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Charles VIII, avant de quitter la Lombardie, y avait envoyé Comines pour en obtenir davantage. Mais Venise redoutait que la France ne devint trop forte en Italie. A la mort de Jean Galéaz, elle aurait vu volontiers Charles VIII soutenir son fils: car elle se défiait du Maure. Ludovic ayant succédé sans opposition, Venise avait jugé prudent de ne se point mettre mal avec lui: car elle préférait encore son voisinage à la domination directe des Français, et, comme Milan, elle les voyait avec inquiétude prendre position en Toscane. Les deux puissances naguère rivales avaient donc un intérêt commun, une cause de rapprochement; mais, avant de rien conclure, elles voulaient voir ce qui arriverait à Rome, et l'attente ne devait pas être longue.

Alexandre VI était fort inquiet; et vraiment à Rome on ne pouvait que s'attendre à une catastrophe. A quelle époque avait-on jamais vu, pouvait-on voir jamais se manifester plus clairement ces sinistres présages de l'Evangile: «Quand vous verrez l'abomination de la désolation <«dans le lieu saint..., » Alexandre VI siégeant dans la chaire de saint Pierre!

M. de Cherrier nous montre le trouble et les agitations du pape en ce péril. Devait-il résister, fuir ou traiter? Il avait commencé par négocier; mais Charles VIII ayant déclaré qu'il ne voulait rien conclure qu'avec lui personnellement, il eut peur et ne songea plus qu'à la résistance. Ferdinand s'était replié de la Romagne sur Viterbe, et de Viterbe sur Rome: quelle meilleure occasion? Mais l'approche des Français faisait lever la tête partout aux ennemis du pontife: les troupes de Naples suffiraient-elles à les contenir? Il fuira done; et il avait fait signer aux cardinaux l'engagement de le suivre partout. Mais était-il bien sûr qu'ils le suivraient? et, quand Charles VIII serait à Rome, ne pourraient-ils pas bien l'y rejoindre à l'appel du cardinal de la Rovère? Rome était un lieu qu'il était, dans sa situation, imprudent de céder. Cependant tout le pays était déjà aux mains de Charles VIII. Virginio Orsini, qui y possédait de grands domaines, avait envoyé ses fils faire leur soumission au roi de France, tout en restant au service du roi de Naples: car « ainsi << vivent en Italie, dit Comines, et les seigneurs et les capitaines, et ont «sans cesse pratique avec les ennemis et grand peur d'estre des plus u faibles 2. » A Rome même le peuple se montrait favorable aux Français.

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Sur ces craintes de Venise et ses négociations avec Milan, voyez t. II, P.

55-60. - Comines, 1. VII, ch. Ix. Le témoignage de Guichardin est plus fort encore:

« Les Français, peu accoutumés aux souplesses italiennes, furent dans la plus grande surprise que Virginio, sans quitter le service du roi de Naples, consentit néan

Alexandre VI était dans l'angoisse: il se rappelait tout ce que Charles VIII pouvait réclamer de lui, et comme roi de France et comme roi trèschrétien; il voyait le cardinal de la Rovère auprès du prince, parlant de réunir un concile. Heureusement Charles VIII se souciait peu de mêler à la question de Naples une question religieuse, une réforme de l'Église, un schisme peut-être! Il fit au pape de grandes promesses: Alexandre n'hésita plus. Il permit à Charles VIII d'entrer dans Rome, lui demandant un sauf-conduit pour Ferdinand qui s'y trouvait encore; mais celui-ci le refusa, ne voulant pas d'autre garantie que son armée.

Ferdinand sortait par une porte, quand les Français entrèrent par une autre, fort déçus dans l'idée qu'ils s'étaient faite de la ville éternelle. Saint-Pierre n'était pas encore bâti, et ils se connaissaient peu en antiquités! Le pape s'était réservé le Transtevere; il se retira même bientôt dans le château de Saint-Ange, voulant bien recevoir le roi dans Rome, mais non se mettre entre ses mains. Ce n'était pas ainsi que Charles VIII avait coutume d'être accueilli, et le pape faillit se trouver mal de ses défiances. Déjà le canon était braqué sur le château, et plusieurs cardinaux pressaient Charles VIII de recourir à des mesures d'une autre sorte qu'ils jugeaient plus décisives encore. Le pape se hâta de céder. Par le traité qui fut conclu (11 janvier 1495), il ouvrait au roi ses principales places fortes jusqu'après la conquête; il lui promettait l'investiture de Naples; il lui livrait Djem, frère de Bajazet, moyen d'action que Charles VIII voulait se ménager contre les Turcs: et, comme gage de sa propre fidélité, il lui donnait, pour le suivre, son fils, le cardinal de Valence, César Borgia2. Alors il osa revenir au Vatican; il fit Briçonnet cardinal, reçut Charles VIII au serment d'obédience, le proclama fils aîné de l'Eglise, et il commença à ne plus tant craindre les desseins de la Rovère et des autres cardinaux, ses ennemis.

