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pas; après l'y avoir suivi avec enthousiasme, les physiciens l'avaient dédaigneusement délaissé : ils y reviennent aujourd'hui; le principe mieux compris de la conservation et de l'échange des forces est invoqué avec une entière confiance, et plus d'un savant philosophe croit y voir clairement << la cause de tous les changements qui arrivent dans le monde. >> En nous bornant à parler ici des esprits éminents dont une science solide dirige et modère l'imagination, nous devons signaler avant tout le changement capital que deux siècles d'efforts et de progrès ont apporté à l'énoncé de Descartes. Le grand principe de la conservation du mouvement et des forces dans l'univers est devenu aussi précis et aussi rigoureusement démontré qu'il était au début arbitraire et vague; et d'abord il convient, comme l'affirmait Leibnitz, de substituer à la quantité de mouvement la considération très-différente de la force vive, proportionnelle au carré, non à la première puissance de la vitesse; de sorte que, dans le compte général, un corps de même masse, qui marche dix fois plus vite, joue un rôle cent fois et non dix fois plus considérable. Ce n'est pas tout, la force vive de l'univers varie à chaque instant; ce qui est immuable et se transforme sans se perdre est la faculté d'en produire, c'est-à-dire, suivant l'expression très-heureusement trouvée par M. Rankine, l'énergie totale du système du monde. La force vive des diverses molécules matérielles n'est qu'une portion de cette énergie; elle peut croître ou diminuer suivant que les mouvements satisfont aux forces actuellement en jeu, ou sont gênés par leur action; mais la partie complémentaire ou l'énergie potentielle, que l'on pourrait nommer énergie latente, varie en sens inverse, et l'énergie totale demeure constante. Ces expressions doivent être définies avec précision.

Le mot force, pour nous, désignera toujours un effort exprimable en kilogrammes. Des auteurs célèbres lui ont donné, nous ne l'ignorons pas, un sens beaucoup plus étendu, et l'on pourrait, en l'oubliant, repousser à tort des propositions très-exactes.

J. R. Mayer, par exemple, dont les travaux ont inspiré et aidé tous les auteurs cités dans la liste qui commence cet article, s'exprime ainsi dans les premières pages de son beau livre :

« Les causes (Ursachen) que nous présente la nature se divisent en « deux classes, que l'expérience laisse complétement distinctes. Les unes, « pesantes et impénétrables, sont matérielles; les autres, les forces pri« vées de ces propriétés, ont été nommées impondérables; les forces sont « donc des substances indestructibles, transformables et impondérables (un<< zerstörliche, wandelbare, imponderable objecte). ». «Toute cause qui « produit l'élévation d'un fardeau est une force; le fardeau, une fois élevé,

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« devient lui-même une force; on en conclut plus généralement que la <«< différence de niveau de deux objets pondérables est une force; la «< chute des corps est produite par cette force, que nous nommons force « de chute (fall kraft); la force de chute et la chute, plus généralement

<«< la force de chute et le mouvement, sont des forces qui ont entre elles

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« la relation de cause à effet, qui peuvent se changer l'un dans l'autre

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« et sont deux formes différentes d'un seul et même objet; exemple: un « poids reposant sur le sol n'est pas une force. » Et ailleurs : « L'action « d'une force est elle-même une force. . . . . . . La chaleur est une force; « elle se change en effet mécanique. » Ces citations suffiront pour mon trer la différence de langage qui nous sépare de l'illustre physicien de Heilbronn, et expliquer, s'il y a lieu, malgré la certitude de ses principes, la contradiction apparente de ses résultats avec quelques-unes de nos propositions.

La force, telle que nous l'entendons, pour produire un effet appréciable, doit agir pendant un certain temps et solliciter incessamment son point d'application pendant qu'il se déplace; elle produit alors un travail dont la mesure est le produit de la force par le chemin parcouru dans le sens de sa direction. Ainsi le travail de la pesanteur sur un poids qui descend est le produit du poids par le chemin parcouru dans le sens de la verticale. L'idée de force et celle de travail accompli sont donc absolument distinctes, et, malgré la liaison qui est entre eux, on commettrait en les confondant une erreur aussi grave qu'en assimilant, par exemple, en géométrie, une longueur à une superficie.

