le littoral du Pont-Euxin, où elle se sera ensuite fondue avec les populations qui s'y sont depuis établies. M. Bergmann croit retrouver un souvenir de la nation cimmérienne dans les Amazones, à l'étude desquelles il a consacré l'une de ses plus intéressantes dissertations. Il admet que ces femmes, qui ont joué un si grand rôle dans la fable, n'étaient autres que les prêtresses d'une divinité caro-lycienne dont il reconnaît le prototype dans la déesse hindoue Bhavânî-Kâlî. A l'aide de rapprochements et d'étymologies fort contestables, mais qui sont pourtant associés à des raisons d'un certain poids, il fait de cette déesse lunaire, adorée dans des cérémonies orgiastiques rappelant les fureurs de la guerre et de l'orgasme générateur, l'une des principales divinités des Hyperboréens de la Thrace, lesquels sont pour lui à la fois des Cimmériens et des Celtes. Il est constant que le souvenir des Amazones vivait en divers lieux de l'Asie Mineure; on y montrait quelques-uns de leurs prétendus tombeaux; on leur attribuait la fondation d'Ephèse, de Smyrne, de Cyme, de Myrina, c'està-dire, comme l'indique un passage de Callimaque dans son hymne à Artémis, la fondation des sanctuaires autour desquels ces villes s'étaient élevées; ce qui conduit à supposer que les Amazones étaient, non un peuple de viragos, mais les prêtresses ou hiérodules d'une divinité dont la célèbre Diane d'Ephèse, si différente d'Artémis, à laquelle les Grecs l'avaient assimilée, peut nous donner une idée. Il y a donc lieu de croire que la déesse adorée par les Amazones présidait à la nature productrice, car l'on rencontre dans toute l'Asie Mineure et en Syrie une divinité de cette nature, à la fois tellurique et lunaire, dont le culte consistait en cérémonies orgiastiques, en exercices guerriers et rites sanglants; ce qui dut faire assimiler ses prêtresses à des femmes guerrières. Un tel culte rendu à Cybèle, comme à la Vénus syrienne, reparaît dans les cérémonies des Galles, qui, pour honorer leur divinité, se donnaient, par la castration, le caractère féminin. Cette déesse, tour à tour identifiée avec diverses divinités helléniques, a pour caractère essen

Rhaga (Payai). M. Knobel croit que ces Rhégines sont les Rugi du nord de la Germanie; mais ce peuple était aussi inconnu aux Grecs qu'aux Hébreux.

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