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merveille à exciter la curiosité sans la satisfaire complétement. Elle laissait entendre qu'elle était l'héroïne d'un roman lamentable, et qu'elle avait de grands biens quelque part en Asie. Bref, elle se trouva liée avec plusieurs personnes distinguées, surtout parmi les nombreux étrangers qui viennent chercher le plaisir à Paris. Un noble Polonais, Oginski, hetman de Lithuanie et un des chefs de la Confédération de Bar, se prit pour elle d'une amitié très-vive, mais toute platonique. C'est peut-être de lui qu'elle reçut ses premières notions sur l'histoire de Russie. Au nombre de ses adorateurs, il faut encore noter le Maréchal de Cour du prince de Limbourg et de Styrum, le comte de Rochefort Valcourt, qui devint sérieusement amoureux d'elle et voulait l'épouser.

Après un hiver passé à Paris sans y trouver la fortune, Ali Émettée se rend en Allemagne au printemps de 1773, suivie de Vantoers et de plusieurs de ses amis, dont quelques-uns sont ses créanciers qui ne veulent pas la perdre de vue. On attend tous les jours de l'argent de Perse, mais les communications avec l'Orient sont très-difficiles et incertaines. A Francfort-sur-le-Mein, les amis créanciers mettent Vantoers en prison, à la suite d'explications fort vives entre les membres de la petite société, qui, avec la princesse de Circassie, sont chassés de l'hôtel où ils étaient descendus. Par fortune, le comte de Rochefort se trouvait là, et il fit au prince de Limbourg un tableau si touchant de la position où il venait de laisser la jeune étrangère, que Son Altesse désira la voir, et, comme dans les romans, un seul regard décida de son sort.

Philippe-Ferdinand, comte régnant de Limbourg, seigneur de Styrum, copropriétaire du comté d'Oberstein, avait conservé, à l'âge de quarantedeux ans, l'étourderie et la naïveté d'un écolier sortant du collége. Il avait plusieurs procès devant la Chambre impériale, un entre autres au sujet des duchés de Schleswig et de Holstein, sur lesquels sa naissance lui donnait des prétentions. Avec ses espérances et des revenus assez minces, il vivait aussi magnifiquement que petit prince d'Allemagne de ce temps, et avait un chargé d'affaires auprès de l'Empereur et du roi de France. Catholique très-zélé, il était cependant, comme M. de Pourceaugnac, «de complexion amoureuse, » et cherchait vainement une compagne selon son cœur. Le comte de Rochefort lui ayant demandé la permission d'établir au château d'Oberstein la princesse circassienne, en attendant qu'elle reçût les fonds qui viendraient de Perse, il y consentit très-gracieusement, paya les créanciers les plus incommodes, apaisa les autres, et cependant eut la précaution de laisser Vantoers en prison. Puis, comme M. de Rochefort devenait pressant et

voulait épouser Ali Émettée, il le mit aux arrêts et le tint prisonnier quelques mois. Philippe-Ferdinand était un bon homme au fond, mais jaloux comme Orosmane. Le biographie allemand a consacré un grand nombre de pages aux amours du prince et de la Circassienne. Je ne le suivrai pas dans les détails de cette liaison, qui n'a rien que de très-ordinaire, et le spectacle d'une intrigante qui exploite un amant aveugle se voit partout. Lorsque le prince s'imaginait que son amour n'était pas partagé, il prêtait l'oreille à quelques-uns de ses amis qui élevaient des doutes sur l'origine et les grands biens de la Circassienne; alors elle lui déclarait qu'elle allait partir pour la Perse ou pour la Russie, et, à l'idée de la perdre, il oubliait ses soupçons. Redevenu le plus soumis des amants, il jurait que, si elle se séparait de lui, il irait tout aussitôt s'enfermer dans un cloître. En revanche, elle lui promettait monts et merveilles. Elle rachèterait toutes les hypothèques mises sur les terres de S. A....., dès qu'elle aurait reçu les millions promis par ses banquiers d'Ispahan. Comme elle prétendait connaître intimement tous les personnages les plus influents de l'Europe, elle lui offrait sa protection à Vienne, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, lui garantissait qu'elle lui ferait gagner tous ses procès, et, preuve convaincante de son crédit, elle lui montrait des brouillons de lettres ou de mémoires qu'elle adressait à des ministres ou à des rois.

