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Histoire de Charles VIII, roi DE FRANCE, d'après des documents diplomatiques inédits ou nouvellement publiés par C. DE Cherrier, membre de l'Institut. Paris, libr. Didier et Cie, 1868, 2 vol. in-8°.

TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE'.

IV.

Nous venons de suivre dans sa marche jusqu'à Naples l'expédition de Charles VIII, et il faut que je m'excuse d'avoir paru quelquefois partager avec M. de Cherrier le rôle de l'historien. Plus les documents. nouveaux qu'il a produits ajoutent de détails curieux à l'histoire, plus il importe de mettre en relief les événements principaux qu'ils éclairent et de montrer le fil qui les unit. On a vu combien l'Italie était florissante à la fin du xve siècle; comme il lui eût été facile de se faire respecter, si elle avait été je ne dis pas une, mais unie; quelles rivalités la travaillaient à l'intérieur; quelle ambition l'ouvrit à l'étranger. On a vu son attitude à la veille de l'invasion. Le roi de Naples menacé s'unit à Rome, à Florence, aux petits seigneurs de la Romagne; Milan appelle l'ennemi, Venise attend. Mais le roi de Naples est miné dans ses propres États par les effets de son despotisme; le pape est versatile; à Florence, il y a lutte sourde entre les intérêts des Médicis et ceux de la cité. Ainsi cette masse qui semblait compacte n'a rien de solide, et tout le reste est ouvert. Nous avons dit avec quelle facilité Charles VIII passe les Alpes, comme il est reçu à Turin, à Casal et dans le Milanais même; et les pays hostiles ne lui offrent pas plus de difficultés. Les Napolitains, qui ont pris l'offensive en Romagne et dans l'État de Gênes, sont réduits à se défendre; Florence, puis Rome, les deux alliés de Naples, s'ouvrent l'une après l'autre au conquérant, et Naples va faire de même. A mesure que les Français s'avancent, la résistance semble s'évanouir. Le vieux roi Ferdinand était mort à la veille de l'invasion; son fils Alphonse abdique lorsqu'elle est aux confins de son royaume; Ferdinand II, qui reçoit de son père la couronne, ne peut

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Voir, pour le premier article, le cahier d'août, p. 495; pour le deuxième, le cahier de septembre, p. 543.

pas mieux la soutenir; abandonné à la frontière, menacé dans sa capitale, il se retire: trois générations de rois se sont effacées devant Charles VIII.

Charles VIII, maître de Naples, s'imagina trop facilement qu'il n'avait plus rien à faire pour posséder le pays tout entier. Acclamé par un peuple las du joug de ses rois, il crut trop volontiers que cette haine des autres équivalait à du dévouement pour lui-même. Il était là comme sur un trône séculaire; il s'y croyait établi pour toujours, et il agissait comme un homme qui n'a pas de lendemain. Il remettait les impôts, il épuisait le trésor en largesses; et avec cela il ne se faisait pas populaire : car ces largesses étaient pour ses amis; et, quand le trésor était vide, il recourait aux exactions au lieu des dispenses promises, il fallait lui repayer ce qu'on avait payé déjà à l'ancien maître. Ainsi il ne se gagnait personne ni le peuple ni les nobles, pas même ces barons «angevins > qui étaient à Naples, dès avant la conquête, le parti de la France. On leur faisait « des rudesses aux portes, »dit Comines: toutes les faveurs étaient pour les Français 1, et, quand les autres réclamaient au moins leurs biens confisqués, on les renvoyait aux tribunaux. Quelquefois même on les leur reprenait pour les donner à d'autres 2.

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Ainsi le prince, accueilli naguère avec tant d'enthousiasme, n'était pas

« A défaut d'argent, les vivres trouvés en abondance dans les forteresses furent donnés à ceux qui les demandèrent, et par ceux-ci mis en vente. Étienne de Vesc, cet ancien valet de Louis XI, devenu par faveur sénéchal de Beaucaire, fut créé duc de Nola et grand chambellan du royaume. L'Écossais Stuart d'Anbigny eut l'épée de connétable, le comté d'Acri, et le marquisat de Squillace. Jean Rabot, conseiller au parlement de Grenoble, devint protonotaire, chef « de la justice. Le roi, croyant s'attacher les frères Colonne, leur donna plus de trente châteaux à leur convenance. Les princes de Salerne et de Bisignano furent largement gratifiés de riches seigneuries. S'il fallait citer les noms de tous ceux qui prirent part à cette grande curée de charges lucratives, d'offices et de terres, la liste en serait trop longue. Bornons-nous à dire seulement que les anciennes « confiscations ne suffisant pas à contenter les solliciteurs, on leur distribua une « bonne partie des terres domaniales. A en croire les documents vénitiens, la plupart de ces enrichis, nécessiteux, ou peu confiants dans la durée d'un établisse«ment fondé sur de telles bases, cherchaient à vendre les terres qui leur avaient « été données. Comme peu d'acheteurs se présentaient, ces biens étaient cédés à vil prix deux cents ducats, par exemple, pour un revenu de cent ducats. » (T. II, p. 156-157). — C'est ainsi, dit M. de Cherrier, que le comte de Celano, venu à Naples avec les Français et rétabli dans sa seigneurie, la reperdit bientôt après. « Ce fief avait été confisqué par le roi Alphonse et donné au duc de Melfi, un de ses fidèles. La fille de ce dernier, jeune, belle et d'humeur facile, plut à Charles VIII «et en obtint contre toute raison que Celano fût rendu à son père. On fit plus: main-forte lui fut donnée pour en expulser le légitime possesseur.» (T. II. p. 156.)

