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<«< chemin particulier à accommoder, en ce cas Sa Majesté pourra vous « donner le pouvoir d'y faire travailler par corvée. »

L'application même restreinte de la corvée donnait lieu à une foule d'abus, et certains aventuriers ne craignaient pas de parcourir les provinces, exhibant des commissions vraies ou fausses pour commander des corvées et se faire donner des sommes d'argent à titre de rachat ou d'amende. L'un d'eux ayant été arrêté en Saintonge, on le condamna aux galères perpétuelles, et la circulaire suivante fut adressée à tous les intendants le 17 août 1680: «Monsieur, le roi fut averti, il y a cinq ou « six mois, qu'un particulier faisait de grandes concussions dans l'étendue « de plusieurs paroisses de la province de Saintonge, sous prétexte de « la réparation des chemins, et Sa Majesté ayant donné pouvoir au sieur « de Marillac de faire le procès et de juger souverainement ce particu«lier, il a été condamné aux galères perpétuelles et à l'amende hono«rable; mais il s'est trouvé porteur d'une commission de la chambre du « trésor de Paris, qui lui donne pouvoir de faire travailler par corvée a tous les habitants des paroisses circonvoisines à la réparation des che« mins, sinon leur faire payer l'amende. Sur quoi Sa Majesté m'a or« donné de vous en donner avis, afin que vous examiniez avec soin s'il n'y aurait pas de porteurs de pareilles commissions, l'intention de Sa «Majesté étant de réprimer fortement toutes ces sortes de concussions «qui se font sur ses peuples. >>

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Lorsque, après la mort de Louis XIV, le régent voulut activer les travaux d'amélioration des voies publiques, comme on ne pouvait augmenter les ressources pécuniaires, on en vint à l'idée de faire réparer et entretenir les grands chemins à l'aide d'une corvée permanente. Mais cette idée ne fut mise à exécution que peu à peu, en s'étendant successivement à un plus grand nombre de généralités. C'est ainsi que, dès l'année 1717, on jugea nécessaire de continuer d'année en année, pendant la paix, dans la province d'Alsace, les travaux de corvée imposés en temps de guerre pour le passage des troupes et convois. En 1726, M. de l'Escalopier, intendant de Champagne, suivit cet exemple dans sa province. La même année, Orry, intendant de Soissons, imposa dans sa généralité une corvée de six jours par an pour la réparation des routes. Nommé plus tard dans le Hainaut, il y établit la même pratique. Un arrêt du 17 décembre 1728 institua dans la généralité de Metz un ingénieur et des agents pour y diriger le travail des corvées. L'impulsion donnée fut suivie peu à peu par tous les intendants, surtout lorsque Orry, devenu, en 1730, contrôleur général des finances, favorisa l'extension d'un système dont il avait été l'ardent promoteur. Aussi, dès

1735, la corvée pour les grands chemins se trouvait-elle en vigueur pour tous les pays d'élection, mais elle y était appliquée avec la plus grande inégalité, et le zèle de certains intendants vint aggraver encore la charge qui en résultait pour les populations. On trouve, à ce sujet, dans un mémoire de Richer d'Aube, maître des requêtes et ancien intendant de Soissons, des détails significatifs :

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<<< Un des intendants du royaume, écrit-il, qui paraît avoir le système « le plus à cœur et a entrepris d'en faire de grands essais, m'a dit que, << pour les grands chemins auxquels il faisait travailler, il occupait « 51,000 hommes avec un nombre proportionné de bêtes de tirage; « que tous ces hommes et bêtes servaient toujours par corvée trois jours « en deux semaines et à la réserve du temps qu'il donne pour faire la se<< mence du menu grain et pour les différentes récoltes et la semence « des blés. 51,000 hommes ont donc travaillé depuis un an dans une « seule généralité pendant six mois, qui font vingt-six semaines, à raison « de trois jours en deux semaines; par conséquent voilà, dans une seule « généralité, 1,989,000 journées d'hommes qui auraient pu être employées à la culture et à la fertilisation des terres et ne l'ont pas été. » Non-seulement l'application de la corvée était laissée, dans ses détails, à l'arbitraire des intendants, mais le principe même de cette application n'avait pas été posé d'une manière officielle, lorsqu'un document anonyme, intitulé Mémoire sur la conduite du travail par corvées, sortit des presses de l'Imprimerie royale et fut adressé aux intendants. Ce mémoire était destiné, sans doute, à servir de guide aux agents du pouvoir et peut-être à provoquer leurs observations, car il fut suivi, un an plus tard, d'une instruction signée par le contrôleur général et déterminant enfin les règles auxquelles devait être soumise la corvée. M. Vignon cite textuellement dans son livre une grande partie de ce mémoire anonyme. On y voit l'intention d'adoucir le système exprimée à chaque page, mais aboutissant à des conditions qui ne semblent rien moins que douces.

