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phrase, les épithètes à la façon homérique que l'on y remarque, dénotent le génie aryen de la nation dont ils émanent et excluent l'idée toute contraire d'une inspiration sémitique.

Un Arménien, M. Nikita Ossy pitch Emin, aujourd'hui directeur du gymnase de Vladimir, sur la Kliazma, s'est efforcé d'établir, dans une très-ingénieuse dissertation1, que les poésies historiques de l'ancienne Arménie étaient des lambeaux d'une épopée, dans le genre du SchahNameh de Firdoucy, disjecti membra poete, qu'allaient répétant des chanteurs nomades, comme faisaient les rhapsodes de la Grèce pour les vers d'Homère. M. Langlois a repris cette thèse, sans toutefois l'étayer d'aucun nouvel argument 2. Mais, comme je l'ai démontré ailleurs 3, l'Arménie, presque toujours soumise à des suzerains étrangers, bouleversée continuellement par des révolutions intérieures, morcelée par la nature en une foule de centres de populations, et par son organisation politique en une multitude de principautés, et dépourvue d'unité, l'Arménie n'a jamais été dans les conditions historiques et géographiques qu'exige la production d'une épopée nationale. Ce qu'il y a de certain seulement, c'est qu'elle a eu des poésies analogues à celles des Serbes, dont Wuk Stephanovitch a publié la collection, aux romanceros espagnols, aux compositions historiques de nos trouvères et de nos troubadours, aux chants populaires de la Grèce moderne, rassemblés par Fauriel. Effectivement, nous retrouvons de ces vieilles poésies arméniennes nonseulement dans Moïse de Khoren, mais encore dans un historien du vir siècle, Jean Mamigonien, et dans un polygraphe du x1° siècle, Grégoire Magistros 5. Mais l'Arménie n'a pas eu la bonne fortune, comme la Grèce et la Perse, de donner le jour à un Homère ou à un Firdoucy, à un poëte au génie assez puissant pour coordonner en une vaste et magnifique composition les traditions historiques éparses au sein de la nation. Peut-on admettre que, si un pareil monument eût existé, le nom de son auteur aurait péri avec l'œuvre qui devait l'immortaliser, et que Moïse de Khoren, si zélé investigateur des antiquités de son pays, n'eût pas connu et exalté ce ncm. glorieux?

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p. IX-X.

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վէպք Հնոյն Հայաստանի, Chants historiques de l'ancienne Arménie, brochure in-8° de 98 pages, Moscou, 1850. Collection, Discours préliminaire, 3 Voir le Journal asiatique et la Revue des Deux-Mondes, numéros précités. Histoire de Daron, continuant celle de la même contrée, par Zénob Klag, ch. III, éd. de Venise, in-8°, 1832, p. 42, et dans la Collection de M. Langlois, p. 375. Voir mes Recherches sur la chronologie arménienne, technique et historique, Paris, Imprimerie Impériale, in-4°, 1859, p. 11, et le P. Karékin, Histoire de la littérature arménienne, t. I, p. 56.

11.

Les premiers travaux entrepris pour réunir et fondre en un récit suivi les éléments épars de l'histoire d'Arménie datent de la dynastie des Arsacides, et furent exécutés par leurs ordres ou par suite de l'élan qu'ils donnèrent aux travaux littéraires. Ces princes avaient fixé leur résidence à l'extrémité orientale de leur royaume, sur la frontière de la Mésopotamie; ils se cantonnèrent à Nisibe, et ensuite à Édesse, comme dans un poste avancé, pour défendre contre les armées romaines l'entrée des contrées de l'Orient où régnaient les trois autres branches de leur famille, la Perse, la Bactriane et les régions au-dessus du Caucase. L'espace compris entre l'Euphrate et le Tigre, à partir des escarpements du mont Masius au nord, jusqu'à Babylone au sud, avait jadis été le siége des empires les plus considérables de l'Asie occidentale par leur puissance et leur civilisation. On sait quelles lumières les heureuses investigations d'Étienne Quatremère et de M. Chwohlsohn ont répandues sur les monuments disparus ou négligés avant eux de ces populations de la Mésopotamie, fraction de la race sémitique, connues sous le nom de Nabathéens, et plus tard de Syriens.

Sous les Arsacides, Édesse, héritière des antiques cités de Ninive et de Babylone, acquit une prépondérance qui s'étendait au loin dans tous les pays environnants. L'un de ses souverains, Abgar Oukama ou le Noir, y transporta de Nisibe ses dieux, les livres des écoles sacerdotales et les archives royales1. Sous Vespasien et Titus, le roi Érouant II, second successeur d'Abgar, ayant cédé la Mésopotamie aux Romains, ceux-ci agrandirent Édesse et la restaurèrent avec magnificence; ils y établirent le siége de l'administration fiscale de l'Arménie, de la Mésopotamie et de l'Assyrie, et le dépôt de toutes les archives et notamment de celles de Sinope, et y organisèrent deux écoles destinées l'une à l'enseignement du syriaque, l'idiome du pays, et l'autre à l'enseignement du grec 2.

