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L'assertion, vraie ou fausse, est sans influence heureusement sur le reste du travail très-justement admiré de M. Helmholtz. Avec une connaissance profonde des diverses théories physiques, l'illustre auteur passe en revue et éclaire successivement les conceptions relatives aux diverses manifestations de la force, en s'efforçant, pour chacune en particulier, autant que le permet l'état de la science, de rattacher l'explication aux forces attractives et répulsives, fonctions de la seule distance.

Parmi les indications rapidement esquissées par un esprit de haute portée, citons seulement l'explication très-neuve alors, et aujourd'hui classique, relative aux phénomènes d'induction galvanique. Les effets possibles d'un courant sont nombreux : on peut lui demander de la chaleur, des effets chimiques, ou, si l'on veut, en le faisant agir sur un autre courant ou sur une aiguille aimantée, lui faire développer du travail mécanique, qui peut être positif ou négatif, selon que le corps attiré cède à l'action exercée ou se meut en sens opposé. La somme faite de tous les travaux accomplis doit être équivalente, dans tous les cas, au travail chimique consommé par la pile, et l'un des termes, en s'accroissant ou en prenant naissance, doit forcément diminuer les deux autres. Un courant qui agit sur un autre courant ou sur un aimant mobile doit, par conséquent, accroître ou diminuer son énergie suivant que celui-ci aide à son action ou le déplace en la contrariant. L'exactitude du principe général exige donc qu'un courant qui s'approche d'un autre ou qui s'en éloigne accroisse ou diminue l'intensité de celui-ci suivant les lois précises que l'indication précédente fait connaître, et qui sont précisément celles qu'avait trouvées M. Neumann pour l'un des cas importants du phénomène d'induction découvert par Faraday ct considéré jusque-là comme un fait isolé et complétement mystérieux. Sans avoir eu connaissance des travaux, fort peu répandus d'abord de M. Mayer, M. Joule, d'un autre côté, a justifié ses assertions par une voie toute différente; M. Mayer en effet n'est pas expérimentateur et raisonne a priori. L'être immatériel qu'il nomme force est à ses yeux indestructible et éternel. C'est là une loi primitive et nécessaire, qu'il admet a priori en véritable disciple de Descartes; confiant dans son principe universel, il l'applique à tous les faits particuliers, et, tout en alléguant de nombreux exemples, il ne croit pas proposer de preuves. Fidèle, au contraire, à la méthode expérimentale de Galilée et de Newton, M. Joule n'affirme que ce qu'il a vérifié, et réserve pour les conclusions les théorèmes absolus et les lois générales, qui, pour M. Mayer, sont des principes. M. Joule mesure tout avec autant de pa

tience que de talent; il évalue les forces physiques dans la suite de leurs métamorphoses, et, sans affirmer qu'elles doivent rester invariables, il s'élève par degrés à constater qu'elles le sont. Les conclusions de ses travaux ne peuvent être contestées, et plus d'un esprit ami de la rigueur, que n'ont pu convaincre les brillantes assertions de Ro bert Mayer, a pu regarder les démonstrations précises de Joule comme absolument indispensables.

(La suite à un prochain cahier.)

J. BERTRAND.

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE, par Francisque Bouillier, directeur de l'École normale supérieure, correspondant de l'Institut. Troisième édition, deux volumes in-8° de 620 et 658 pages; Paris, 1868, chez Delagrave et Cie, 78, rue des Écoles.

DEUXIÈME ARTICLE 1.

C'est en Hollande, où il passa la seconde partie de sa vie et où il publia tous ses ouvrages, que Descartes rencontra ses premiers disciples et jeta les fondements de cette domination intellectuelle qui, s'étendant bientôt à la France, à l'Italie, à l'Allemagne, à la Suisse et à l'Angleterre, ne devait pas durer moins d'un siècle et demi. Les Hollandais, au commencement du xvi° siècle comme aujourd'hui, et peut-être plus qu'aujourd'hui, étaient un peuple de marchands médiocrement curieux de spéculations philosophiques et trop occupé de ses affaires intérieures pour se mêler de celles de l'univers. Aussi n'est-ce point dans la société, ou ce qu'on appelle particulièrement le monde, que Descartes répandit les germes de sa doctrine, mais dans les corporations vouées à l'enseignement, à la méditation et à la science, dans les universités et

