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tit alors pour Venise avec les officiers qu'il avait attirés à Raguse. De toute sa suite il ne resta auprès de la fausse Élisabeth que Domanski, un autre gentilhomme nommé Czernowski, et un ex-jésuite appelé Chanecki.

La lettre suivante du prince de Limbourg à sa maîtresse infidèle expliquera en partie ce qui s'était passé à Raguse. On voit que le pauvre prince ne peut se consoler qu'un simple gentilhomme ait été son

successeur.

Malgré... malgré... malgré... je fais toujours ce que vous voulez, et comment pourrait-on chagriner ce qu'on a si tendrement et sincèrement aimé ! Quand on aime pour soi, on cherche son plaisir, quand on aime comme je le fais, on sait y renoncer quand il le faut. Je vous conjure donc, mon cher enfant, de ne vous occuper que de vous, de ce qui peut vous procurer votre vraie satisfaction. Je saurai toujours renoncer à mes droits, lorsqu'il s'agira de les céder pour vous rendre heureux (sic); mais, de grâce, ne vous faites pas illusion à vous-même. Vous êtes à un âge où il est temps de réfléchir, et dans une position où toute méprise devient irréparable. Consultez-vous d'abord avec Dieu, implorez son secours, sacrifiez-lui votre cœur, qui est la seule chose qu'il ambitionne, et que vous ne devez qu'à votre créateur, qui l'a créé pour lui. Il usera de tous les moyens pour le gagner, et si vous persistez enfin à lui résister, il vous abandonnera à votre aveuglement volontaire.

Si je ne cherchais à vous éviter de la peine, je vous communiquerai (sic) une pasquinade qu'on dit annoncée dans une feuille périodique, et qui ne peut concerner que vous et l'étranger de Mosbach'. Elle est très-humiliante et vous donne un objet de tendresse indigne du rang que... Je connais ce personnage par ce qui lui appartient au Palatinat3. Je compatis à votre faiblesse, si ça est, mais je ne vous pardonnerai jamais une bassesse, surtout après... Je me garderai bien de vous donner des conseils. Il y a des gens de mérite dans la lie du peuple, et dont les sentiments ennoblissent la naissance. La vertu seule est digne d'un trône, mais elle doit être reconnue et éprouvée; elle ne se mesure pas à l'aune.

Le bonheur ne dépend que de la tranquillité de l'âme; tout ce qui y mène doit être l'objet de nos désirs. Tout le reste est vanité, erreur; mais jamais on n'en peut jouir que par la vertu. Si donc vous trouvez de quoi vous procurer ce bonheur, Mae Frank, M Schöll ou Mme Trémouille, ça reviendra au même, que ce soit par la flûte ou par le tambour3. Mais qu'il est rare, mon cher enfant, de ne pas se

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Le Polonais qui, dans l'hiver de 1773-1774, avait été remarqué par l'aventu rière. D'après l'expression du prince, il semble qu'il ne sache pas son nom. C'est, à n'en pas douter, Domanski. S'il s'agit du Palatinat, province d'Allemagne, je ne comprends pas la phrase. Peut-on dire: Je connais un homme par la maison qu'il a en Normandie?» Je crois que le prince fait allusion aux palatins polonais, Oginski ou Radziwill. Il suppose que l'inconnu de Mosbach est quelqu'un de leur suite, et se révolte à l'idée que sa Betty épouse un serviteur ou un gentilhomme attaché dans une fonction subalterne à un seigneur polonais. Il veut dire, je pense: «Si vous épousez cet homme, vous deviendrez une petite bourgeoise comme mesdames Frank, etc..

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tromper lorsque la seule passion nous guide. Maudit amour, raison sévère, à qui des deux dois-je céder? (dit Racine.) Qu'un instant de plaisir me va coûter des pleurs (sic). Vous voyez que je suis raisonnable et que je ne gronde point, mais je veux que vous le soyez aussi et que vous me regardiez comme un vrai ami. Ces sentiments, je crois, me méritent ce titre, et c'est tout ce que j'ambitionne, puisque votre sang chaud m'a privé de celui d'amant. Je suis chaud aussi, mais que Dieu me damne éternellement si j'en ai fait l'essai depuis le départ de Betty, et j'ai juré au Dieu éternel que jamais plus n'arrivera...

J'ai fait dire des messes et ai fait mes dévotions pour que Dieu vous bénisse et surtout qu'il vous éclaire, ou plutôt qu'il amollisse une fois votre cœur, qui ne cherche que les ténèbres et n'aime que la vanité et l'illusion. Excusez, ma chère amie; on vous flatte assez pour que j'ose vous dire la vérité. Le musicien officier a écrit à sa famille et prétend que le Pr. R.' s'y est seul opposé. Serait-il possible qu'il en eût eu connaissance ? Dans ce cas je ne serais plus surpris de son changement... Tout le monde vous aime et estime ici, cependant, ça n'empêche point qu'on ne me propose des jeunes vertus de tous côtés pour me marier, mais Dieu, qui gouverne mon cœur, m'inspire d'autres sentiments, et j'espère que les vôtres ne me déshonoreront jamais, car mon amitié est à toute épreuve.

