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L'astronomie, qui avait donné à la mission son premier éclat, devait la relever par un progrès tout semblable. Trente années d'insuccès et d'abandon avaient affaibli sans doute les représentants des anciennes méthodes, les erreurs de l'almanach s'accumulèrent jusqu'au scandale; l'empereur Khang-hi, qui, dès f'âge de quatorze ans, voulut et sut gouverner par lui-même, s'informa alors des savants étrangers dont les calculs naguère étaient toujours d'accord avec le ciel. Pauvres et errants dans les environs de Pékin et patiemment retranchés dans les dangereux devoirs d'un apostolat de plus en plus fructueux, les jésuites furent aisément retrouvés; le père Verbiest, présenté à l'empereur, devint, à la suite d'un nouveau concours, président du tribunal des mathématiques; les épreuves se firent dans l'intérieur du palais; elles portèrent sur l'ombre d'un stylet vertical, sorte de gnomon dont Verbiest, sans se tromper une seule fois, marquait l'ombre exacte plusieurs semaines à l'avance. La science de Verbiest fut pour le jeune empereur un grand divertissement; il apprit de lui la géométrie d'Euclide, dont les six premiers livres, déjà traduits en chinois par le père Ricci, le furent en tartare mandchoux, qu'il entendait plus aisément; trente-six autres volumes, successivement composés sur les mathématiques et la physique, portèrent au plus haut point la réputation et l'influence de Verbiest, qui, avec les emplois les plus illustres, obtint même dans l'État un rang considérable.

Il mourut en 1688, au moment où arrivaient, comme pour le remplacer, les pères Gerbillon et Bouvet. Arrêtés à Canton par les lois contre les étrangers, ils avaient attendu longtemps avec quatre autres religieux de leur ordre, l'autorisation de pénétrer plus avant; l'empereur seul pouvait la donner. «Que tous viennent à ma cour, répondit. «Khang-hi, ceux qui savent les mathématiques demeureront auprès de « moi pour me servir, les autres iront dans les provinces où bon leur « semblera. »

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Ce que Khang-hi demandait surtout aux missionnaires, c'était des leçons sur les sciences de l'Europe, que depuis longtemps il désirait de mieux connaître. Il désigna lui-même l'arithmétique, les éléments d'Euclide, la géométrie pratique et la philosophie. Le père A. Thomas, le père Gerbillon et le père Bouvet eurent ordre de composer des traités sur ces matières; ils les écrivaient en tartare; ceux qu'on leur avait donnés pour maîtres en cette langue les revoyaient avec eux avant de présenter leurs démonstrations à l'empereur, qui les comprenait fort aisément et en admirait la rigueur.

Le séjour au palais d'été n'interrompait pas les leçons; les pères

mandés près de lui partaient chaque jour à quatre heures du matin, ne rentraient à Pékin qu'à la nuit. Curieux aussi des sciences naturelles, l'empereur fit traduire en langue tartare un traité d'anatomie. « Je vois <«< bien, dit-il au père Parennin qu'il chargea de ce soin, qu'il y aura à « traiter des matières peu honnêtes, et qu'étant religieux vous pourriez «<les omettre ou n'en parler qu'en termes impropres et dès lors inutiles; «c'est pour cela que je vous ai associé deux médecins habiles, qui trai«teront les matières que vous trouverez être moins convenables à votre profession; car je prétends, ajouta-t-il, que l'on n'omette rien; outre «que nous ne manquons pas d'expressions modestes, c'est que le public « doit retirer un grand avantage de ce livre et qu'il doit contribuer à « sauver ou du moins à prolonger la vie; ce n'est pas un livre à être « montré aux jeunes gens, aussi les figures ne doivent être vues que de «< ceux qui partageront avec vous ce travail. »

