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brahmanes et les prêtres bouddhistes. Tout en reconnaissant que les premiers ont eu l'initiative de l'exemple, qu'il a été facile de perfectionner, il attribue aux autres une grande supériorité, qui se manifeste à bien des égards 1. Le brahmane doit tout à sa naissance et au hasard de la caste, qui est inaccessible de toute autre façon. Le bouddhiste, qui appartient à toutes les classes de la société, ne doit rien qu'à luimême, à sa vertu et à son intelligence. La caste brahmanique est fermée et c'est là ce qui la maintient; les brahmanes n'ont point d'organisation ni de hiérarchie entre eux 2. Au contraire, le Bouddha a réussi admirablement à organiser le corps de ses religieux; et, dans toute l'Asie, il n'y a rien qui en approche. Le Bhikshou n'est pas enchaîné; il prend l'habit jaune à son gré; et il le quitte dès qu'il veut. Voué à la mendicité et au célibat, il n'a ni l'ambition de la richesse, ni celle de la famille; il n'amasse pas de fortune ou de puissance pour des héritiers qu'il n'a point. La hiérarchie est constituée au Birman et à Siam trèsrégulièrement. Au Birman en particulier, il y a comme un général de l'ordre (Tha-thana-paing) qui, soutenu par le pouvoir laïque, contribue beaucoup à maintenir la discipline parmi les religieux. Dans chaque province, il y a, pour tous les couvents qu'elle renferme, un supérieur qu'on pourrait appeler à bon droit un provincial; enfin chaque couvent a son chef particulier. Dans le brahmanisme, on ne trouverait aucune trace de cette subordination; mais la caste brahmanique s'est conservée par des moyens absolument différents, qui, du reste, n'ont pas été moins efficaces 3.

Le nom spécial des Talapoins au Birman est Phonguis, mot qui signifie Très-Glorieux, de même qu'Arhat signifie Parfait. A Siam, au Thibet, à Ceylan, les noms qu'on donne aux religieux bouddhistes ont à peu près le même sens. C'est le respect public qui les leur attribue, de même que, chez les nations civilisées, catholiques et protestantes, le clergé reçoit des dénominations honorifiques. En entrant dans la société religieuse, un Talapoin se propose, avant tout, de suivre la loi sacrée du Bouddha d'une manière beaucoup plus étroite que ses coreligionnaires. Il ne prend pas seulement la résolution d'observer les règles générales qui sont prescrites à tous sans exception, mais il compte pratiquer les recommandations d'un genre supérieur qui con

The life or legend of Gaudama, page 485 et suiv. 2 Il y a bien une liérarchie passagère et fort restreinte entre les brahmanes qui font le sacrifice. Les fonctions des uns sont supérieures à celles des autres; voir mes articles sur l'Aitareya Brahmana, cahiers de décembre 1860, page 753; août 1866, p. 491; et septembre 1866, p. 566. — 3 The life or legend of Gauduma, etc. p. 488 et suivantes.

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duisent à ce degré de sainteté que ne peuvent acquérir qu'un très-petit nombre de fidèles aussi fervents que résolus. Il se flatte d'étouffer en son cœur toutes ces inclinations qui font naître et qui développent le principe funeste du démérite et du péché. En observant rigoureusement les préceptes les plus sublimes, il affermit en lui le principe du mérite, qui agira en sa faveur, durant les existences diverses qu'il peut encore avoir à fournir, pour gagner enfin des droits au Nirvâna, l'unique objet des désirs d'un vrai disciple du Bouddha'.

En fixant ses regards sur ce modèle accompli, il est assuré de ne point faire de faux pas; comme le Tathagata, il abandonne le monde, la famille, la propriété, les plaisirs, les jouissances les plus innocentes; il renonce même à sa volonté propre, dans l'ensemble et le détail de sa vie, pour n'obéir qu'aux règlements qui gouvernent aussi ses frères. Il est Talapoin pour lui-même et à son avantage exclusif, afin de s'amasser des mérites que personne ne peut partager avec lui. Sa profession religieuse ne l'oblige à rien envers la société, dont la bienfaisance le nourrit; il n'est pas même tenu d'expliquer la Loi au vulgaire; et, comme il n'a pas charge d'âmes, il ne prétend jamais redresser celui qui la transgresse ni censurer la conduite des méchants.