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«Il est impossible, lit-on dans le préambule, de parvenir à l'entière réparation des chemins sans le travail des corvées, mais plus ce secours « est indispensable, plus il doit être ménagé. Le travail des corvées, << bien conduit, tempéré, appliqué à des objets utiles et réparti avec équité, est une imposition d'autant plus juste, que celui qui la supporte << en retire les premiers fruits. Ce même travail, outré, multiplié par « fausses opérations, devient une espèce d'esclavage qui révolte le pauvre et le met hors d'état d'acquitter sa taille. »

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Le mémoire prescrit de tracer sur la carte deux lignes parallèles aux

chemins à réparer ou à ouvrir, de part et d'autre, renfermant toutes les paroisses, à quatre lieues de distance, afin d'en appeler les habitants à la corvée. «Les mandements doivent être expédiés au syndic de faire « trouver au premier jour, à tel endroit, tant de voitures pour y charger « telle quantité de tels matériaux qu'on y aura fait lever ou déposer et «<les porter sur un tel chemin, aux lieux de décharge qui leur seront indiqués, et d'envoyer pareillement sur ce même chemin tant de ma« nouvriers propres à remuer la terre, auxquels il sera distribué des «< outils aux dépens du roi, lorsque la nature de l'ouvrage le requerra; « on pourra aussi commander les enfants de tout sexe au-dessus de douze ans « pour porter les cailloux et le sable aux ouvriers depuis la décharge jusqu'à l'atelier. Il est ordonné aux habitants des bourgs, villages, ha"meaux et fermes les plus prochaines du chemin, de retirer les tra« vailleurs commandés qui ne pourraient retourner chez eux, et de leur <«< fournir le gîte sur de la paille fraîche pour les hommes et sur de la litière « pour les bêtes.»

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Relativement au nombre de jours de corvée qui peuvent être exigés. annuellement, le mémoire anonyme s'exprime ainsi : «Lorsque la ré«<partition du travail est faite, il faut faire la répartition des temps qui «pourront être donnés à ce travail, étant également juste pour les peuples et intéressant pour l'État de ne pas occuper gratuitement le "paysan pendant les saisons propres à la culture ou à la récolte des fruits de la terre. Or ces différentes saisons étant déduites de l'année, «il en reste la moitié de libre, et, sur cette moitié, retranchant encore « les mauvais temps, soit de forte gelée, soit de pluie, et les jours de « fête, on ne peut guère compter que sur quatre mois francs de travail; et «en marge (ce qui fait trente journées par chaque contribuable à les <«< commander par quart). »

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L'instruction officielle de mai 1738 confirme presque tous les principes énoncés dans le mémoire. Toutefois la distance de quatre lieues, ayant été trouvée trop grande, fut réduite à trois lieues pour les convoyeurs à bras et maintenue seulement à l'égard des voitures. La disposition qui permettait de commander les enfants au-dessus de douze ans fut supprimée comme ayant soulevé une réprobation trop vive. Les subdélégués ou les commissaires désignés par les intendants pour surveiller le travail, reçurent toute autorité pour emprisonner et punir d'amende ou de garnison les corvéables récalcitrants; enfin il fut interdit aux corvéables de se racheter de leur tâche pour une somme d'argent. Le but principal de cette interdiction était d'éviter que la corvée prît le caractère d'une imposition nouvelle, qui, d'après les lois du

