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Pendant que M. Jules Quicherat déduisait sa petite dissertation et me persuadait, j'étais tout préoccupé du récit de cette mort, qui en effet est étrange. Voici comment Ordéric Vital la raconte : «Anno ab «< incarnationis Domini MLX, indict. xIII, Henricus, rex Francorum, post <«<multas probitates, quibus in regno gloriose viguit, potionem a «Johanne medico Carnotensi, qui ex eventu surdus cognominabatur, «spe longioris et sanioris vitæ accepit. Sed quia voto suo magis quam «præcepto archiatri obsecundavit, et aquam, dum veneno rimante in«teriora nimis angeretur, clam a cubiculario sitiens poposcit, medi« coque ignorante ante purgationem bibit, proh dolor! in crastinum <«< cum magno multorum morore obiit. » Voilà une purgation de précaution qui tourne d'une manière bien funeste! Et voilà un archiatre. qui s'absente bien mal à propos! Ce Jean de Chartres fut, dit l'annaliste, surnommé le sourd d'après l'événement, sans doute parce qu'il n'entendit pas les plaintes de son royal patient et qu'il ne vint pas à son

secours.

L'annaliste attribue la mort du roi à une imprudence, à savoir que, tourmenté par la soif avant que le médicament eût commencé son opération, il but secrètement, à l'insu de son médecin, de l'eau que lui donna son chambellan. Cette infraction, dans l'opinion de l'annaliste, met complétement à couvert la responsabilité de l'archiatre; et il est probable qu'il n'a pas inventé l'excuse, et que l'archiatre la mit en avant aussitôt qu'il vit les accidents mortels se déclarer.

Mais pouvons-nous la recevoir comme fait Ordéric Vital? Pour que, le purgatif étant ingéré dans l'estomac et avant le commencement de l'évacuation, de l'eau bue déterminât des accidents graves au point de devenir promptement mortels, il faudrait que la substance purgative fût telle que, mise en contact avec de l'eau, elle se décomposât et laissât libre un agent rapidement toxique. Or il n'est aucun purgatif salin ou autre, simple ou composé, qui soit tel; et, dans un cas pareil, de la soif étant survenue, l'eau que l'on boira sera inoffensive. Soit ignorance, soit mauvaise foi, l'archiatre a couvert d'une fausse excuse l'imprudence qu'il avait commise et dont le roi fut si promptement la victime. Bien que l'observation, qui n'est pas médicale, soit fort incomplète, on y reconnaît cependant un trait qui indique une meilleure explication que celle de cet archiatre à la fois imprudent et négligent. Le malade, quand il eut pris le purgatif, en ressentit très-vivement l'action immédiate (veneno rimante interiora), et fut rapidement en proie à une extrême angoisse (nimis angeretur). Avec cela et l'issue prompte et fatale, il est possible de compléter l'observation; le purgatif était drastique, la soif et

l'anxiété devinrent très-fortes; soit qu'il survînt des évacuations, dont, il est vrai, l'annaliste ne dit rien, soit qu'il n'en survînt pas, une inflammation interne s'alluma, et le roi succomba à l'action du purgatif administré. Il serait mort quand bien même il n'aurait pas bu cette eau qui lui fut reprochée. Il est heureux pour l'archiatre que le patient lui ait fourni cette excuse, fausse, mais acceptée, pour le disculper. Maintenant quelle fut la nature du médicament administré? Y eut-il erreur dans la dose, ou le roi se trouva-t-il susceptible d'une manière excessive à l'effet du médicament? C'est ce qu'il est impossible de dire. Mais on lit, dans la Collection hippocratique, des cas qui, par leur similitude, éclaircissent celui de Henri Ier : « Une femme en santé, est-il dit dans le Ve livre « des Épidémies, t. V, p. 233, fut prise, à la suite d'un purgatif admi<«nistré pour conception, de douleurs dans le ventre; tortillements <«<dans l'intestin; elle gonfla; la respiration devint gênée; anxiété avec «douleur, elle n'avait guère vomi; elle resta morte cinq fois au point <«<de paraître avoir passé. Le vomissement par l'eau froide ne lui pro«< cura aucun relâche, pas même, quand la douleur était pressante, « pour la dyspnée. On lui fit des affusions d'eau froide sur le corps, <«<environ trente amphores; et cela seul parut la soulager. . . . . Elle ré<«< chappa. >>