Les cérémonies du culte bouddhique étant aussi simples que peu nombreuses, le Talapoin n'y est pas nécessaire, puisqu'on n'a que faire d'un ministre de la religion pour les consacrer. On élève des pagodes au Bouddha, on inaugure ses statues, on lui offre des fleurs, des étoffes, des parfums, spécialement les jours de nouvelle lune et de pleine lune; mais, dans toutes ces occasions, on n'a point à requérir la présence d'un Phongui; le culte tout entier s'accomplit sans lui. On ne le convie pas davantage aux mariages ni aux naissances. S'il paraît quelquefois aux funérailles, c'est à titre de simple individu, et pour profiter plus largement des aumônes que les parents du défunt accordent avec générosité dans ces tristes circonstances 2.

Il y a trois mois de l'année, de juillet à octobre 3, qui sont pour les bouddhistes une époque de redoublement de dévotion. Des masses de peuple se rendent alors dans les pagodes, et passent des nuits entières dans des maisons attenantes au saint édifice. Les plus pieux jeûnent du rant tout cet intervalle et s'abstiennent des amusements profanes. Leur temps est employé à lire les écritures sacrées et à réciter les formules qui rappellent et condensent les principaux points de la Loi. Les au

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The life or legend of Gaudama, etc. page 492. — Ibid. page 492. — 3 Plus précisément depuis la pleine lune de juillet jusqu'à la pleine lune d'octobre; c'est le temps du Varsha ou des pluies, et de la retraite dans les Vihâras.

mones qu'on apporte alors aux paisibles asiles des religieux sont plus abondantes. Mais le Talapoin ne change absolument rien à son genre de vie, et il ne dévie de la règle qui lui est prescrite en quoi que ce soit. A cette époque aussi, il y a pour lui des observances plus strictes qu'à tout autre moment de l'année; il se réunit de temps à autre à ses frères pour réciter certaines formules et pour lire des morceaux des livres saints. Parfois même, durant ces mois privilégiés, le Talapoin continue à mener une vie solitaire; il se construit à l'écart une cabane où il peut tout à son aise, et loin de la société humaine, se livrer à ses méditations sur la Loi du Bouddha, combattre ses passions et se donner un avant-goût du Nirvâna '.

Entre les moines du bouddhisme et les moines chrétiens du moyen âge, il est facile de marquer des ressemblances frappantes; et quelques écrivains, peu favorables au christianisme, ont affirmé qu'il avait emprunté à l'institution bouddhique bon nombre de ses cérémonies et de ses observances extérieures. Ms Bigandet n'a pas de peine à réfuter ces assertions; et il montre aisément que, de part et d'autre, des vœux analogues de pauvreté, de célibat, de vie commune, etc., ont amené des coutumes qui nécessairement se rapprochent, sans que le fond des deux doctrines cesse d'être absolument opposé. Il insiste avec force sur la différence radicale des objets que chacune de ces religions poursuit, l'immortalité et le néant. Ms l'évêque de Ramatha a été bien inspiré de repousser encore une fois ces objections; mais elles sont aujourd'hui à peu près sans valeur; et, plus on apprend à connaître les choses, moins on est disposé à donner à ces attaques une attention qu'elles n'ont jamais méritée.

Au Birman, la corporation religieuse ne s'est pas mêlée au pouvoir civil, ainsi qu'elle l'a fait au Thibet. Par suite, elle a moins d'éclat et même moins de régularité hiérarchique. Mais, à d'autres égards, cette indépendance lui a largement profité. Elle a mille fois mieux conservé les règles du Vinaya, et les mœurs des moines y sont incomparablement plus pures. Le peuple n'y souffrirait point une violation scandaleuse des vœux de pauvreté et de chasteté. Si, au contraire, on croit les récits des voyageurs, les moines thibétains ne se font aucun scrupule de manquer à ces voeux trop difficiles, sans avoir à craindre la moindre réprobation publique de leurs déréglements 2.

The life or legend of Gaudama, page 493. Me Bigandet atteste qu'il a vu personnellement quelques exemples de cette espèce. - Ibid. page 496. Voir, sur le bouddhisme au Thibet, le Journal des Savunts, cahier de mai 1865,

page 280.

Outre les chefs de chaque couvent, les provinciaux et le supérieur général de l'ordre, la communauté des Phonguis comprend des jeunes gens appelés Shyins, qui portent l'habit de Talapoin, sans être encore reçus, et d'autres frères, qui, admis après des interrogatoires et une résidence bénévole de plusieurs années, se nomment des Patzins. Il n'y a pas de famille un peu aisée qui n'envoie ses fils au monastère dès qu'ils ont l'âge de puberté, pour y apprendre à lire et à écrire et pour y rester un an ou deux en qualité de Shyins, ou de novices. Le Shyin, outre l'instruction qu'il reçoit, a pour devoir de servir les anciens du monastère et de leur rendre tous les bons offices qu'exigent leur dignité et leur âge. La plupart des jeunes Shyins, une fois leur éducation finie, retournent dans la société et chez leurs parents. Quelques-uns, épris de la vie religieuse, restent dans la maison où ils se plaisent; et, quand ils ont atteint l'âge de vingt ans, ils se font recevoir dans la communauté; c'est le grade de Patzin, et le premier échelon de la hiérarchie. Viennent ensuite les Talapoins ou Phonguis, gouvernés, dans chaque monastère, par un chef, qui est le plus souvent un délégué du fondateur. Quant au supérieur général, il est d'ordinaire nommé par le roi, qui le change à son gré, comme dans le royaume d'Ava; et le Phongui investi de cette haute dignité est toujours entouré du plus sincère respect. Il a près de lui un ou deux frères, qui lui servent de secrétaires et d'huissiers. Il a, en outre, une garde laïque, dont le soin principal est de maintenir autour de ce personnage et dans toute son habitation le calme et le plus complet silence 1.

