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par mandements spéciaux pour les constructions nouvelles, l'autre qui avait pour objet l'entretien des routes établies, qui fut, pour ainsi dire, permanente; si bien, qu'il y eut des localités où les jours de repos devinrent l'exception relativement aux jours de corvée.

Du reste les prescriptions de l'instruction de 1738, même sur les points où elles étaient précises, ne furent pas toujours exécutées régulièrement. Ainsi la corvée ne devait s'appliquer qu'aux paroisses situées à trois lieues de part et d'autre de la route à construire. Certains intendants portent cette distance jusqu'à sept lieues. Les intendants étaient cependant, pour la plupart, des administrateurs capables, amis du bien public, cherchant à adoucir dans les détails l'application de la corvée; il en était de même des ingénieurs, mais non des agents subalternes, qui aggravaient cette charge par une foule d'abus. Exemptions accordées par corruption, sévérités excessives mises au service des inimitiés locales, faveurs accordées aux plus riches au détriment des faibles et des pauvres, tels sont les faits constatés par plusieurs arrêts des ministres.

La corvée enfin était encore aggravée par les intempéries des saisons; les réunions d'hommes, de femmes et d'enfants, venus de loin, imparfaitement nourris, travaillant sur un sol détrempé, logés ensuite de force, et toujours fort mal, dans des maisons plus ou moins voisines de la route, faisaient naître une foule de maladies et devenaient une source de misères. Les punitions édictées contre les délinquants suffisent d'ailleurs pour faire juger de l'impopularité qui s'attachait à la corvée. En 1746, dans la généralité de Moulins, chaque corvéable recevait une tâche, pour trois jours; faute de l'exécution dans ce délai, il était emprisonné. Des amendes considérables étaient souvent prononcées avec l'accroissement de la tâche imposée, des envois de garnison étaient enfin l'un des moyens de sévir contre les récalcitrants. Des brigades de maréchaussée sont répandues dans les chaumières, dit le parlement de Toulouse en 1756, comme des hussards en pays ennemi; les amendes enfin étaient prononcées contre des communes entières, et les instructions recommandaient d'en rendre responsables les maires ou syndics toujours choisis parmi les habitants les plus riches, en sorte que, disait une circulaire de 1746, on a plus de prise sur eux.

On ne doit pas s'étonner qu'un pareil état de choses ait amené les plus vives déclamations, à une époque, où, suivant les expressions de Turgot, «les plaintes les moins justes trouvaient un écho,» à plus forte raison celles qui avaient un fondement réel, où mille écrivains exerçaient leur zèle vrai ou simulé contre tout ce qui les choquait, où les esprits s'échauffaient partout et sur tout. Les privilégiés eux-mêmes se

sentaient attaqués par le système de la corvée, qui détournait au profit de l'État un travail considéré comme leur propriété, et bien des gens enveloppaient la construction des routes dans la réprobation dont la corvée était l'objet.

Dans le Traité de la population, qui parut en 1755, le marquis de Mirabeau, l'ami des hommes, appelle la corvée l'abomination de la désolation pour la campagne; dans un autre de ses écrits, il dénonce les travaux des routes comme « l'occasion d'entretenir une armée d'ins«pecteurs généraux, d'ingénieurs en chef et de sous-ingénieurs, dont le «dénombrement serait digne de l'Iliade. »

Mais le marquis de Mirabeau fut laissé bien en arrière dans ses déclamations par le parlement de Toulouse. Ce parlement avait dans son ressort non-seulement le Languedoc, pays d'États qui échappait à l'application de la corvée, mais encore les généralités d'élections d'Auch et de Montauban. S'élevant par des remontrances, en l'année 1756, contre l'impôt du dixième, c'est-à-dire contre la mesure qui frappait tout revenu d'une taxe égale à son dixième, il faisait ressortir la misère des campagnes et l'attribuait surtout à la corvée, dans des termes qui sembleraient empruntés à un pamphlet plutôt qu'à un acte public de la magistrature. «On les tire de la charrue, dit-il des cultivateurs, pour « les employer des mois entiers à la confection des chemins. Traités « plus impitoyablement que des forçats, ils n'ont pas même la nourriature qu'on accorde à ceux-ci..... Les gémissements excités par les « corvées retentissent de toutes parts; ils seraient parvenus jusqu'au « trône, si des voix barbares ne les avaient pas étouffés. Vous saurez, «Sire, qu'il y a des corvées et bientôt il n'y en aura plus. » Le parlement de Toulouse oppose à l'établissement de la corvée l'objection compétente tirée des lois du royaume. « Si la moindre charge publique ne peut <«< avoir lieu sans être établie par édit enregistré, comment une contri«bution forcée de travaux gratuits a-t-elle pu s'introduire sans cette « formalité, complément nécessaire de toute loi?»>