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un maître étranger qui ne demandait pas mieux que de se faire Italien, comme les Angevins ou les Aragonais : c'était purement et simplement un maître étranger; et tous suivaient son exemple. On agissait comme en pays de conquête, et on le faisait impunément. «La vie licencieuse « des ་ gens de guerre, dit M. de Cherrier, leurs procédés insolents envers <«<leurs hôtes, provoquaient de nombreuses plaintes, qu'on n'écoutait pas. Chaque jour à Naples, et jusque sous les yeux du roi, quelque acte de <<< violence troublait la paix publique, sans qu'aucune répression en pré<< vînt le retour. Le vin fort et capiteux s'y vendait à bas prix. Les soldats <«< ct principalement les Suisses, presque toujours ivres, parcouraient la « ville, cherchant querelle aux passants. » (T. II. p. 158.) — «Il ne << semblait pas aux nôtres, dit Comines, que les Italiens fussent << hommes. La leçon des Vêpres siciliennes était oubliée, ou l'on se croyait assez fort pour en braver le retour.

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Dans cette situation précaire, Charles VIII ne songeait qu'à pousser plus loin la réalisation de ses rêves: après Naples, la Grèce, Constantinople! C'est pour cela qu'il s'était fait livrer Djem par le pape; c'est à cause de cela aussi qu'au lendemain de la conquête de Naples, Djem était mort (26 février1): le pape, gagné par le sultan, ne l'avait, dit-on, livré qu'empoisonné 2. Ces projets n'étaient-ils que folie? Mais la folie avait si bien réussi jusque-là! Cette rapide conquête, cette marche triomphale avaient produit partout la plus vive impression. Les populations albanaises et grecques, soumises depuis si peu de temps, ne demandaient qu'à se lever; et Bajazet n'était point un Mahomet II. On ne saurait dire à quoi n'aurait pas abouti une tentative hardie. Si l'Italie, si Venise l'eût appuyée, le succès était certain : mais c'était là le côté douteux de l'entreprise et aussi le faible de la position.

L'Italie avait eu grand'peur: elle commençait à s'en remettre, en passant la revue de ses forces et en les comparant au petit nombre des Français qui s'étaient aventurés si loin de leurs frontières. Si quelqu'un d'abord avait espéré gagner à l'invasion, tous maintenant avaient perdu ou craignaient de perdre : non-seulement Ferdinand II, chassé de Naples, mais ceux que Charles VIII avait contraints d'entrer dans son alliance: à Rome le pape privé de ses forteresses, inquiet pour sa tiare;

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Et non le 25 janvier comme le porte le livre de M. Cherrier, par une faute d'impression évidente (t. II p. 135): à cette date Charles VIII n'avait pas encore quitté Rome. « La corruption d'Alexandre, dit Guichardin, rendant tout croyable, fit penser à plusieurs que Bajazet lui ayant envoyé de l'argent par George Bucciardo, il avait vendu à ce prince le sang de son frère Zizim.» (Guichardin, liv. II, ch. II.)

en Toscane, Pierre de Médicis chassé de Florence; Florence réduite dans sa domination 1; et même celui qui avait été l'allié, l'introducteur des Français en Italie, Louis le Maure, devenu duc de Milan. En appelant les Français, il n'avait voulu que susciter des embarras au roi de Naples; et l'invasion avait abouti à la conquête conquête si facile, qu'elle devait lui donner sérieusement à penser. Déjà Charles VIII avait pris position dans les États romains et en Toscane; et il n'était pas possible qu'il ne songeât pas à ses griefs contre Milan, quand il avait près de lui deux hommes si intéressés à les lui rappeler Louis d'Orléans, l'héritier des Visconti, et Trivulce, exilé milanais, qui, à la tête de l'armée napolitaine, avait livré l'entrée du royaume de Naples au roi de France. Ajoutez Venise, restée jusque-là en dehors de ces alliances et de ces hostilités, mais intéressée autant que personne au résultat; et c'était comme la clef de la situation.