Elle réchappa, oui; mais combien près fut-elle de la mort! Un autre n'eut pas la même chance. «Antandre, à la suite d'un purgatif, n'éprou<«< vant rien du reste, parut avoir de la douleur à la vessie, aussitôt il « rendit rapidement beaucoup d'urine; à partir du milieu du jour, une « très-forte douleur se fit sentir dans le ventre; étouffement, anxiété, jac<«< titation; il vomissait, ne rendait rien par le bas; il souffrit la nuit, et le << sommeil ne vint pas. Le lendemain, il rendit beaucoup par le bas, le << sang en dernier lieu, et il mourut.» (T. V, ibid.) Un auteur hippocratique (t. VI, p. 241) dit qu'avec les évacuants cholagogues et phlegmagogiques commencent les dangers et les accusations contre les médecins. Le fait est que, dans l'antiquité et sans doute aussi dans le moyen âge, la pharmacie ne savait pas doser suffisamment les substances énergiques qu'elle faisait entrer dans ses médicaments composés.

Les noms de lieu m'ont conduit à une digression médicale; les noms propres me ramènent à la grammaire. On sait que l'ancienne langue avait une forme de régime pour les noms de femme en e muet, et que cette forme était en ain: Berte, Bertain, Ide, Idain, Eve, Évain, Jehane, Jehanain, etc. Cela était resté inexpliqué, mais ne l'est plus, grâce à M. Jules Quicherat. Les noms barbares de femme en a s'allongeaient, aux cas obliques, par l'addition d'une syllabe nasale; Truta,

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Trudane, Bertrada, Bertradane, Ercamberta, Ercambertane, Fastrada, Fastradanem, Berta, Bertanee. La nomenclature territoriale fournit son contingent d'exemples: Attainville (Seine-et-Oise), Adtane villa, Dondainville (Eure-et-Loir), Dodanæ villa, Goussainville (Seine-et-Oise), Gunzane villa; tous noms faisant au nominatif Adta, Doda, Gunza. L'ancien haut allemand décline les noms féminins en a ainsi : zunka, lingua, zunkun, linguam; et le gothique dit semblablement : tuggõ, tuggõn. Soit que cette finale un, on, fût accentuée ou ne le fût pas, le bas latin l'accentua, et, en l'accentuant, la développa en anem, anam.

La langue ne borna pas aux noms propres cette formation; elle l'étendit à certains noms communs, par exemple nonnain, antain, et quelques autres. Mais on s'arrêta dans cette voie; la latinité y résista, et jamais on ne dit au cas régime rosain et le reste. Pourtant cet artifice, emprunté aux langues germaniques, était heureux; car il étendait à une classe nombreuse de mots le signe caractéristique du régime, dont la forme latine les prive. C'était donner à la nouvelle syntaxe, dérivée de la syntaxe latine, plus de consistance et plus d'autorité. Mais l'inconscience, non aveugle pourtant, qui préside à la formation des langues, resta à mi-chemin. Un grammairien n'y serait pas demeuré, et aurait résolûment généralisé la formation; mais aussi un grammairien n'aurait pas songé à emprunter un régime particulier aux langues germaniques.

Pour ma part, je remercie M. Jules Quicherat de m'avoir expliqué l'énigme des régimes féminins en ain. Il n'y avait qu'un homme tout familiarisé avec la connaissance des noms propres qui pût le faire; car elle dépend de cette connaissance. Raison étant ainsi rendue de ce cas singulier, je terminerai en caractérisant la nature de la déclinaison diminutive que nous avions reçue du latin. Elle est formée, non comme dans les langues mères du système arien, de finales qui avaient eu un sens propre et qui s'étaient agglutinées, mais elle repose uniquement sur l'accent latin et sur la terminaison latine. Elle est particulière à la langue d'oïl et à la langue d'oc; l'espagnol et l'italien ne l'ont pas. Elle commença de se détruire dans le xiv° siècle, et acheva dans le xv, ne laissant de trace que dans l's du pluriel, la finale plurielle aux, et quelques doubles formes comme col et cou, non sans noter que, dans le bourguignon. la destruction a été complète, le pluriel ne se distinguant plus du singulier, si ce n'est par l'article. Enfin elle résulte d'une simplification véritablement philosophique, réduisant tous les rapports des noms à deux, celui de sujet et celui de régime. Ainsi en quelques lettres syntactiques se marque l'histoire profonde d'aptitudes cachées au sein d'une

grande population; car la grammaire est une part de la psychologie d'un peuple.

(La suite à un prochain cahier.)

