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DES SAVANTS.

JUIN 1869.

LES MATHÉMATIQUES EN CHINE.

Die Arithmetik der Chinesen, von Herrn Dr K. L. Biernatzki, zu Berlin. Journal für die reine und angewandte Mathematik, herausgegeben von A. L. Crelle. Tome LI.

PREMIER ARTICLE.

La supériorité intellectuelle n'est l'apanage d'aucune nation; les races sont perfectibles plus encore que les individus, et la lenteur des progrès dans le passé est un mauvais indice de l'immobilité dans l'avenir. Combien l'Europe a-t-elle vu de générations indifférentes transmettre à grand'peine, sans chercher à l'accroître, le dépôt amoindri de la science antique? Un savant de Cordoue ou de Bagdad, de Pékin peut-être ou de Bénarès, visitant, au Ix° siècle, les plus grandes villes de France ou d'Angleterre, n'aurait-il pas pu sans trop d'injustice, et fier de sa supériorité, dénier aux races occidentales du Nord toute aptitude scientifique? Lorsque, en accordant aux Chinois un savoir étendu et un esprit subtil, nous leur refusons à jamais l'invention, pouvons-nous en donner des preuves plus assurées?

Une grande ardeur pour l'étude des sciences paraît animer en ce moment de nombreux lettres chinois. Des traductions commandées, imprimées et propagées par le zèle de quelques riches particuliers, forment déjà une bibliothèque scientifique dont l'accroissement conti

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nuel démontre l'utilité et le succès. Les sciences mathématiques en Chine n'ont jamais cessé d'ailleurs d'être cultivées et honorées; c'est en s'y montrant supérieurs que les pères jésuites ont acquis et conservé à Pékin, pendant près de deux siècles, tant de faveur et d'influence; ils y trouvèrent dès leur arrivée des esprits curieux et longuement exercés dans les connaissances abstraites; et, quoique la géométrie et l'astronomie chinoises se trouvassent alors dans une période de sommeil et de décadence, avec l'intelligence un peu obscurcie des méthodes anciennes, leurs représentants officiels en avaient retenu toute la pratique. Chaque année un conseil de mathématiciens présentait à l'empereur l'indication et la date des phénomènes attendus dans le ciel: mais, dans leur respect presque superstitieux pour des règles chaque jour plus défectueuses, les astronomes chinois, depuis bien des siècles, ne modifiaient ni leurs tables ni leurs formules, et le président du tribunal des mathématiques devait souvent attribuer une éclipse imprévue aux caprices du ciel, ou féliciter l'empereur dont la vertu préservait ses sujets d'un aspect planétaire dangereux annoncé dans les tables. Deux observateurs versés dans la connaissance des astres se rendaient chaque soir à la tour d'observation; mais leur médiocrité depuis longtemps apparaissait à tous les yeux. Dans la hiérarchie des lettrés, ils étaient fort loin du premier rang, et les vainqueurs des concours annuels, préoccupés surtout de littérature, de philosophie ou d'histoire. auraient cru déroger et s'amoindrir en cherchant le renom d'astronome ou de mathématicien.

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<< Plusieurs causes, dit la correspondance des pères jésuites, ont « arrêté, jusqu'ici, les progrès que les Chinois pouvaient faire dans les << sciences, et elles les arrêteront tant qu'elles subsisteront: la première est <«<que ceux qui pourraient s'y distinguer n'ont point de récompense à << attendre; on voit dans l'histoire la négligence des mathématiciens punie « sévèrement, mais on n'en voit pas dont le travail ait été récompensé, (( que leur application à observer le ciel ait mis à couvert de l'indi"gence. Tout ce que peuvent espérer ceux qui passent leur vie dans le <«< tribunal de mathématiques, c'est de parvenir aux premiers emplois de « ce tribunal, mais le revenu de ces emplois suffit à peine pour un entre« tien assez modique, car ce tribunal n'est pas souverain, il est subor<< donné à celui des cérémonies, duquel il dépend. Il n'est pas du nombre « des neuf qu'on nomme Kieou-King, dont on assemble tous les prési«dents pour délibérer des affaires importantes de l'empire. En un mot, «< comme il n'a rien à voir sur la terre, il n'a presque rien à y pré<< tendre. >>