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Les études de Khang-hi avec les pères durèrent quatre ou cinq ans sans être une seule fois interrompues; quoique son esprit reçût aisément les démonstrations et qu'il en comprît distinctement toute la rigueur, Khang-hi voyait dans l'expérience une preuve plus évidente du moins, sinon plus indubitable et plus certaine. Il faisait construire des sphères de diverses substances, mesurait leur rayon, calculait leur volume et leur poids et voyait avec admiration la balance confirmer ses formules; il se réjouissait fort à calculer trigonométriquement la hauteur d'une tour ou la longueur d'une allée pour y porter ensuite la toise et retrouver le chiffre prévu. Ces travaux continuels attiraient ses regards sur les pères et nul n'ignorait l'estime de l'empereur pour leur personne, sa libéralité pour leur maison et sa tolérance pour leur religion. Appuyés sur eux, les chrétiens à Pékin pouvaient vivre sans crainte; dans l'intérieur du palais impérial, grand lui-même comme une ville de premier ordre, ils possédaient une église; mais les lois subsistaient, et chaque gouverneur de province avait le droit et se croyait parfois le devoir de les appliquer. Une persécution sanglante contre les chrétiens, suscitée par le vice-roi, éclata dans la province de Tchi-Kiam. Les pères de Pékin, fort émus, dénoncèrent vivement à l'empereur des cruautés indignes de sa bonté comme de sa grandeur, en lui représentant que sa bienveillance tant de fois promise devait épargner au moins le sang de leurs frères. Khang-hi n'aimait pas les coups d'autorité absolue; quoique le cas fût pressant, il voulut suivre une voie régulière et permit aux pères de lui présenter une requête; il la rédigea avec eux et l'envoya aux membres du tribunal des rites, qui la rejetèrent tout d'une voix. «Le culte chrétien étant défendu, le vice-roi,

<«< dirent-ils, devait le réprimer et le punir selon la justice et la loi. » Consulté une seconde fois, le tribunal, maintenant son dire, répondit avec grande raison que, pour la discipline et le bon ordre des affaires publiques, il fallait respecter la loi ou la changer. L'Empereur s'y décida après de longues hésitations, et la mission fut affermie dans l'empire entier pendant la longue durée de son règne.

Les empereurs, pendant cinquante ans environ après la mort de Khang-hi, accueillirent et comblèrent de leurs grâces les savants, les ingénieurs et les artistes éminents que, par un choix toujours habile, la Compagnie de Jésus sut maintenir auprès d'eux, mais ils repoussèrent avec une inflexibilité croissante les prédicateurs de l'Évangile. Sans parvenir à tout gouverner, les pères, par obéissance et par goût, se mêlaient de tout à Pékin; la variété singulière de leurs travaux et la suite continue de leurs succès ne sont pas de mon sujet, je n'ai pas à dire non plus de quelles vicissitudes leur influence fut troublée, et comment la suppression de l'ordre des jésuites et le zèle aveugle des dominicains, en les discréditant à Pékin comme à Rome, déracinèrent et détruisirent sans en conserver le fruit une des entreprises les plus habiles et les plus glorieuses dans l'histoire de la civilisation du monde. Je me réduis à résumer ici, d'après la correspondance des pères jésuites, leurs relations avec les savants chinois; l'exposition nouvelle en Europe des anciens écrits sur les mathématiques, signalés par M. Biernatzki, sera l'objet d'un second article.

J. BERTRAND.

(La suite à un prochain cahier.)

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Histoire de la FAUSSE ÉLISABEth II.

Die vorgebliche Tochter der Kaiserin Elisabeth Petrowna. Berlin, 1867. Сборникъ Русскаго историческаҹо общества. Томъ I. Бумаги изъ дѣла о самозванкѣ извѣстной подъ именемъ кияжны Таракановой. Pétersbourg, 1867.

PREMIER ARTICLE.

Grâce à la libéralité de l'empereur Alexandre II, les archives impériales de Russie sont aujourd'hui d'un accès facile pour les lettrés. C'est dans ce vaste dépôt que puisent plusieurs revues, qui, à SaintPétersbourg et à Moscou, publient périodiquement une foule de pièces historiques de nature à jeter un jour nouveau sur des événements mal connus et sur l'état des mœurs et de la civilisation pendant les deux derniers siècles. Les documents que je me propose d'analyser proviennent des archives impériales et ont paru en 1867, les uns dans un petit volume anonyme imprimé à Berlin, les autres dans les mémoires de la Société historique de Russie.