É. LITTRÉ.

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PIETRO POMPONAZZI, Studi storici su la scuola Bolognese e Padovana
del secolo XVI, con molti documenti inediti, per Francesco Fioren-
tino, professore ordinario di storia della filosofia nella reale Uni-
versita di Bologna. Pierre Pomponace, Études historiques sur
l'école de Bologne et de Padoue au xvre siècle, avec plusieurs do-
cuments inédits, par François Fiorentino, professeur titulaire
d'histoire de la philosophie à l'Université royale de Bologne.
1 vol. in-18 de 517 pages, Florence, 1868, chez les succes-
seurs de Le Monnier.

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PREMIER ARTICLE.

En passant de l'étude de M. Weil sur Lévi ben Gerson à celle de M. Fiorentino sur Pomponace1, nous croyons à peine avoir changé de sujet. Entre le philosophe juif du XIV siècle 2 et le philosophe italien du xvi, la différence n'est pas aussi grande qu'on pourrait le supposer. Sur un grand nombre de questions, par exemple sur l'origine de nos idées, sur la Providence, sur la liberté, sur la prophétie, sur les miracles, leurs opinions sont à peu près les mêmes. Pour tous les deux, si indépendants qu'ils puissent être des doctrines régnantes et de la tradition philosophique de leur temps, la vérité, sauf quelques rares exceptions, est tout entière dans Aristote, et l'originalité, la hardiesse d'un philosophe consistent à entendre Aristote autrement que ses prédé

1

Pomponace, d'ailleurs consacré par l'usage, répond mieux que Pomponat à l'italien Pomponazzi. Voyez le cahier de mars, p. 157-171.

2

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cesseurs ou ses contemporains. Mais, tandis que l'auteur des Guerres du Seigneur, à l'exemple de ses devanciers du moyen âge, met tous ses soins à concilier les doctrines du Stagirite avec les enseignements de l'Écriture sainte et les dogmes de la foi, l'auteur du traité de l'Immortalité de l'âme s'applique, au contraire, à empêcher toute confusion entre ces deux autorités, ou, ce qui est la même chose pour lui, entre la foi et la raison, entre la religion et la philosophie, entre les croyances acceptées comme révélées et les vérités naturelles. Par là, mettant la raison en possession d'elle-même, il a marqué la fin du règne de la scolastique et est devenu un des principaux fondateurs de la philosophie de la Renaissance. C'est ainsi qu'il a été compris par M. Fiorentino, dont le savant et consciencieux ouvrage ne nous fait pas seulement connaître les doctrines de Pomponace, mais celles de la plupart des philosophes italiens du xvi° siècle, de ceux qui se groupent naturellement autour de Pomponace comme ses maîtres, ses disciples et ses adversaires.

Sans avoir reçu les confidences de M. Fiorentino, nous croyons apercevoir les motifs qui l'ont porté à faire ce choix. Professeur d'histoire de la philosophie à l'université de Bologne, il s'est rappelé que Pomponace, ayant quitté Padoue pour répondre à l'appel des Bolonais, a été un de ses prédécesseurs; que c'est à Bologne qu'il a publié ses principaux ouvrages; que Bologne a, pendant longtemps, partagé avec Padoue l'honneur d'être, en Italie, un des foyers les plus actifs de la libre pensée; et qu'enfin entre sa propre doctrine et celles qui étaient professées autrefois dans ces deux universités célèbres il y a plus d'une analogie. M. Fiorentino, après avoir appartenu pendant quelques années à l'école de Gioberti, s'est prononcé récemment pour le système de Hégel. Or, sur la question de l'ârne, la métaphysique hégélienne peut se concilier à la fois avec le naturalisme que Pomponace a introduit à Padoue et avec l'averroïsme qu'on professait à Bologne.

Au point de vue de l'érudition, des faits, de la critique historique, le livre dont nous nous proposons de rendre compte ne laisse rien à désirer. Non seulement M. Fiorentino n'a rien oublié, mais, grâce aux documents qu'il avait sous la main, il a beaucoup ajouté à ce qu'on savait précédemment et a pu redresser un grand nombre d'erreurs où sont tombés, en traitant le même sujet, les principaux historiens de la philosophie. Nous avons le regret de ne pouvoir accorder les mêmes éloges à la critique philosophique de M. Fiorentino. Le système préconçu et absolu à l'aide duquel il juge les opinions qu'il fait passer sous nos yeux le rend extrêmement partial. Toujours prêt à admirer ou à

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