Le plus sensé des amis de Philippe-Ferdinand était un comte de Hornstein, ministre de l'Électeur de Trèves. Bien qu'un peu ébloui luimême par les récits magnifiques de la Circassienne, il ne pouvait s'empêcher de trouver à redire à la vie qu'on menait au château d'Oberstein. Il appelait le prince Télémaque, Ali Émettée Calypso, et luimême prenait le nom et la sévérité de Mentor. « Il fallait faire cesser, « disait-il, le scandale d'une liaison non autorisée. Rien de mieux que d'épouser une princesse étrangère remplie de grâces; mais, avant tout, « il fallait démontrer à l'Allemagne que le comte de Limbourg ne se <«< mésalliait pas; et, second point non moins important, la princesse n'est << pas catholique. A vrai dire, on ne sait quelle est sa religion. Qu'elle <«< entre au giron de l'Église, et, pendant qu'elle se préparera, une sépaaration est indispensable; elle ne sera que momentanée. »>

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Le prince amoureux consentit à faire un petit voyage. La lettre suivante montre les combats que se livraient dans son cœur le devoir et l'amour:

Celle-ci n'est que pour vous prévenir, mon très-cher enfant, que je ne serai rendu que demain le X septembre, à Francfort, et qu'il m'a été impossible d'y arriver

plus tôt. Je n'arriverai donc que dimanche à Coblence, où j'espère recevoir de vos nouvelles. Je puis donc être rendu indubitablement la semaine prochaine à vos pieds. En attendant, je vous supplie de ne point répondre à M. de Hornstein, car il serait impossible que vous puissiez éviter de tomber en contradiction avec ce que j'ai avancé, quoique ce n'est que la pure vérité, mais vous m'avez rendu un peu politique. Il s'agit donc d'être un peu d'accord entre nous; je ne puis rien vous dire de nos affaires, sinon que je me tue à les réparer et à trouver des moyens pour ne point vous exposer à redevenir la risée des . . . . . curieux; mon amour pour vous, mon cher enfant, redouble chaque jour, malgré tout le mal que vous m'avez fait. Je me meurs de douleur quand je pense quelquefois que la raison pourrait bien ne point être d'accord. Tâchez donc, vous qui êtes la sagesse même, d'y apporter remède. Il s'agit de penser sérieusement à notre bonheur futur. Je m'attends surtout que vous m'accorderez cette fois de pouvoir mettre ma conscience en repos, et que je prenne toutes les précautions pour pouvoir vous aimer avec autant de pureté [que] de sincérité. Soyez persuadée qu'il est de notre intérêt qu'il en soit ainsi, et que, mettant Dieu de la partie, nous nous moquerons de l'univers, car je suis résolu de vivre dorénavant en bon chrétien, de tout sacrifier à celui dont je tiens tout et de qui j'espère tout, même notre union, qui seule peut faire mon bonheur dans ce monde.

Adieu, mon adorable cher petit enfant, je t'aime plus que jamais.

Sans lieu, ni date'.

La Circassienne ne demandait pas mieux que de se faire catholique, car elle se flattait de gagner ainsi le comte de Hornstein, qui tirerait gloire de sa conversion. Quant à fournir des preuves de son origine, rien de plus facile, mais il fallait du temps. En attendant, elle annonça au prince et à ses amis qu'elle était dame d'Azof. Azof est une des seigneuries des Woldomir. On l'avait mise sous le sequestre en 1749 pour vingt ans. Maintenant le sequestre était levé. Tout enfant elle avait été obligée de se réfugier en Perse et n'en était revenue que depuis quatre ou cinq années. Elle irait à Ispahan chercher les preuves qu'on réclamait, mais elle laissait entendre que le schah avait un parti tout prêt pour elle et qu'il lui serait peut-être difficile de le refuser. C'est par des fables si grossières qu'elle apaisait les soupçons du prince de Limbourg et du comte de Hornstein, et, tout en leur parlant de ses trésors de Perse, elle tirait de l'un et de l'autre assez d'argent pour embarrasser notablement leurs affaires. Assurée de sa dupe, elle ne prenait plus la précaution de ménager la jalousie de Philippe-Ferdinand, et il paraît que, dans l'hiver de 1773 à 1774, elle lui donna un rival pendant un petit voyage qu'elle aurait fait à Mosbach 2.

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Die vorgebliche Tochter, etc. Beilagen, xxxvII. L'original est en français. Mosbach n'est pas loin d'Oberstein. Il se peut au reste que l'inconnu fût venu

Quel était cet amant favorisé? Le biographe allemand conjecture avec toute vraisemblance que c'était un certain Domanski, gentilhomme polonais, que nous retrouverons bientôt, et qui voyageait alors en Allemagne avec une mission secrète du prince Radziwill, dans l'intérêt des Confédérés de Bar. Ce qui est certain, c'est que de cette liaison, je devrais dire de cette rencontre, date un nouveau système de mensonges produit par Ali Émettée. En effet, ce fut alors qu'elle commença à se donner pour la fille de l'impératrice Élisabeth Pétrowna. Le comte Oginski, avec lequel elle avait toujours été en correspondance, était incapable de lui suggérer une pareille fraude; rien dans ses lettres n'indique qu'il en eût même le soupçon. Et, lorsqu'il l'apprit enfin, ce fut avec une complète incrédulité qu'il en accueillit la nouvelle.