Le travail d'une force accroît ou diminue, suivant qu'il est positif ou négatif, la force vive du système sur lequel elle agit, et l'accroissement de force vive mesure rigoureusement, pendant un temps quelconque, le travail accompli par les forces mises en jeu. Les forces de la nature varient, sans exception, avec la position relative des molécules matérielles entre lesquelles elles s'exercent; mais les lois qui les régissent sont loin d'être connues, et l'étude des cas les plus simples paraît seule terminée avec un plein succès. L'attraction universelle déterminée par la loi de Newton explique les mouvements des corps célestes et permet de les prévoir; cette action proportionnelle aux masses et inversement proportionnelle au carré de la distance paraît s'étendre à tous les éléments matériels de l'univers considérés deux à deux; mais les combinaisons chimiques, les propriétés des corps solides, liquides ou gazeux, les phénomènes de chaleur, de lumière et d'électricité, révélent d'autres forces, dont la loi nous échappe complétement; un tel problème ne saurait se résoudre. Depuis longtemps déjà, les efforts des physiciens les plus

perspicaces tendent seulement à supprimer la difficulté par la découverte de lois générales qui, applicables à toutes les hypothèses, soient indépendantes d'une expression précise, peut-être à jamais cachée. La hardiesse d'une telle tentative devait a priori laisser peu d'espoir, car la géométrie n'aborde d'habitude que les questions nettement posées. Lorsqu'un astronome considère, en même temps que le soleil, la terre et la lune qui circulent autour de lui, les positions précises des trois astres lui sont données, des raisonnements incontestés lui font connaître les rapports des trois masses, la loi des forces que chaque corps exerce sur les deux autres est connue en toute rigueur, et la détermination du 'mouvement qui en résulte reste pourtant, après deux siècles de progrès, l'un des problèmes les plus difficiles. qui sollicite l'effort des esprits inventeurs. Quel espoir raisonnable, après cela, d'aborder mathématiquement l'étude d'un corps simple ou composé, élastique ou non, solide, liquide ou gazeux? Comment soumettre à l'analyse les mouvements confus de ces innombrables molécules, dont la disposition reste inconnue aussi bien que les masses, et qui s'attirent suivant des lois inaccessibles à nos hypothèses? Les molécules, même dans l'état de repos apparent, ne restent pas, suivant les idées les plus vraisemblables, un seul instant immobiles, et de rapides mouvements, dont l'intensité varie avec la température, sont aujourd'hui l'explication acceptée des phénomènes calorifiques. Ces mouvements sont-ils rectilignes ou révolutifs, dirigés dans un sens ou dans l'autre? les orbites sont-elles orientées ou réglées par le seul hasard? leurs dimensions se mesurent-elles par quelques millionièmes ou quelques billionièmes de millimètre? Sur tout cela nous ne savons rien, nous ne conjecturons même absolument rien.

Des forces inconnues agissant sur un système qui n'est pas défini, telles sont en apparence, en réalité on peut le dire, les données du problème. On ne l'a pas résolu, est-il besoin de le dire, mais plus d'un résultat précis, inattendu et confirmé par l'expérience, justifie la témérité de ceux qui l'ont résolûment abordé. Quels que soient les progrès ultérieurs de la science, les travaux dont nous voulons rendre compte conserveront à jamais une place importante dans l'histoire des conquêtes de l'esprit humain.

Un géomètre pur, je crois l'avoir fait comprendre, doit néanmoins se trouver a priori fort peu attiré par une théorie aussi vague; n'est-ce pas une témérité inouïe que d'aborder un problème réellement informe et dont l'énoncé même ne peut être distinctement perçu? L'analyse restera toujours impuissante à débrouiller une si étrange confusion, et l'on n'a pas

su encore, même par voie d'hypothèse, s'élever jusqu'aux principes précis dans lesquels la solution est cachée. Les données qu'un géomètre demanderait avant de s'appliquer à un tel problème, je veux dire l'indication exacte et parfaite de l'étal initial et la loi des actions mutuelles, sont aujourd'hui encore au nombre des inconnues. Sans espérer une solution impossible, on doit donc se borner à glaner les résultats indépendants de ces éléments ignorés sur lesquels pourtant tout repose.