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Voir, pour le premier article, le cahier d'octobre, p. 597.

les églises. On ne peut pas faire une exception pour la princesse Élisabeth, que l'auteur des Méditations, pendant son séjour à Endegeest, près de La Haye, initia une des premières à sa méthode et à ses idées; car la fille de l'Electeur palatin, Frédéric V, n'était point du pays. Réfugiée avec sa mère dans la capitale de la Hollande, elle devait la quitter bientôt pour son abbaye de Herforden, dont elle fit une académie entièrement vouée au culte du cartésianisme.

Ne relevant que d'elles-mêmes dans une république fédérative où les villes et les provinces unies avaient gardé une grande indépendance, et joignant aux avantages de cette situation exceptionnelle le principe protestant du libre examen, les universités et les églises hollandaises étaient parfaitement préparées à accueillir dans leur sein la nouvelle philosophie. Il ne faut donc pas nous étonner si, en 1638, un an après la publication du Discours de la Méthode, la Hollande comptait déjà deux professeurs cartésiens, Réneri et Regius, suivis de près par Van Hoogland, professeur de médecine à l'université de Leyde. Ils avaient reçu directement, à l'exception de Regius, les leçons du maître, et celuici, avant de quitter les Pays-Bas pour aller mourir en Suède, eut la satisfaction de voir une nombreuse jeunesse se presser autour des chaires qui s'étaient vouées à la propagation de sa pensée.

Toutes les universités sont gagnées successivement par l'esprit nouveau. L'exemple donné par celles d'Utrecht et de Leyde est suivi par celles de Groningue, de Franéker, de Nimègue, et il n'y a pas jusqu'à l'Ecole illustre de Bréda qui ne finisse par devenir une école cartésienne. Ce ne sont pas seulement les professeurs de médecine, de physique ou de philosophie, qui enseignent la méthode et les principes du cartésianisme, mais aussi les professeurs de théologie. Ce sont de graves docteurs et des ministres de l'Évangile, chargés de préparer la jeunesse aux fonctions du sacerdoce, qui appliquent le doute méthodique à l'interprétation des saintes Ecritures. Tel est le but que poursuivent, avec plus ou moins de franchise, Heerebord, Pierre Burmann, Abraham Heidanus, Wittichius, Maresius, Jean Schuler, Lambert Welthuysen, tous professeurs de théologie ou docteurs de la même Faculté. L'un d'entre eux, Wittichius, professeur à l'université de Leyde, poussa la hardiesse jusqu'à se faire révoquer par un synode. Un autre, Abraham Heidanus, voyant un cartésien de l'université de Louvain, un prédécesseur de Spinosa, Geulinx, chassé de sa chaire à cause de ses doctrines, ne craignit pas, au risque de passer pour son complice, de lui offrir un asile et de le couvrir publiquement de sa protection. C'est à Maresius que nous devons une traduction française du Traité des passions de l'âme.

En France, les choses se passèrent autrement. Placées sous la double autorité du roi et de l'Église, surveillées en outre par les parlements, qui avaient défendu à Ramus, sous peine de la hart, d'enseigner une autre logique que celle d'Aristote, les universités ne se prêtaient pas facilement à un changement de doctrine. Les nouveautés leur étaient trop funestes pour qu'elles ne missent pas le plus grand soin à les exclure de leur sein. Quand elles consentirent à les admettre, c'est qu'elles avaient cessé depuis longtemps d'être des nouveautés. Aussi n'est-ce qu'au milieu du xvII° siècle qu'on les voit lentement se convertir à la philosophie cartésienne, quand Descartes commence à être détrôné dans l'opinion publique par Locke et par Condillac.