Cet événement annonçait au roi de Naples ce qu'il avait maintenant à redouter. Non-seulement son plan d'attaque avait échoué, mais luimême était à découvert. Florence puis Rome avaient dù céder et se joindre même au roi de France. Ferdinand, débordé et ramené de la Romagne à Rome, avait quitté Rome et se repliait derrière les frontières de Naples; et que n'avait-il pas à craindre en deçà même de ces frontières où tant de monde détestait le joug aragonais? Alphonse, comme

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« moins à ce que ses fils traitassent avec le roi de France; qu'ils s'obligeassent à lui fournir les vivres, à lui donner une retraite et un passage sur les terres qu'ils « 1v.) – avaient dans les États de l'Église, etc. (Liv. I, ch. IV.)- Charles VIII fit pourtant publier une relation intitulée: Les merveilles de Rome. M. de M. Cherrier l'a reproduite dans ses éclaircissements, t. II, p. 483-491. Voyez l. II, p. 84-86.

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dernier remède, abdiqua en faveur de son fils; mais ces abdications in extremis n'ont jamais sauvé les dynasties, et Ferdinand devenu roi en allait faire l'expérience.

Charles VIII, il faut le reconnaître, lui laissait tout le temps d'y aviser. Il était resté une semaine et plus à Florence. Une ville comme Rome méritait bien un plus long séjour : il y resta un mois. Quand il en partit (28 janvier 1495), il ne tarda point à voir ce qu'il pouvait attendre d'Alexandre VI: dès son arrivée à Velletri, César Borgia, qui le devait suivre, l'abandonnait. Charles VIII n'en continua pas moins. Il n'avait pas coutume de regarder derrière, et devant, tout se passait de la même sorte. Ferdinand s'était posté dans une forte position, à SanGermano sur le Garigliano: ses troupes s'enfuirent jusques à Capoue. La place était forte, et il se trouvait couvert par le Vulturne, la seconde ligne de défense du royaume de Naples : une émotion à Naples l'y rappelle. Il laisse, en partant, à Trivulce le commandement des troupes. Mais, pendant son absence, Trivulce traite avec Charles VIII; et, quand il revient de Naples à Capoue, il apprend que, dès la veille, les habitants y ont reçu les Français. Il revient à Naples, mais là aussi le peuple ameuté crie: « Vive la France. » Ferdinand, menacé dans sa liberté, est réduit à se jeter, avec ce qui lui reste de troupes, dans les deux châteaux qui commandent sa capitale : le château Neuf et le château de l'OEuf, presque inaccessible par sa position au milieu de la mer; et Naples, sans plus se soucier de lui, envoie une députation à Charles VIII pour lui dire que « ses nouveaux sujets l'attendent, comme les Juifs le Messie. »> Ce n'est pas seulement le parti angevin, c'est la population tout entière qui l'acclame à son arrivée (22 février): «Jamais, dit Comines, peuple « ne montra tant d'affection à roi ni à nation, comme ils montrèrent « au roi, et pensaient estre tous hors de tyrannie. » Il y fut reçu, dit Guichardin, avec tant d'allégresse, qu'on eût dit qu'il était le père et le fondateur de la ville: hommes, femmes, enfants, se précipitaient vers lui: «Qui ne pouvait lui buiser la main, dit le bulletin officiel, lui baisait <«<le pied. » Charles VIII à cheval, sous un poêle de drap d'or porté par quatre nobles seigneurs, se rendit à la cathédrale où l'on chanta le Te Deum. Ferdinand, de ses châteaux, y répondait bien par les salves de son artillerie. Mais, dès le lendemain, il se retirait dans l'île d'Ischia, laissant des garnisons dans ses deux forts. Il était difficile qu'ils tinssent longtemps ainsi abandonnés du prince; ils se rendirent successivement, le château Neuf, le 7 mars, le château de l'OEuf, le 20.

