Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

l'emportement comique de Pancrace contre ceux qui disent la forme d'un chapeau au lieu de dire la figure d'un chapeau. Ce n'est pas non plus Descartes qui est livré à la risée publique sous les traits de Bélise, de Philaminte ou d'Armande. Ces portraits sont ceux de quelques cartésiens ignorants ou prétentieux, des femmes, pour la plupart, qui confondent l'esprit précieux avec le langage et les principes de la nouvelle école. Ce n'est pas Descartes qui aurait dit :

[ocr errors]

Le corps, celle guenille, est-il d'une importance,
D'un prix à mériter seulement qu'on y pense?

Ce n'est pas Descartes qui aurait dit :

Ce n'est qu'à l'esprit seul que vont tous les transports,
Et l'on ne s'aperçoit jamais qu'on ait un corps.

Descartes disait au contraire : « Les passions sont toutes bonnes de leur <«< nature, et nous n'avons rien à éviter que leur mauvais usage ou leurs « excès 1. >> Descartes dit encore dans une lettre que cite M. Bouillier2: <«<La philosophie que je cultive n'est pas si barbare ni si farouche qu'elle rejette l'usage des passions; au contraire, c'est en lui seul que je mets <«< toute la douceur et toute la félicité de cette vie. » On peut même lui reprocher d'aller un peu loin dans l'influence qu'il accorde à la matière sur l'esprit, puisqu'on lit dans le Discours de la méthode le passage suivant: «L'esprit dépend si fort du tempérament et des organes « du corps que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende <«< communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont « été jusqu'ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le cher«< cher. >>

M. Bouillier croit reconnaître la caricature du doute méthodique dans le plaisant personnage de Marphurius, ce douteur obstiné qu'on ne ramène au bon sens qu'à coups de bâton. Comment cela serait-il possible, puisque Descartes fait du doute le chemin de la vérité, qu'il croit avoir trouvée à la fin, et que sa philosophie, prise dans son ensemble, est aussi dogmatique que l'ait jamais été aucune autre? Marphurius, ce n'est pas un philosophe cartésien, c'est la contre-partie de Paucrace, c'est un philosophe sceptique, et des sceptiques, il n'en man

1 Passions de l'âme, 111° partie, art. 211. Ce passage est cité par M. Bouillier, t. 1, p. 126. Ubi

-

2

supra.

quait pas au temps de Molière. Montaigne, Charron, Sanchez, La Mothe Le Vayer, avaient conservé des disciples et ont trouvé un continuateur dans l'abbé Foucher.

On ne peut soutenir avec plus de raison que c'est l'atomisme de Gassendi ou, d'une manière générale, le sensualisme, que Molière a voulu glorifier par la bouche de quelques-uns de ses personnages. Le bonhomme Chrysale semble d'abord confirmer cette supposition lorsqu'il dit:

... Mon corps, c'est moi-même, et j'en veux prendre soin.

Mais le vers suivant corrige tout de suite ce qu'il y a d'excessif dans sa pensée :

Guenille, si l'on veut, ma guenille m'est chère.

D'ailleurs, le bonhomme Chrysale ne peut avoir la prétention de représenter un système de philosophie. Quant à Clitandre, il est strictement dans le vrai, sans allusion à aucun système, lorsqu'il répond aux exigences de la prude Armande :

... Pour moi, par malheur, je m'aperçois, madame,

Que j'ai, ne vous déplaise, un corps tout comme une âme.

Est-ce donc aussi une doctrine philosophique que défend Alceste dans le Misanthrope, et Philinte a-t-il l'intention de le combattre par une doctrine contraire? Non. Molière ne tient pas école de philosophie dans ses pièces inimitables; il n'est ni l'adversaire de Descartes, ni le défenseur de Gassendi; il est l'adversaire de tous les travers de l'esprit et du caractère; il est le défenseur de l'honnêteté, du bon goût et du bon sens.

AD. FRANCK.

(La suite à un prochain cahier.)