Le progrès des mathématiques pures n'a rien à espérer, cela paraît évident, de ces théories incomplètes, et leur étude n'a pu conduire les inventeurs, si habiles et si ingénieux qu'ils soient, à aucun de ces beaux problèmes qui, fort éloignés du but qu'ils veulent atteindre, viennent enrichir cependant et orner les travaux de Fourier, de Fresnel et d'Ampère; les recherches nouvelles restent renfermées dans le pur domaine de la physique; on n'y rencontre, on n'y peut rencontrer, selon toute apparence, que l'application toujours très-simple des principes généraux depuis longtemps connus, et sans être, sous le rapport philosophique, inférieures peut-être aux plus illustres progrès de la science, les théories nouvellement créées leur cèdent en ceci, que la géométrie, en leur prêtant un précieux concours, n'en a jusqu'ici rien reçu en échange.

Si, laissant de côté les mouvements précis des molécules d'un corps, leurs amplitudes et leurs directions, sans se préoccuper même de la vitesse de chaque molécule, on étudie seulement la force vive totale du système, la variation de cette force vive est, d'après les principes rigoureux de la mécanique, mesurée par le travail des forces mises en jeu; ces forces sont inconnues, leur travail l'est aussi, mais une portion importante des éléments qui le composent dépend seulement, c'est de là que vient le succès, des positions occupées au commencement et à la fin du phénomène, et devient nulle quand chaque molécule reprend sa position première. Une inconnue fort gênante se trouve ainsi éliminée, et les phénomènes accomplis peuvent être, non analysés et expliqués, cela serait trop dire, mais éclairés par des relations précises.

Mais que nous importe cette force vive? A quel titre une telle somme intéresse-t-elle notre curiosité? Une hypothèse bien hardie il y a un siècle, presque sans consistance il y a cinquante ans, et qui repose aujourd'hui sur de puissantes inductions, ne permet plus de poser cette question. La chaleur d'un corps, les physiciens le tiennent pour certain, n'est rien autre chose que certaines vibrations de ses molécules, et ses accroissements sont mesurés par ceux de la force vive totale. C'est donc l'étude de la chaleur qui, par une voie très-inattendue, se trouve ainsi abordée, et les

mouvements invisibles, dont la rapidité plus ou moins grande aurait pu nous laisser indifférents, acquièrent par là une importance capitale.

En acceptant cette hypothèse et supposant les forces réglées par la seule distance, la mécanique démontre qu'en nommant énergie potentielle d'un système une fonction inconnue, mais bien définie, des distances mutuelles, la somme faite de cette énergie et de la force vive est rigoureusement invariable pendant toutes les phases du mouvement, tant que n'interviennent pas des forces extérieures, et l'accroissement de force vive est mesuré par le travail extérieur, diminué de l'accroissement d'énergie potentielle.

Cet élégant théorème est connu depuis longtemps des mécaniciens; mais l'idée de l'appliquer à tous les phénomènes physiques, sans aucune exception, est toute récente et de grande importance. Remontons, pour préciser, à soixante ans en arrière, et supposons qu'un géomètre versé dans les théories mécaniques, Poinsot, par exemple, ait pu lire les lignes précédentes; elles expriment, dans un langage qu'il n'employait pas, des idées pour lui très-familières; mais il aurait été fort loin, en les acceptant avec nous, d'y comprendre les mêmes conséquences; le choc des corps solides, les explosions, les frottements, le travail des machines à feu, les forces électriques et magnétiques, seraient restés pour lui en dehors de la règle; elle est faite et démontrée pour l'étude abstraite des mouvements dans la production desquels on écarte ces forces mal connues, qui altèrent, comme il le disait souvent, la pureté du problème à résoudre; prendre la nature comme elle est en se refusant toute abstraction et obtenir des résultats mathématiques rigoureux devait, dans ce cas au moins, lui paraître une tentative impossible.

L'expérience, chaque jour, semble d'ailleurs démentir notre théorème; une machine, en effet, lorsqu'aucune force n'y est appliquée, devrait conserver sa force vive, ou la reprendre tout au moins quand elle repasse par sa position primitive; il n'en est rien pourtant, et les résistances passives l'amènent rapidement au repos.

Dans une de ses remarquables leçons sur la théorie de la chaleur, Émile Verdet signale ce fait si connu comme une contradiction manifeste en présence de laquelle les mécaniciens auraient dû comprendre la nécessité d'élargir leur théorie.

Il va trop loin, je crois, et l'objection a de tout temps admis une réponse très-simple: il faut, dans la force vive d'un système, faire entrer celle de toutes les molécules mises en jeu; l'ébranlement des pièces de la machine et celui qu'elles peuvent communiquer au sol jusqu'à une distance indéfinie doivent faire partie de la somme constante que

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