Telle fut cette campagne où, selon l'expression d'Alexandre VI, «<les « Français s'en venaient avec des éperons de bois, sans autre peine que

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« d'envoyer leurs fourriers en avant, la craie en main, pour marquer leurs «logis. Elle ne s'était pourtant point faite sans coup férir; mais c'était plutôt des exécutions que des batailles: exécutions assez rapides," assez terribles pour montrer la force de l'artillerie française et l'humeur du soldat. Cette rapidité de la conquête devait être funeste au vainqueur. Elle lui ôtait le sentiment de la difficulté vaincue, l'intelligence du péril qui pouvait naître de sa victoire. C'est au moment, en effet, où il triomphe, que ce péril commence; sa victoire même provoque le mouvement qui doit l'emporter.

H. WALLON.

(La suite à un prochain cahier.)

CORPUS INSCRIPTIONUM ITALICARUM ANTIQUIORIS EVI ordine geographico digestum et glossarium italicum in quo omnia vocabula continentur ex umbricis, sabinis, oscis, volscis, etruscis, aliisque monumentis quæ supersunt collecta et cum interpretationibus variorum explicantur cura et studio Ariodantis Fabretti. Aug. Taurinorum, ex officina regia, 1861-1867, in-4°.

TROISIÈME ARTICLE 2.

De la vocalisation et de la constitution phonologique de la langue etrusque.

L'étude des textes étrusques ne nous fournit pas seulement les données grammaticales que j'ai exposées dans mon précédent article; elle nous fait, de plus, entrevoir quelques-uns des principes sur lesquels reposaient, dans l'idiome des anciens Tyrrhènes, la combinaison des sons et l'association des lettres, autrement dit la phonologie. Ces principes

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Voyez Comines, J. VII, ch. x1. — 2 Voir, pour le premier article, le cahier de juillet 1869; pour le deuxième, le cahier d'août, p. 477.

une fois découverts, on parvient à saisir entre plusieurs des mots étrusques et le vocabulaire indo-européen une parenté qui ne se manifeste point au premier coup d'œil. L'étymologie trouve alors une base solide sur laquelle on peut essayer de construire avec une certaine chance de succès.

Les Étrusques avaient subi, à un degré très-marqué, l'influence de l'art hellénique; la grande majorité des monuments figurés qu'ils nous ont laissés porte l'empreinte irrécusable de cette influence. Les Romains, en empruntant à la Grèce ses traditions et ses fables pour les associer à leur propre mythologie, ne firent que continuer ce qui s'était pratiqué en Etrurie. Les noms inscrits sur les miroirs et les vases étrusques achèvent de montrer l'origine purement hellénique de la plupart des sujets qui y sont représentés.

Il n'y a d'étranger à la Grèce dans ces scènes mythologiques et héroïques que quelques divinités du destin, de la mort ou des enfers, et le nom attribué à certains dieux de l'Olympe à côté desquels elles apparaissent. Quant aux autres personnages, ils ont gardé leur appellation originelle, sauf qu'elle est rendue avec l'orthographe et sous la forme qu'elle avait prise en Étrurie. Cette transcription met en lumière des correspondances et des substitutions d'articulations et de lettres qui, sans elle, nous eussent échappé. Les monuments nous présentent aussi divers noms latins altérés dans le même système, mais faciles à reconnaître ; ce qui permet d'établir les correspondances et les substitutions du latin à l'étrusque. Le rapprochement de ces deux catégories de noms, les uns de provenance hellénique, les autres de provenance romaine, avec des formes étrusques dont le prototype ne nous est pas fourni à l'avance, apporte sur l'idiome des anciens Tyrrhènes un ensemble de données phonologiques que l'étymologie met ensuite à profit. Et d'un tel travail résultent des preuves nouvelles de la parenté de cet idiome et de ceux qui composent la famille à laquelle appartiennent la plupart des langues de l'Europe.

Le caractère qui frappe tout d'abord dans les mots étrusques, c'est la prédominance, souvent même l'accumulation des consonnes. Sans doute, comme je l'ai observé précédemment, cette accumulation est plus apparente que réelle, car elle tient à la suppression tout abréviative des voyelles dans les textes que nous possédons; mais, même en tenant compte de cette apparence, il reste dans la majorité des mots à nous connus un emploi prépondérant des consonnes; la suppression habituelle de certaines voyelles peut d'ailleurs tenir à ce qu'elles se prononçaient faiblement. Un tel usage des consonnes devait donner à l'idiome

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