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«La première fois que j'ai été introduit auprès de ce dignitaire, ra « conte M Bigandet, je m'amusai beaucoup à voir ces gardes muets qui, par toutes sortes de signes et de gestes, voulaient me faire comprendre que je devais marcher le plus doucement possible, et me « bien défendre de parler fort. Admis en présence du Tsaia-dau (c'est le <«<nom birman du supérieur général), je n'étais pas médiocrement sur«<pris de me trouver en présence d'un homme fort animé, qui croyait « avoir seul le droit de parler, et dont le langage était celui d'un maître qui ne s'attendait pas à la plus légère contradiction. Il paraissait vive«ment offensé quand le cours de la conversation amenait son interlo« cuteur à n'être pas du même avis que lui. Il avait à peu près cinquante <«< ans, une haute taille pour un Birman, et des traits jolis et réguliers. «Sa figure était amaigrie, comme il sied à un moine; mais son orgueil professionnel donnait à toute sa personne quelque chose de sombre

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The life or legend of Gaudama, etc. p. 501.

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« et de déplaisant; il parlait avec lenteur et par sentences, sans paraître « se douter qu'il eût un auditeur. Le contentement et l'admiration de « soi perçaient sous la feinte humilité dont il tâchait d'envelopper toute «sa contenance. Je le quittai en emportant une impression bien diffé«rente de celle que son prédécesseur avait faite sur l'envoyé anglais, « à la fin du dernier siècle; car cet envoyé avait été tellement séduit «par la douceur, la bienveillance et la piété du Talapoin, qu'il lui « avait demandé un souvenir dans ses prières1. »

Jadis le supérieur général envoyait des inspecteurs dans toutes les provinces et se faisait rendre un compte exact de l'intérieur de chaque couvent. Les Talapoins trouvés en faute étaient punis ou expulsés, et la discipline était sévèrement maintenue. Aujourd'hui ces visites si utiles sont tombées en désuétude, et la régularité en souffre beaucoup. L'Ordre n'est plus ce qu'il était autrefois; et sa considération a diminué, parce qu'on a vu beaucoup de gens entrer en religion pour servir leur paresse et en sortir quand ils étaient las des obligations et des devoirs de cette vie nouvelle. Mais il y a une telle vitalité dans l'institution, qu'elle a persisté au milieu des guerres, des révolutions et des bouleversements de tout genre. Ce qui la protége et la fait vivre malgré tant de causes de destruction, c'est le sentiment religieux et la foi puissante qui pénètre les populations bouddhistes. Le corps des religieux trouve incessamment à se recruter dans leurs rangs; et il n'y a, pour ainsi dire, personne qui n'ait été membre d'une communauté pendant plus ou moins de temps2.

L'ordination des Talapoins au Birman diffère assez peu de ce qu'elle est à Ceylan ; il est même à remarquer que le livre dont on se sert à cette occasion est encore en pâli, la langue sacrée. Les copistes ont bien soin de l'écrire avec les antiques caractères carrés, et ils rejettent les caractères courants. Parfois le livre, qu'on peut considérer comme un véritable rituel, est composé de feuilles d'ivoire d'un travail exquis. La cérémonie de l'ordination exige au moins dix ou douze prêtres dans les grandes villes, et quatre ou six dans les plus petites. Ces prêtres votent l'admission, ou la refusent si le candidat ne remplit pas toutes les conditions d'âge, de santé, d'instruction, de bonne conduite, de situation sociale. Le catéchumène répond aux questions très-simples qui lui sont adressées, et il prend les engagements qu'on lui prescrit pour tout le temps qu'il demeure dans la communauté.

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2

The life or legend of Gaudama, etc. p. 502. — Ibid. p. 503. 3 Pour l'ordination des religieux à Ceylan, voir mon ouvrage Le Bouddha et sa religion, p. 361

et suiv.

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