Qu'allait-elle faire en cette occurrence? C'est vers elle que tout le monde tournait les yeux. Charles VIII, on l'a vu, avant d'entrer en Toscane, avait député Comines à Venise, et le vieux conseiller de Louis XI, frappé de sa grandeur, ébloui, plus qu'il ne convenait sans doute, des apparences de force de sa constitution 2, avait compris au moins combien il importait de l'avoir pour amie. C'est bien aussi ce que pensaient les autres, et de toute part on y envoyait des ambassades, non-seulement les Italiens, mais les puissances étrangères : Ferdinand d'Aragon qui craignait pour la Sicile, Maximilien pour la couronne impériale (car on disait que Charles VIII la demandait pour lui-même à Alexandre VI3); même le Grand Turc, à la requête du pape, disait-on.

Ces menées secrètes sont ce que M. de Cherrier a le mieux mis en lumière à l'aide de Marino Sanuto et des documents nouveaux qu'il a consultés. Comines voulut savoir ce qui se tramait en dehors de lui dans ces conseils. Il alla trouver la seigneurie. On ne lui nia point qu'il n'y eût des négociations; mais on prétendait qu'il s'agissait d'une ligue contre le Turc. Une ligue contre le Turc eût bien été l'affaire du roi;

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'Charles VIII ne prenait pas même la peine d'adoucir pour les Florentins l'amertume de cette situation: « Si vos sujets, dit-il un jour à leurs ambassadeurs, se révoltent parce qu'ils sont maltraités, que voulez-vous que j'y fasse?» (Guichardin, liv. II, ch. 1.) Voyez liv. VII, ch. xv: «Et vous dis bien que je les ai « connus si sages, et tant enclins d'accroistre leur seigneurie, que, s'il n'y est pourvu tost, tous leurs voisins en maudiront l'heure, etc. » « On lui avait rap"porté que le roi de France prenait le titre de Carolus octavus, secundus Magnus, « d'où l'on tirait cette conséquence que Charles VIII prétendait recommencer le règne de Charlemagne. (M. de Cherrier, t. II, p. 147, d'après les Archives de la réformation de Florence.)

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mais ce qui devait faire douter que ce fût l'objet des conférences, c'est que Comines n'y était pas admis, et l'ambassadeur du Sultan était là. Il était là, et on lui dénonçait les projets de Charles VIII contre son maître! Les Vénitiens avaient d'abord espéré que Charles VIII n'irait pas jusqu'au bout de son entreprise. Même quand Naples fut prise, ils comptaient que les châteaux ne le seraient pas. Lorsqu'on sut qu'ils étaient aussi au pouvoir des Français, ce fut une grande consternation. Mais dès ce moment la ligue fut faite (31 mars 1495). Comines en reçut l'annonce dans une grande assemblée du Sénat. Pour faire meilleure contenance, et troubler dans leur joie ceux qui croyaient l'avoir confondu, il affecta de tout savoir déjà; et il en avait deviné, il en avait appris à Charles VIII quelque chose: mais ce fut l'âme navrée qu'il retourna dans son logis, et il nous dit assez naïvement la triste mine qu'il faisait au milieu des réjouissances dont cet acte fut l'occasion1. Un seul ambassadeur parut disposé à se rapprocher de lui: celui contre lequel on avait fait semblant de s'entendre, l'ambassadeur du Grand Turc!

Toutes les illusions s'étaient donc dissipécs, et Charles VIII, au moment où, selon ses premiers rêves, il aurait dû marcher triomphalement sur Constantinople, n'avait plus qu'à revenir à Paris. M. de Cherrier pense pourtant qu'il aurait pu relever encore ses affaires : «Si, au pre«mier avis des négociations de Venise, dit-il, on avait rassemblé l'armée « disséminée dans les provinces, en laissant des garnisons dans quelques « villes importantes comme Gaële et Capoue, mais surtout dans les chà<«<teaux de Naples; qu'on eût ensuite pris l'offensive, sans donner le ❝ temps aux confédérés de réunir leurs forces, on aurait pu, en se por

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« Et au saillir de leur conseil je rencontrai l'ambassadeur de Naples qui avoit une belle robe neufve, et faisoit bonne chère; et en avoit cause, car c'estoient grandes nouvelles pour lui. A l'aprèsdisné tous les ambassadeurs de la ligue se trouvèrent ensemble en barque (qui est l'esbat de Venise, où chacun va, selon les gens qu'il a) et aux despens de la seigneurie; et, pouvoient estre quarante barques qui a toutes avoient pendeaux aux armes de leurs maistres. Et vis toute cette compagnie passer pardevant mes fenestres; et y avoit force menestriers; et ceux de Milan, au « moins l'un d'iceux, qui m'avoit tenu compagnie beaucoup de fois, faisoit bien contenance de ne me connoistre plus. Et fus trois jours sans aller par la ville, et mes gens, combien que jamais ne me fut dite en la ville, ni à homme que j'eusse, une seule mal gracieuse parole. Le soir firent une merveilleuse feste de feux, sur les clochers, force fallots allumés sur les maisons de ces ambassadeurs, et artillerie qui tiroit. Et fus sur la barque couverte, au long des rives, pour voir la feste, environ dix heures de nuict, et par espécial devant les maisons des ambassadeurs, où se faisoient banquets et grand chère.» (Liv. VII, ch. xv.)

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