(Sans date.)

P. D. L.

Je n'en ai point encore fini avec les aventures de la fausse Élisabeth à Raguse. Non contente de vouloir communiquer au Sultan le testament fabriqué, elle en avait expédié une autre copie au comte Alexis Orlof, le commandant de la flotte russe dans la Méditerranée, qui, pour rétablir sa santé, ou, comme le bruit en courait, pour se rapprocher de sa maîtresse en titre, madame Demidof, était allé s'établir à Pise et se reposait sur ses lauriers de Tchesmé. Nul doute que le bruit de la disgrâce de son frère Grégoire Orlof ne fût parvenu aux oreilles de l'aventurière, et elle dut en conclure que le comte Alexis en gardait du ressentiment contre Catherine. Il se vanlait d'avoir fait une impératrice; pourquoi n'en ferait-il pas encore une autre? La fausse Élisabeth lui envoya les testaments, et elle y joignit une sorte de manifeste et l'ordre de les communiquer à la flotte dont il avait le commandement. Ce manifeste est tout aussi ridicule que l'instruction sur le gouvernement, dont on a vu quelques extraits, et est à peine intelligible. Enfin une lettre particulière, en français, adressée en même temps à Orlof, lui annonçait l'existence d'une fille d'Élisabeth, résolue à revendiquer ses droits au trône. «Il s'agit de savoir, lui disait-on, si vous voulez être << dans nos intérêts ou non? Si vous y voulez être, voici la conduite qu'il

1 Radziwill.

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« faudra que vous teniez, M. le comte. Vous commencerez par publier « un manifeste qui renfermera les articles que voici ci-joints', sinon, « nous n'aurons pas de regrets de vous avoir fait part de nos démarches, <«<et cela vous prouvera que nous ambitionnons de vous avoir dans nos « intérêts..... Nous sommes alliés avec la Sublime Porte; nous n'entre«rons point en composition, ni même en explication; tout ce que nous «pouvons dire, c'est que nous déclarons hautement et à la face de <«< toute la terre que l'on nous a usurpé notre empire, en nous voulant « faire subir une mort honteuse, mais la Providence, toujours juste, nous « a délivrée miraculeusement des mains injustes qui croient couper le fil « de nos jours. Il est bon de vous prévenir que tout ce que l'on fera <«< contre nous n'aura nul effet, vu que nous sommes dans l'empire turc, << et nous allons avec une escorte du Grand Seigneur. »>

Quelques lignes plus loin l'aventurière, oubliant qu'elle est en Turquie, offre à Orlof d'aller le voir à Livourne. Elle termine en l'assurant de sa reconnaissance : «Tout ce que nous pourrons vous assurer, c'est que, « dans quelques circonstances que vous vous trouviez, nous prendrons, « fait et cause de votre personne (sic), et nous vous promettons d'être, << dans tous les temps, votre défense et votre appuy. De la reconnaissance « il n'est pas nécessaire que nous vous en parlions, elle est si douce aux « âmes sensibles, qu'elle ne laisse point d'espace entre la sensibilité et la « susceptibilité 2, sentiments que nous vous prions de croire à toujours << sincères. >>

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Une dernière lettre, écrite dans un galimatias tout semblable, fut adressée au comte Panine, ministre des affaires étrangères à SaintPétersbourg, et signée : Princesse Élisabeth.

Elle lui annonce qu'une effroyable catastrophe va éclater et qu'il est de son intérêt de se déclarer au plus vite pour sa souveraine légitime. « Je me prépare, dit-elle, pour me rendre à Saint-Pétersbourg, et c'est << votre faute si je n'y suis pas depuis longtemps. Je vous prie de prendre << des mesures pour que je passe sûrement; mon arrivée doit être à petit << bruit. >> Puis elle lui dit d'adresser sa réponse à Coblentz, d'où l'on peut conclure qu'elle comptait sur le prince de Limbourg pour retirer ses lettres et les lui faire tenir. Aujourd'hui probablement, l'homme d'État qui recevrait des lettres telles que la fausse Élisabeth en adressait à

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C'est-à-dire le manifeste adressé à la flotte russe pour qu'elle eût à la reconnaître comme légitime héritière d'Élisabeth. - Die vorgebliche Tochter, etc. Beilagen, xx. Elle croit que susceptibilité veut dire décision, hardiesse. Dans sa lettre au comte Panine elle dit «Votre caractère noble et susceptible.» Au reste Alexis Orlof n'entendait pas le français. - Die vorgebliche T. etc. Beilagen, p. xxvi.