Déchue de son rang de capitale politique de l'Arménie, Édesse, en passant sous la domination des Romains, ne perdit point sa primauté littéraire. Son importance sous ce dernier rapport ne fit, au contraire, que s'accroître. Ralliée à la foi du Christ presque dès l'âge apostolique, elle vit fleurir dans son sein cette école des lettres chrétiennes qu'illustrèrent le gnostique Bardesane et son savant adversaire saint Ephrem, et qui

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continua à prospérer sous la direction des Nestoriens et ensuite des Monophysites, jusqu'au moment où ses docteurs, expulsés par l'empereur Zénon, allèrent se placer sous la protection des Sassanides et fonder les deux célèbres écoles de Nisibe et de Gondisapour. D'après le témoignage de Moïse de Khoren et de tous les écrivains venus après lui, c'est un Syrien d'Édesse, Mar Apas Katina, auquel revient l'honneur d'avoir été le père de l'histoire arménienne. Malheureusement, son ouvrage n'est pas arrivé jusqu'à nous; nous ne le connaissons que par les extraits qu'en a tirés Moïse et qu'il a consignés dans son premier livre et dans les neuf premiers chapitres de son livre second. La question de l'âge où vécut Mar Apas et celle de la provenance des matériaux qu'il a eus à sa disposition ont suscité des controverses dont les lecteurs du présent Recueil n'ont pas perdu sans doute le souvenir, et que nous reprendrons lorsque la suite de notre travail nous y aura amené. Pour le moment, il nous suffit de constater que ces extraits, tels que nous les lisons dans l'historien arménien, ne contiennent aucune allusion à des idées chrétiennes, et qu'ainsi et de prime abord on est en droit de penser que la rédaction de l'ouvrage qui les a fournis a précédé l'introduction de la foi évangélique dans la métropole de l'Osrhoëne 2.

Le second de nos historiens syriens de l'Arménie, dans l'ordre des temps, est le célèbre gnostique Bardesane, dont il a déjà été question. Soit que l'on adopte l'opinion qui place son époque florissante sous Marc-Aurèle et Lucius Verus, soit que l'on préfère celle qui la fixe au règne d'Élagabal3, on aura pour limites approximatives de sa carrière active l'intervalle écoulé depuis 161, date de l'avénement de Marc-Aurèle, jusqu'à 223, année où Elagabal fut massacré par les prétoriens. Moïse de Khoren raconte que Bardesane vint en Arménie visiter le temple d'Aramazd dans le fort d'Ani, et qu'ayant compulsé les annales sacerdotales, Stvwqwv qwisnífur, où étaient relatées les actions mémorables des souverains, il traduisit ces documents en syriaque, y ajouta le récit des événements accomplis de son temps, et que dans la suite une version grecque fut faite de cet ouvrage. L'historien

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Ét. Quatremère, Journal des Savants, 1850, p. 364-365. Cf. Fréret, Mémoire sur l'ère arménienne, dans ses Œuvres complètes, t. XII, p. 207-209, et dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles lettres, t. XLVII, p. 98 et suiv.; Vict. Langlois, Collection, t. I, Introduction, p. 7; et mon Etude sur les chants historiques et les traditions populaires de l'ancienne Arménie, dans le Journal asiatique, cahier précité, p. 19-21, note 1. — ' Hist. d'Arménie, 11, 33. — 3 Cette seconde date a été déterminée avec beaucoup de vraisemblance par M. Hilgenfeld, dans son Bardesanes der lezte gnostiker, Leipzig, in-8°, 1864. — Histoire d'Arménie, II, 66.

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arménien en a emprunté la partie qui comprend les règnes successifs des quatre rois arsacides Artabaze II (Ardavazt), Diran I, Tigrane III ef Vologèse (Vagh'arsch), à partir de 129 jusqu'à 212 ou 213 de JésusChrist 2.