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Les astronomes chinois en étaient arrivés à craindre les nouveaux phénomènes pour le moins autant qu'on les souhaitait chez les savants d'Europe. Ces phénomènes, dit un des plus savants et des plus judicieux « missionnaires, leur sont fort à charge; le moins qu'il leur en coûte, «< c'est de faire plusieurs voyages à leurs dépens, et souvent dans une sai« son fort incommode, pour aller en rendre compte à la cour, soit qu'elle soit à la ville ou à la campagne. Là, on les regarde comme « gens qui apportent de mauvaises nouvelles, car, selon eux, toute nou«veauté qui paraît dans le ciel marque presque toujours son indignation <«< contre le maître qui gouverne ou contre les mauvais mandarins qui << foulent le peuple, ce qui pourrait exciter les mouvements séditieux « dans l'empire. On pourrait comparer ceux qui veillent jour et nuit sur <«<l'observatoire de Pékin aux vedettes ou gardes avancées de nos armées, qui ne souhaitent rien moins que de voir avancer l'ennemi, parce qu'il "n'y a que des coups à gagner pour eux. »

Les livres heureusement conservaient la science dans son entier, et les fortes études, pour renaître, n'auraient eu besoin, à défaut d'un homme de génie, que de quelques esprits intelligents et studieux. M. Biernatzki, en analysant d'après l'almanach de Shanghai les écrits mathématiques déjà anciens en Chine à la fin du xvr° siècle, démontre d'une manière incontestable que l'extrême Orient, à cette époque, avait devancé, sur plus d'un point, les plus célèbres universités de l'Europe.

Quoique, dans les luttes scientifiques, les pères jésuites aient constamment triomphé de leurs adversaires, les méthodes chinoises, dont il serait malaisé de retrouver le détail, n'étaient pas aussi méprisables, cela paraît certain, qu'ils se sont plu à l'écrire, et la confiance obstinée de leurs défenseurs s'appuyait sur plusieurs siècles de succès. Le savoir si vanté des premiers pères, quoique grand pour l'époque, était luimême médiocre au fond. L'historien de la vie de Mathieu Ricci, le père Trigaut, témoin de ses fatigues et compagnon de ses laborieux voyages, marque dans le passage suivant son ignorance sur plus d'un point et ses confiantes illusions : « Les Chinois n'avaient jamais entendu, voire «n'avait oncques été dit que les cieux fussent composés de matière so«lide, que les étoiles étaient fixes et arrêtées en icelui, qu'elles n'er«raient pas vagabondes, qu'on comptait dix globes des cieux, que l'un «fût enveloppé dans l'autre, qu'ils étaient agités de mouvements con« traires.» Les Chinois ignoraient également la nature et le nom des quatre éléments qui composent tous les corps, le père Ricci le leur apprit, ainsi que la théorie des cieux solides, et les initia aux stériles systèmes d'une physique incompréhensible avec autant de confiance qu'aux

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théorèmes les plus certains de la géométrie; il traduisit pour eux les six premiers livres d'Euclide, et la langue chinoise lui fournit, pour toutes les idées qu'ils supposent, des mots et des façons de parler très-claires et très-précises qui charmèrent les savants de Nankin.

Après avoir à grand'peine franchi l'enceinte du comptoir portugais de Macao, et obtenu l'autorisation plusieurs fois retirée de résider dans une ville secondaire avec un petit nombre de compagnons, le père Ricci osa concevoir le dessein de pénétrer jusqu'à l'empereur. Courageux et patient, souple et fertile en ressources, il sut éluder les lois contre les étrangers, et, sans alléguer d'autres motifs qu'une curiosité flatteuse pour les Chinois, se concilier les esprits toujours défiants envers les novateurs. Ricci, après de longs efforts, parvint à se faire tolérer à Nankin, où sa maison, fréquentée par les plus habiles gens de la province, avait pour eux l'attrait d'un musée européen; ses cartes de géographie, ses instruments d'optique, et par-dessus tout ses horloges sonnantes, étaient cités comme autant de merveilles; lui-même avait acquis une grande renommée d'intelligence et de savoir, l'élévation de sa doctrine fut appréciée par les meilleurs esprits, et sa parole pénétrante, en suivant les plus subtils philosophes jusqu'aux dernières profondeurs de leurs rêveries, savait tout à la fois les confondre et les éclairer. Plus d'un haut fonctionnaire appelé à la cour de Pékin, en y vantant la science et l'habileté des Pères, rendit témoignage à la sainteté de leur vie; l'empereur, désireux de les connaître, daigna enfin recevoir leurs présents et les autoriser à les apporter eux-mêmes.