COLLECTION Des Historiens ANCIENS et modernes de L'ARMÉNIE, publiée en français.... avec le concours des membres de l'Académie arménienne de Saint-Lazare de Venise et des principaux arménistes français et étrangers, par Victor Langlois ; t. Ier, première période, Historiens grecs et syriens, traduits anciennement en arménien. XXI-421 pages, 1867, et t. II, deuxième période, Historiens arméniens du ve siècle, xv1-405 pages, 1869.

DEUXIÈME ARTICLE 1.

III.

Le rejeton de l'une des branches de la famille des Arsacides qui régnait en Perse et qui avait été renversée par les Sassanides, un jeune enfant proscrit avec tous les siens, fut sauvé par une femme chrétienne, Sophie, sa nourrice, et conduit à Césarée de Cappadoce. Là il reçut au baptême le nom grec de Grégoire, qui remplaça et a fait oublier le nom perse qu'il portait auparavant. Il puisa son instruction religieuse et littéraire dans cette savante école de Cappadoce, d'où sortirent bientôt après lui d'illustres docteurs de l'Église grecque, saint Basile le Grand, saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse.

Parvenu à l'adolescence, il se rendit incognito à la cour d'Arménie et servit avec zèle et fidélité le roi Tiridate pendant plusieurs années. Mais, reconnu comme chrétien et comme le fils d'Anag, meurtrier de Khosrov, père de Tiridate, il fut livré aux plus cruelles tortures et enfin précipité dans un souterrain pour y mourir dans les angoisses de la faim. La légende raconte qu'il y vécut treize ans ou, suivant une autre version, quinze ans, du pain qu'une sainte veuve lui apportait chaque jour en cachette, et qu'au bout de ce temps le roi et les grands, frappés par la main de Dieu d'un châtiment semblable à celui de Nabuchodonosor, se souvinrent de lui et vinrent implorer leur pardon et son intercession. Guéris par ses prières, ils tombèrent à ses pieds, reconnurent la toute-puissance du Dieu qu'il adorait et reçurent de sa main le sceau de l'initiation chrétienne. L'armée et les populations, entraînées

1

Voir, pour le premier article, le cahier d'octobre, p. 626.

par l'exemple du souverain et par la parole convaincue et éloquente de l'apôtre, accoururent à lui en masse et se firent baptiser dans les flots de l'Aradzani (l'Euphrate méridional). Grégoire, consacré en qualité de pasteur suprême de sa nation par saint Léonce, évêque de Césarée, composa, pour l'instruction de son clergé et de ses néophytes, une suite de Catéchèses, où tantôt il expose sous un point de vue relevé les dogmes abstraits de la foi, et tantôt les explique aux plus simples intelligences par des raisonnements à leur portée et des images sensibles.

Quoique saint Grégoire, en sa qualité d'écrivain théologique, ne rentre pas dans le cadre où nous circonscrit la nature de la publication dont nous avons entrepris l'examen, cependant son nom ne saurait être omis ici, parce qu'il marque une phase nouvelle dans l'histoire littéraire de l'Arménie. C'est par lui, en effet, qu'y pénétra et que prévalut bientôt l'influence hellénique, et que l'essor fut donné à ce grand mouvement qui arrêta et détruisit l'action des doctrines syriennes. Quelques critiques ont prétendu que ses Catéchèses, ainsi que les prières et les canons qui nous ont été transmis sous son nom, ont été rédigés par lui en grec, et cette opinion a été partagée par M. Langlois '; mais elle a été réfutée par le P. Karékin, qui fait observer avec raison qu'un ouvrage conçu dans un but de propagande, et pour l'instruction de tous indistinctement, ne comportait point l'usage d'un idiome étranger dont l'intelligence était le privilége d'un nombre d'adeptes très-restreint 2.