Un autre historien syrien, cité par Moïse, est celui dont il transcrit le nom sous la forme altérée de Léroubna, nom qui se trouve sons sa forme véritable de Leboubna, a, dans le fragment original de cet historien découvert au couvent de Sainte-Marie Deipara de Nitrie, en Égypte, et traduit par W. Cureton 3. Nous ne savons de lui que ce que Moïse nous a transmis en deux lignes, où il dit qu'il était fils d'AbdSchaddai (Aph'schatar, quip en arménien), secrétaire du divan d'Edesse, et qu'il déposa dans cet établissement ce qu'il avait recueilli touchant le règne d'Abgar Oukama et de son successeur, Sanadroug. et la prédication de l'apôtre Thaddée dans cette ville. Il y avait inséré la correspondance échangée entre Abgar et le Christ et entre ce même prince et l'empereur Tibère, et les lettres adressées par Abgar au jeune Nerseh, roi d'Assyrie, à Babylone, et à Ardaschès, roi de Perse, pour leur annoncer les miracles du Sauveur et proclamer sa divinité. M. Langlois conjecture que Léroubna fut contemporain d'Abgar; M. Allemand Lavigerie, dans son Essai sur l'école chrétienne d'Édesse (p. 36), avance, mais en nous laissant ignorer sur quel fondement, qu'il fut disciple de Bardésane. Si l'on réfléchit que ces lettres, comme tant d'autres pièces apocryphes, forgées par les chrétiens et les sectaires de toute sorte, ne sont entrées en pleine circulation qu'assez tard, c'est-à-dire à une époque qui ne remonte guère au delà du 1° siècle, on sera porté à regarder Léroubna comme postérieur à Bardesane, mais de quelques années seulement.

Ce fut d'Edesse et des divers autres lieux de la haute Mésopotamie que partirent les premiers apôtres qui vinrent évangéliser les populations de la Grande Arménie. Les prêtres syriens s'imposèrent à elles comme leurs instituteurs religieux; ils organisèrent le culte et s'en firent les ministres, à l'exclusion des indigènes. Ils mirent en usage leur liturgie; mais, comme la langue dans laquelle elle était conçue, et qu'eux-mêmes parlaient, était inintelligible à la masse de la nation, ils ne purent attirer

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'Histoire d'Arménie, 61-66.- Suivant les calculs de Tchamitch (Histoire d'Ar ménie, t. III, Tables, p. 106, de 120 à 198, dans Saint-Martin, Mémoires sur Arménie, t. I, Tables chronologiques, et dans son ouvrage posthume, Fragments d'une histoire des Arsacides, t. II, Table chronologique n° 2. —3 Ancient syriae documents, ouvrage posthume de ce savant orientaliste anglais, publié par M. Wright. Londres 1866, in-4°. - Et non point d'un prêtre, comme on lit dans M. Langlois, p. 3:5.

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à eux qu'un petit nombre de prosélytes; la seule tentative de propagande écrite qu'ils aient faite est la traduction en arménien de la Bible, d'après la version syriaque dite peschito. Cette traduction fut refondue dans le siècle suivant, d'après le texte des Septante; mais on aperçoit encore çà et là, dans ce second remaniement, quelques vestiges du texte primitif. L'influence des Syriens comme clergé et caste savante prit une certaine extension; elle augmenta peu à peu, et elle était devenue prépondérante à la fin du m° siècle, lorsqu'à la voix de saint Grégoire 'Illuminateur, et par les efforts du roi Tiridate qu'il avait converti, le christianisme rallia toute la nation et fut reconnu comme la religion officielle du pays. Dans les écoles que fondèrent saint Grégoire et Tiridate, pour en propager partout la connaissance, la langue syriaque était enseignée concurremment avec le grec, qui commençait à prendre faveur parmi les lettres arméniens. Une partie des coopérateurs de saint Grégoire dans l'apostolat se composait d'évêques et de prêtres syriens ; dans leurs rangs figurait Zénob, surnommé Klag, qui nous a laissé une monographie de Daron, district de la province de Douroupéran.

Cette contrée, le dernier et le plus fort boulevard du paganisme, était sous la domination d'une nombreuse et puissante corporation de prêtres, qui tenaient les habitants à leur dévotion. Les uns et les autres s'armèrent pour défendre leurs divinités en péril. Tiridate, à la tête de ses troupes et de ses satrapes et accompagné de saint Grégoire, marcha contre eux; la lutte fut longue et sanglante, mais enfin la Croix triompha, les idolâtres furent exterminés, leurs temples détruits, et sur ces ruines furent construits une église et un monastère qui reçut le nom de Klag et dont Zénob fut le premier abbé. C'est dans ce couvent, le premier qu'ait possédé l'Arménie, qu'il composa l'histoire de la lutte dont ces lieux avaient été témoins et à laquelle il avait assisté. Mais dans quelle langue l'écrivit-il? est-ce en syriaque ou en arménien ? C'est ce qu'il ne nous apprend pas et que rien ne nous laisse deviner. M. Langlois incline vers la première hypothèse, et suppose que c'est le continuateur de Zénob, Jean Mamigonien, qui, au vin siècle, traduisit du syriaque l'ouvrage de son devancier. Mais, si la nationalité de Zénob peut être invoquée comme un argument. on peut tout aussi bien se déclarer pour la seconde hypothèse, par la raison que l'auteur avait dû acquérir une connaissance suffisante de la langue d'un pays où il avait longtemps exercé le ministère de la prédication, et que, destinant son ouvrage à être lu par les Arméniens, il dut naturellement s'exprimer dans leur idiome.

A l'époque où nous place le travail auquel Zénob a attaché son nom,

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