Les PP. Ricci et Didacus fondèrent à Pékin, au mois de janvier 1601, vingt ans après leur entrée en Chine, la mission qui devait, malgré de cruelles vicissitudes, grandir avec tant d'éclat; parmi les présents qu'ils apportèrent, se trouvait une horloge nommée par les Chinois la cloche qui sonne toute seale, et dont la possession combla l'empereur d'une joie enfantine.

L'empereur favorisa d'abord les missionnaires en leur accordant, avec les plus flatteuses distinctions, la liberté de prêcher publiquement leur doctrine; leur nombre s'accrut avec celui de leurs prosélytes: ils comptèrent bientôt, à la ville comme à la Cour, des amis nombreux et dévoués, mais aussi d'actifs ennemis, qui, les affaiblissant de jour en jour par de continuelles attaques, amenèrent l'empereur à rompre avec eux tout commerce. Les lois de l'empire, rigoureusement appliquées, condamnaient non-seulement leurs actes, mais leur présence à Pékin. La plupart quittèrent la Chine; ceux qui y restèrent furent exposés aux plus cruels supplices. Une circonstance singulière leur rendit, avec la

faveur de l'empereur Tien-ki, une haute position à la Cour. Le mauvais état des affaires rendait Tien-ki fort attentif à l'organisation de son armée; dans un mémoire rédigé par eux, les chrétiens chinois lui représentèrent que les pères jésuites étaient trop entendus en toutes choses pour ignorer l'art de la guerre, où leur savoir en mathématiques et en mécanique serait sans doute d'un grand secours; on insinuait même qu'habiles à fondre les canons, ils pouvaient assurer aux armes chinoises une éclatante supériorité. La proposition fut accueillie, mais les pères hésitaient, en déclarant, avec grande apparence de raison, qu'on leur faisait trop d'honneur et qu'étrangers aux choses de la guerre ils n'avaient jamais appris la fabrication des armes.

«Ne vous fâchez pas, mes pères, répondit l'ingénieux chinois qui les << avait mis en avant, si l'on vous propose pour des guerriers, vous vous << servirez de ce titre comme le couturier de son aiguille, qui lui sert à "passer son filet, et, quand l'étoffe est cousue et que l'habit est achevé, <«< il la quitte n'en ayant plus besoin. >>

Les jésuites acceptèrent, fondirent des canons de tout calibre avec succès, dit-on, et furent comptés de nouveau parmi les personnages importants de l'Empire.

C'est en 1630 seulement, à l'occasion d'une éclipse survenue quelques heures trop tard, que les pères jésuites, trente ans après leur arrivée à Pékin, furent officiellement associés aux travaux du tribunal des mathématiques. L'empereur, sérieusement irrité, jugeait une telle erreur intolérable et digne d'une punition sévère; un Chinois converti, le docteur Paul, saisit l'occasion de vanter la science des pères jésuites en offrant à l'empereur un traité des éclipses composé en chinois par l'un d'eux, le célèbre père Shall. « Eux seuls, disait-il, pouvaient aujour<< d'hui donner des règles assurées. » L'affaire fut prise à cœur, et les pères, pourvus de tous les instruments utiles, furent chargés de rédiger des instructions et d'écrire des traités, non-seulement sur l'astronomie, mais sur l'arithmétique, la géométrie, la musique et l'optique. Les jésuites n'y épargnèrent pas leurs peines, car, après cinq années, leurs travaux formaient cent cinquante volumes. Les savants chinois les trouvèrent obscurs et inutiles, et le tribunal des mathématiques se révolta contre les nouvelles méthodes en les condamnant tout d'une voix. Un vieillard nommé Guey, célèbre par son savoir et retiré loin de la ville, accourut aussitôt en réclamant contre la confiance injurieuse accordée à des étrangers. Si la Chine, disait-il, n'en trouve pas un plus digne, moi-même, quoique vieux et infirme, je réclame l'honneur de calculer le calendrier officiel. Inquiets de son assurance, et plus portés à la paix

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