Soit parce qu'elles sont moins surveillées du dehors en raison de la confiance qu'elles inspirent naturellement, soit parce que la solitude, l'absence des soucis de la vie et l'habitude de la méditation les rendent plus curieuses des recherches de l'esprit humain dans les voies de la spéculation pure, les congrégations religieuses se montrent plus hardies. La philosophie cartésienne trouve tout d'abord au milieu d'elles de nombreux et zélés partisans; oratoriens, bénédictins, génovéfains, minimes, semblent également tenir à honneur de lui fournir quelques adeptes. Il n'y a pas jusqu'aux jésuites, avec lesquels Descartes, soit par calcul, soit par goût, avait toujours conservé des relations d'amitié, qui, en attendant la décision de leur ordre tout entier ou plutôt de leur général, ne lui aient prodigué les encouragements et les marques d'approbation. Naturellement c'est dans la savante congrégation de l'Oratoire et dans la société de Port-Royal que la nouvelle philosophie devait trouver le plus d'appui. Entre la grâce augustinienne et le principe de la création continue, entre le jansénisme réfractaire à l'autorité et un système philosophique qui fait du témoignage de la conscience le fondement de toute vérité et de toute certitude, il y a une alliance intime qui a été signalée de bonne heure par les amis comme par les ennemis des deux doctrines. «Janséniste, c'est-à-dire cartésien, dit Mme de Sévi«gné en parlant du père Lebossu. » Les jésuites ne séparent pas non plus les deux titres, qui deviennent pour eux, dès que l'autorité a parlé, des titres de proscription. Jurieu est de leur avis quand il reproche à l'Oratoire de n'être pas moins attaché à la philosophie de Descartes qu'à la foi de l'Évangile.

Mais nulle part, à partir de la publication des Méditations métaphysiques, qui sortirent des presses de la Hollande en 1641, le cartésia nisme ne fit des progrès plus rapides que dans le cœur même, nous voulons dire dans les classes éclairées de la société française, parlement,

barreau, clergé séculier, gens de cour et gens du monde. La société française du xvir siècle, ou, du moins, ce qu'on appelle plus particulièrement la société polie, ne ressemblait pas tout à fait à la société de nos jours. Grâce à l'hérédité des fonctions et à l'immobilité des fortunes, elle avait du loisir. La vie politique lui étant interdite, elle dépensait son activité intellectuelle à augmenter l'élégance de ses mœurs et la culture de son esprit. La presse quotidienne, qui effleure toutes les questions sans en approfondir aucune, le journal, qui se substitue au livre et qui détruit le goût des lectures sérieuses, n'étant pas encore créés, ou, ce qui est presque la même chose, n'ayant pas encore pris les proportions qu'ils ont acquises plus tard, elle était obligée de prendre une connaissance directe des œuvres importantes de la littérature et des sciences, et de suivre par elle-même, non par les yeux d'un intermédiaire plus ou moins intelligent ou désintéressé, les discussions philosophiques ou même théologiques, qui s'engageaient en sa présence. Une nouvelle façon de comprendre la grâce ou les états d'oraison, une nouvelle méthode d'investigation appliquée aux vérités spéculatives, des vues nouvelles sur l'essence de l'âme et du corps, sur l'ordre général de la nature, n'avaient presque pas moins d'intérêt pour elle que n'en a aujourd'hui pour nous une révolution dans l'État.

Cela nous explique comment, au bout de quelques années, on ne distinguait plus guère dans son sein que des cartésiens et des anticartésiens. Il fallait être l'un ou l'autre, sous peine de n'être rien. Mais nous ne pouvons mieux faire que de donner ici la parole à M. Bouillier, qui peint cette situation dans un excellent langage.

Repoussé des écoles, le cartésianisme français se répandit rapide<«<ment dans toutes les classes de la société savante, lettrée et polie du « XVI° siècle. Dès la publication des Méditations métaphysiques, Descartes, comme le dit Baillet, fit la matière de toutes les conversations savantes, << dans Paris et dans les provinces. Pendant plus d'un demi-siècle, il n'a << pas paru en France un seul livre de philosophie, il n'y a pas eu une «seule discussion philosophique, qui n'eût Descartes pour objet, qui «ne fût pour ou contre son système. Dans le clergé, dans les congréga<«<tions religieuses, dans les académies, dans le barreau, dans la magis<«<trature, dans le monde, dans les châteaux, dans les salons, et même << à la cour, partout nous rencontrons des disciples fervents de la nou<<< velle philosophie, qui la portent par-dessus les nues, qui travaillent e ardemment à la répandre 1. »

i Tome Ier, p. 430.

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