Le style de saint Grégoire, comme celui des auteurs du iv° siècle, nous montre une langue très-riche de formes grammaticales, énergique, à la séve exubérante, aux allures libres et hardies, dépourvue de cette régularité qu'elle acquit dans le siècle suivant, très-éloignée de la redondance et de la vulgarité des âges postérieurs. Ce style porte en lui-même le témoignage de son originalité et sa date précise, le iv° siècle; rien n'y trahit la réminiscence d'un prototype grec. Ces indications intrinsèques sont corroborées par une tradition qui n'a jamais varié sur l'attribution à saint Grégoire des Catéchèses, telles que nous les possédons actuellement. Comment admettre que l'on ait substitué après coup une version arménienne au texte grec, qui aurait été l'objet de la vénération universelle, et dont il ne reste cependant ni trace ni mention?

Tiridate, encore enfant à la mort de son père Khosrov, et voué à la mort avec toute sa famille par un ennemi victorieux, Ardeschir, chef de la dynastie des Sassanides de Perse, Tiridate fut soustrait aux coups

1 Collection, Discours préliminaire, p. 13. Hist. de la littérature arménienne, t. I", p. 97-99

qui le menaçaient et conduit à Rome par un fidèle serviteur, Ardavazt Mantagouni. Élevé dans cette ville, il porta les armes dans sa jeunesse sous les drapeaux de l'Empire et s'acquit un grand renom par sa valeur et surtout par sa force herculéenne. Ses patrons, voyant en lui un client capable de résister au roi de Perse, lui donnèrent un corps de troupes avec lequel il alla reconquérir son royaume. A son départ il emmena de Rome avec lui, en qualité de secrétaire, un homme instruit dans les lettres grecques et latines, nommé Agathange, Byzantin probablement d'origine. Celui-ci, après la conversion du roi et de ses sujets, écrivit, par ordre de son maître, une relation de ce grand événement; il y inséra un très-long exposé de la doctrine chrétienne, recueilli, comme tout semble le prouver, de la bouche même de saint Grégoire.

Il nous reste une double rédaction de la composition d'Agathange, en grec et en arménien. La rédaction grecque, publiée par Stilting', d'après un manuscrit de la bibliothèque Laurentienne de Florence, a été jugée, par ce docte Bollandiste et son confrère Papebroch, comme étant d'une authenticité très-douteuse 2. Baronius 3 et Tillemont' partagent le même sentiment. Mais ces savants ignoraient l'existence du texte arménien, encore inédit à l'époque où ils vivaient. Comme ce texte est d'une conformité parfaite avec la rédaction grecque mise au jour par les Bollandistes, il s'ensuit que la question d'authenticité est subordonnée à celle de priorité de l'un de ces deux textes par rapport à l'autre. M. Langlois, d'accord avec les PP. Měkhitharistes de Venise, éditeurs de l'Agathange arménien, reconnaît, il est vrai, que c'est le texte arménien qui est le plus ancien; mais, allant plus loin que ses guides, il ne craint pas d'affirmer que ce texte, dans l'état où il se trouve aujourd'hui, n'est qu'une seconde édition d'un travail primitif totalement refondu. Quelques pages plus loin, dans une Note additionnelle, abandonnant sans nous dire pourquoi cette opinion, il se prononce dans un sens différent et tout à fait inattendu. D'après une communication qu'il devait à un religieux měkhithariste, le P. Soukias Baron, alors occupé à la rédaction du catalogue des manuscrits arméniens de la Bibliothèque impériale, et prise par celui-ci dans le manuscrit n° 51, M. Langlois annonce avoir découvert que cette prétendue seconde édition est une traduction faite sur une version grecque, par un auteur du vir siècle, nommé Eznig le prêtre. Or ce manuscrit, qui contient les

3

'Dans les Acta sanctorum, septembre, t. VIII. 2 Ibid. Commentarius prævius, et Papebroch, t. I Maii, in annotatis ad ephemeridas græco-moscas, p. xxxIII. Annales ecclesiastici, ad annum 311, n° xxII. — Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, t. V, persécution de Dioclétien, art. 44.

« ZurückWeiter »