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Panine s'empresserait de les jeter au feu et de faire défendre sa porte à l'impertinent qui les aurait signées. Panine se crut obligé d'informer l'impératrice de l'existence d'une prétendante au trône, et Orlof envoya partout des agents pour découvrir sa retraite.

(La suite à un prochain cahier.)

P. MÉRIMÉE.

LES GÈTES ou la filiation généalogique des Scythes aux Gètes et des Gètes aux Germains et aux Scandinaves démontrée sur l'histoire des migrations de ces peuples et sur la continuité organique des phénomènes de leur état social, moral, intellectuel et religieux, par Frédéric Guillaume Bergmann. Paris, 1859, in-8°. De l'influence exercée par les Slaves sur les Scandinaves dans l'antiquité, par le même. Colmar, 1867, in-8°.

TROISIÈME ET DERNIER Article1.

La détermination de la race désignée dans la Genèse sous le nom de Javan est, des diverses questions que soulève la géographie primitive, l'une de celles auxquelles on peut apporter la solution la moins contestable. Ce mot (, lavav) est visiblement la transcription hébraïque du nom d'Ion (Ĭwv), dont la forme originelle était laon (Ìάwv), lan (İáv, Ìás) 2. D'où il suit que la Bible désigne ainsi les Ioniens. Mais on ne saurait voir seulement ici la population à laquelle les Grecs appliquèrent plus spécialement cette dénomination, et il faut se reporter, pour en trouver la traduction géographique exacte, à son acception primitive. Dans le principe, les Grecs se partageaient en deux grands embranchements: les Ioniens et les Doriens3. Les premiers représentaient, au dire Voir, pour le premier article, le cahier d'avril, p. 215; pour le deuxième, le cahier de mai, p. 289. Voy. A. Knobel, Die Völkertafel, p. 77.—3 Hérodote, I, LVI.

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d'Hérodote1, la souche pélasgique; les seconds, la souche hellénique proprement dite. Etablis dans le Péloponèse et l'Attique, les îles de la mer Egée, sur les côtes de l'Asie Mineure qui y faisaient face, les Ioniens furent connus des nations asiatiques avant les Doriens. Aussi leur nom paraît-il avoir été étendu par celles-ci à tous les Grecs. C'est ce qui ressort des textes persépolitains 2. A l'époque à laquelle nous place le chapitre x de la Genèse, les Ioniens n'avaient pas, d'ailleurs, encore fondé sur la côte de l'Asie Mineure les établissements auxquels leur nom finit par s'attacher exclusivement. Et en effet certains passages des Prophètes, relevés par M. A. Knobel3, montrent que, fort postérieurement, le nom de Javan continuait, chez les Hébreux, à désigner l'ensemble des Grecs. Le scholiaste d'Aristophane dit au reste formellement que les barbares appliquaient aux Grecs l'appellation générique d'Ioniens. Il serait pourtant inexact de supposer que le chapitre x de la Genèse, par cela même qu'il attribue une acception fort étendue au nom de Javan, n'a point distingué les deux races dont la réunion constitua la nation grecque; on verra tout à l'heure, au contraire, qu'elle caractérise par une appellation particulière le rameau hellène ou dorien. Mais, pour le livre sacré, c'est Javan, autrement dit, ce sont les Ioniens qui personnifient la race mère; il représente les Doriens comme s'en étant détachés plus tard; ce qui nous fait reconnaître dans Javan les Ioniens primitifs, c'est-à-dire les Pélasges. Hérodote, confirmé en cela par d'autres auteurs, nous apprend que les Ioniens descendaient de ces derniers, qui avaient occupé la plus grande partie de la contrée qu'on appela dans la suite la Grèce. Répandus d'abord dans l'Attique, la Béotie, la Thessalie, les îles de l'Archipel, ils continuaient à former, au v° siècle avant notre ère, le fond de la population du Péloponèse; de nombreuses traces de leur existence subsistaient encore, à cette époque, sur la côte de l'Asie Mineure; ils s'étaient avancés dans la Chersonèse de Thrace et l'Épire, et gardaient en certains lieux leur caractère national, quoique déjà fondus partout ailleurs dans la masse des Hellènes 5. Divers noms géographiques fort anciens indiquent qu'ils avaient pénétré jusque sur le cours moyen de l'Axius (Vardar) o.

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'Hérodote, 1. c. Cf. VII, XCIV, xcv. - Voy. l'inscription de Bisoutoun où la Grèce est appelée : Yaouna, Yona. (Journal of the royal asiatic society of Great Britain, t. X, p. 197. Cf. Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 730.) — Isaïe, LXVI, 19. Daniel, vIII, 21. Cf. Knobel, p. 77. — Schol. ad Acharn. 104. Cf. Hesychius v lávva. — 3 Hérodote, I, LVI, V, XXVI. Voy. mon Histoire des religions de la Grèce antique, t. I, p. 18 et suiv. Voy. B. Giseke, Thrakisch-Pelasgische Stämme der Balkanhalbinsel, p. 35 (Leipzig, 1858).

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