Parmi beaucoup de méfaits attribués à Catherine II, on lui impute la mort d'une princesse Tarakanof1, fille d'Élisabeth Pétrowna. C'est maintenant une sorte de légende qui a souvent inspiré les poëtes, les romanciers et les artistes 2. Selon l'opinion vulgaire accréditée par des biographies et des mémoires de contemporains, cette infortunée, cnlevée en Italie, transportée à Pétersbourg et jetée dans un cachot de la forteresse, y aurait péri dans une inondation de la Néva, le sol de sa cellule étant plus bas que les eaux du fleuve. Catherine, pour se débarrasser d'une rivale dangereuse, l'avait condamnée à une prison perpétuelle.

'Ce nom vient d'un village de la Petite Russie appartenant au comte Razoumofski, favori d'Élisabeth, qu'elle avait nommé Ataman des Cosaques. On tient généralement pour certain que l'impératrice avait épousé secrètement Razoumofski, et qu'elle en eut un fils et une fille, à qui on donna le nom de Tarakanof. Ils furent élevés dans des couvents, entrèrent de bonne heure en religion, et moururent à Moscou presque ignorés, dans les premières années de ce siècle. On se rappelle le beau tableau de Flavitski à l'Exposition universelle de 1867.

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Voici maintenant ce que révèlent les pièces authentiques publiées en Russie et en Prusse au sujet de la prisonnière de Catherine.

L'auteur anonyme de sa biographie imprimée à Berlin, après avoir dépouillé minutieusement toute la correspondance de l'héroïne, déposée aux archives impériales, n'a rien pu découvrir de certain sur le lieu de sa naissance et ses premières années. Il est probable qu'elle était allemande. Les deux langues qu'elle parlait et écrivait avec quelque facilité étaient le français et l'allemand; or il suffit de lire une de ses lettres pour s'apercevoir qu'elle n'était pas française. A l'en croire, elle était née en 1752, mais il y a grande apparence qu'elle ne disait pas la vérité et qu'elle avait au moins vingt-cinq ou vingt-six ans lorsqu'elle s'avisa de jouer un rôle politique. Le comte Alexis Orlof et le prince Golitsyne écrivant à l'impératrice font un portrait assez peu agréable de la fausse princesse, mais l'un l'avait vue malade, l'autre malade et prisonnière. Elle était de taille moyenne, maigre, le nez aquilin et long, les yeux bruns, grands et vifs, louchant un peu, les sourcils et les cheveux noirs. «Elle a l'air d'une Italienne, dit le prince Golitsyne; elle est fine, « spirituelle, emportée, très-instruite; elle parle le français et l'allemand << avec une bonne prononciation. Elle dit qu'elle sait l'anglais, l'italien, « le persan et l'arabe. » Il est certain qu'elle comprenait l'anglais et l'italien, mais personne ne mit à l'épreuve son savoir dans les langues orientales.

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Sa correspondance, saisie et transportée avec elle à Pétersbourg, ne remonte pas au delà de 1772. Cette année-là nous la trouvons à Londres en compagnie d'un soi-disant baron d'Embs, lequel n'était que le fils d'un négociant gantois, nommé Vantoers, courant le monde pour fuir sa femme légitime et ses créanciers. Il y a grande apparence qu'elle était sa maîtresse, mais elle ne voulait pas passer pour sa femme et se faisait appeler Ali Émettée, princesse de Woldomir en Circassie. Inutile de rechercher où se trouve cette principauté. Après avoir fait des dettes en Angleterre, Vantoers et Ali Emettée arrivèrent à Paris vers la fin de l'été et y vécurent quelques mois, on ne sait trop par quelle industrie. La princesse de Woldomir y fit des connaissances qui lui prêtèrent de l'argent. Il semble même qu'elle fut un moment à la mode. Circassienne, à Paris c'était une recommandation. « Comment << peut-on être Circassienne!» Le mystère dont elle était entourée lui prêtait des charmes. Sa conversation était agréable et elle s'entendait à

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'Le résident français en Toscane écrivait à M. Vergennes en 1775: « Elle est borgne; son âge est de 40 à 42 ans. » Mais il ne l'avait pas vue lui-même.

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