Le prince de Limbourg en fut-il la dupe? c'est ce qu'il n'est pas facile de décider. Telle était sa passion, que rien ne pouvait plus la détruire. Qu'il surprît sa maîtresse en flagrant délit de mensonge, il s'en affligeait, mais ne l'en aimait pas moins. Par moments il semble accepter son illustre origine; d'autres fois il la supplie de ne plus inventer de fables, la conjure de lui dire la vérité, prêt à tout lui pardonner, jusqu'à ses trahisons. Elle venait de perfectionner son roman. Son vrai nom, dit-elle, était celui de sa mère, Élisabeth. Tout enfant on l'avait enlevée à son père le comte Razoumofski pour la mener en Sibérie. Après une tentative d'empoisonnement qu'une gouvernante fidèle avait déjouée, on l'avait conduite en Perse à la cour du schah, parent de son père. Restait à montrer qu'elle était héritière du trône de Russie. Elle prit encore quelque temps pour préparer l'imposture.

La guerre durait toujours entre la Russie et la Porte ottomane, mais les Turcs, découragés par l'incendie de leur flotte dans la baie de Tchesmé1, semblaient disposés à la paix. Les Confédérés de Bar s'y opposaient de tous leurs efforts, favorisés peut-être secrètement par la France, qui permettait à un grand nombre d'officiers de prendre du service en Turquie ou de s'enrôler dans des corps levés par des seigneurs polonais. Les plus riches des Confédérés avaient engagé leurs biens pour recruter des soldats et offrir un corps auxiliaire aux Ottomans. Ils représentaient au grand vizir que la Russie était épuisée d'hommes et d'ar

de Mosbach au château qu'habitait la dame. L'étranger de Mosbach, c'est ainsi que le comte de Limbourg le désigne dans ses lettres. Le même individu se retrouve plus tard à Raguse avec la fausse Élisabeth; or, à l'exception de Domanski, on ne sait personne qui ait pu continuer dans cette ville une liaison commencée en Allemagne. Elle fut brûlée par la flotte russe, que commandait Alexis Orlof et que dirigeait l'Anglais Elphinston.

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gent, qu'elle était déchirée par une guerre civile épouvantable. L'insurrection excitée par Pougatchef montrait combien le gouvernement de Catherine était détesté. Encore un peu de constance, la Porte verrait son triomphe assuré et la Pologne morcelée reprendrait ses anciennes limites. Tels étaient les rêves dont se berçaient les Confédérés au commencement de l'année 1774.

Grâce à ses relations, peut-être même par suite des communications qu'elle devait à l'inconnu de Mosbach, la princesse de toutes les Russies, car c'est ainsi qu'on la nommait maintenant, avait appris que le prince Charles Radziwill, palatin de Wilna, se rendait à Venise pour passer de là à Constantinople avec l'espérance d'y faire prévaloir la politique de son parti. Elle annonça au prince de Limbourg qu'elle avait besoin de conférer avec Radziwill, et peut-être de profiter de sa compagnie pour aller à Constantinople et de là en Perse. D'abord PhilippeFerdinand voulait partir avec elle, mais le comte de Hornstein parvint à l'en détourner, d'autant plus facilement que la fausse princesse se souciait peu d'avoir un surveillant auprès d'elle, résolue, comme il semble, d'essayer auprès du palatin ses moyens ordinaires de séduction. Toutefois le projet fut modifié. Elle chargerait un agent d'aller à Constantinople sous la protection de Radziwill, et, après son départ, elle se rendrait à Vienne pour s'occuper des procès du prince de Limbourg, qu'elle se chargeait de mener à bien. En outre, elle avait quelques propositions confidentielles à faire au roi de Prusse. «Elle était disposée à permettre qu'il étendit ses frontières du côté de l'est, « moyennant qu'il s'alliât à M. de Puhaczef1. Cependant elle occuperait « la Russie à l'aide de la Suède, et l'Autriche au moyen de la Turquie. » Le pauvre Philippe-Ferdinand lui donna sa procuration pour ses procès devant la Chambre impériale, et tout l'argent dont il pouvait disposer, ce qui n'était pas considérable. Après l'avoir accompagnée jusqu'à Deux-Ponts, il la quitta en lui recommandant sur toutes choses de voir à Venise un bon prêtre qui la préparât pour sa conversion. Il était bien résolu de l'épouser à son retour, et les amis du prince étaient convaincus qu'elle emportait une promesse de mariage en bonne forme.

((

Rentré dans ses petits États, Philippe-Ferdinand y recevait coup sur coup une série de mauvaises nouvelles. Il avait perdu son procès devant la Chambre impériale; Pougatchef était battu; Oginski refusait nettement de se mêler des affaires d'Élisabeth et semblait prendre ses prétentions pour une méchante plaisanterie; enfin, ce qui l'affligea le plus

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Cette orthographe montre qu'elle avait appris ce nom d'un Polonais.

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