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royaume, n'aurait pu être établie sans lettres patentes du roi dûment enregistrées. Il est assez singulier en effet qu'une des charges les plus lourdes qui aient jamais été imposées aux populations ait été ainsi décrétée par une simple instruction ministérielle; et cependant l'application de la corvée aux travaux des grands chemins devenait, par le fait de l'instruction de 1738, la règle générale du royaume, du moins dans les pays d'élection. Mais les détails principaux et les plus délicats de cette application demeuraient indéterminés, et, malgré une réglementation assez minutieuse, la part la plus large était encore laissée à l'arbitraire des intendants. La première question à se poser était évidemment celle-ci Quels sont les corvéables? Or, d'après l'origine toute féodale de la corvée et son système primitif d'établissement, les nobles ou gentilshommes, ainsi que les ecclésiastiques, en étaient exempts, par privilége d'état, et cette exemption s'étendait à leurs domestiques à gages, voire même au personnel d'exploitation des domaines qu'ils exploitaient eux-mêmes tous les anciens officiers roturiers, toutes les personnes attachées au service du roi ou à une fonction publique et pourvues à cet effet d'offices ou de commissions, jouissaient du même privilége. Le nombre des exemptions accordées variait d'ailleurs d'une localité à l'autre et au gré des intendants; presque partout enfin les habitants de la campagne étaient seuls soumis à la corvée, à l'exclusion de ceux des villes. Les villes en effet s'étaient depuis longtemps affranchies ou rachetées de la corvée seigneuriale et l'on admettait, en outre, le singulier principe que les routes profitaient seulement aux productions agricoles. Les intendants cependant, soit par esprit d'équité, soit pour rendre le fardeau plus tolérable, en le répartissant sur une population plus nombreuse, l'étendirent peu à peu aux habitants des villes. On lit dans une instruction publiée en 1746 par Trudaine : «Les habitants des villes qui seraient de condition à payer la taille ne «paraissent pas devoir être exempts de la corvée. Ce sont eux qui pro«fitent le plus de la beauté des chemins. >> Perronet voulait que les villes fussent assujetties à la corvée, mais seulement pour ce qui concerne les journaliers, les voituriers et les laboureurs. Une ordonnance de l'intendant de Moulins, rendue en 1754, portait que « tous les habi«tants des villes et des paroisses sont indistinctement obligés de fournir « les corvées. » Le même principe prévalut, en 1758, dans la généralité de Poitiers, mais l'autorité supérieure, ainsi qu'on vient de le voir par, les termes cités de l'instruction de 1746, évitait de se prononcer bien nettement sur la question. Le contrôleur général répondait cependant, en 1755, à un intendant qui l'avait consulté à ce sujet : « que toutes les

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« villes taillables devaient être assujetties à la corvée, et que les villes « franches n'étaient exemptes de cette charge qu'à la condition d'entre« tenir les pavés de leurs rues et les chemins de leurs banlieues. » On sait que certaines villes étaient affranchies de la taille moyennant une redevance ou abonnement annuel, tandis que les habitants des autres villes étaient assimilés à ceux des campagnes pour l'impôt direct. Le principe rappelé par le contrôleur général aurait donc pu servir de règle, s'il eût été posé dans toutes les provinces. Mais en cela, comme sur bien d'autres points, régnait la plus grande irrégularité. Turgot fait remarquer par exemple en 1761 que la ville de Limoges, sujette à la taille, était affranchie de la corvée; et que celle d'Angoulême, exempte à la fois de taille et de corvée, exerçait elle-même un droit de corvée sur les paroisses environnantes.

Deux généralités, parmi les pays d'élection, faisaient d'ailleurs exception à la règle suivie pour la corvée. Tandis que presque partout ailleurs la corvée avait un caractère essentiellement personnel, ce qui, nous l'avons dit, en dispensait tous les nobles et tous les fonctionnaires de l'État, la Franche-Comté avait conservé, suivant son ancienne coutume, la corvée réelle. Les nobles de cette province, malgré quelques réclamations auxquelles il fut fait droit passagèrement, étaient donc obligés de fournir des travailleurs pour représenter les terres qu'ils possédaient. L'exception dans la généralité de Paris était plus radicale encore. Pour divers motifs, dont le principal était sans doute d'éviter les plaintes des populations trop voisines de la Cour, la corvée des bras n'y fut jamais établie; on y admettait seulement la corvée des voitures, dont l'application fut toujours, d'ailleurs, fort peu rigoureuse.

Après la désignation des corvéables un autre point capital restait livré à l'arbitraire. C'était le nombre annuel des jours de corvée. Le mémoire de 1737 indiquait subsidiairement et dans une note marginale le taux de trente jours par an. Mais l'instruction de 1738 était muette sur ce point et il en résulta les plus choquantes inégalités. Certains intendants demandaient huit jours, d'autres quarante ou cinquante, et, chose digne de remarque, les intendants qui exigeaient le plus de travail étaient souvent ceux qui avaient le plus vif désir de soulager les populations. Considérant la construction des routes comme unc nécessité du moment, ils avaient hâte d'en finir avec elle sans songer qu'après la construction viendrait l'entretien, qui, croissant avec la circulation, exigerait un travail permanent, égal, et souvent supérieur à celui du premier établissement.

On distingua bientôt, en effet, deux corvées, l'une qui était ordonnée

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