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Enfin, s'élevant contre le système de construction des routes, le parlement dit encore : « Que le tableau de ces malheureuses corvées serait <«touchant! Des travaux ordonnés sans examens, conduits sans règles, « changés, recommencés à vingt fois dans le temps des semailles, de la <«< culture des vignes et de la moisson, les meilleurs fonds envahis, les arbres arrachés, les jardins détruits, les maisons abattues, et cela sans « dédommagement, de grosses contributions exigées en forme d'amendes, des emprisonnements continuels de journaliers et de laboureurs. >> Qu'il y eût eu une grande exagération dans ces plaintes, comme le

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fait remarquer M. Vignon, et qu'elles fussent le reflet de la passion qui animait la magistrature contre le pouvoir administratif, cela peut être aisément admis; mais le fond n'en était que trop vrai; les administrateurs eux-mêmes et les ingénieurs chargés d'appliquer la corvée étaient loin de considérer cette charge comme équitable. Dans un mémoire du 17 octobre 1752, Perronet propose d'apporter au système plusieurs modifications radicales. « L'on n'a épargné, dit-il, ni méthode, «ni soins pour soulager les corvéables. Mais cette façon de faire les <«< chemins paraît vicieuse en soi et sujette à plusieurs inconvénients <«< essentiels. Les journaliers que l'on y emploie, n'ayant aucun bien, sont «<les seuls qui ne retireront aucune utilité des chemins qu'ils font. Le « moyen qui paraît le plus équitable pour faire les chemins gratuitement « est de les imposer en nature aux paroisses, proportionnellement aux facultés d'un chacun, suivant les derniers rôles de dixième, sans « aucune exemption..... Dès ce moment, toutes les plaintes amères « que fait naître la corvée cesseront de la part du peuple. » En marge du manuscrit de Perronet qui se trouve aux archives des travaux publics, on lit cette note: «Le même jour, M. Trudaine a pris connais«sance de ce mémoire; il préférerait que l'on imposât sur tous les biens <«<fonds la somme nécessaire pour les travaux. » On voit par là que Trudaine, forcé, comme intendant général des ponts et chaussées, d'appouver et de faire appliquer le système des corvées, avait au fond une opinion toute différente de ses avis officiels. D'après le journal tenu par Perronet, il aurait dit en effet à l'assemblée générale des ponts et chaussées (séance du 17 mars 1754), «que c'était toujours contre son gré « que l'on employait les corvées, et qu'il voudrait trouver un expédient «<pour que tous les travaux soient payés. » Enfin son opinion ressort bien plus explicitement encore d'une lettre qu'il écrivait, le 26 avril 1768, à l'un de ses amis intimes, intendant de Rouen. Il y raconte comment, en prenant le département des ponts et chaussées, il fit au contrôleur général Orry des représentations très-vives contre le système des corvées, comment il répéta les mêmes objections à tous les successeurs d'Orry, les uns après les autres, et fut toujours obligé de céder devant leur autorité, appuyée de celle du roi.

La lettre se termine par ce passage significatif : « Ce serait excéder « les termes d'une lettre que de vouloir vous exposer ici le système et «les motifs du S' Orry qui ont déterminé ses successeurs à suivre son « avis et le roi à décider en conformité. J'aime mieux, disait-il, leur de<<mander les bras qu'ils ont, que l'argent qu'ils n'ont pas. Si cela se <«< convertit en imposition, le produit viendra au trésor royal; je serai

« le premier à trouver des destinations plus pressées à cet argent. Ou « les chemins ne se feront pas, ou il faudra revenir aux corvées : les <«<exemples de ce qui s'est passé avant et depuis, par rapport aux fonds « très-modiques qui s'imposent pour les ouvrages d'art et les employés, « n'autorisent que trop cette crainte. » Trudaine ajoute: «Cependant je « n'ai jamais pressé MM. les intendants, je les ai toujours laissés les <«< maîtres et les arbitres de ce qu'exigeait la situation des peuples de leur « généralité, parce qu'il ne faut pas, pour leur procurer l'utilité qu'ils « trouvent à avoir de bons chemins, commencer par les accabler d'un «< poids insupportable.»

La plupart des ingénieurs ne se dissimulaient pas d'ailleurs les difficultés présentées dans l'exécution par le système des corvées et par le peu de travail utile que l'on en obtenait. «Tel soin que l'on puisse se donner « pour conduire les corvées, disait Perronet dans le mémoire déja cité « plus haut, l'on sait en général, d'après l'expérience, que l'on ne peut « guère évaluer la journée de corvée pour le progrès de l'ouvrage qu'à « la moitié ou même au tiers de celle que l'on ferait faire à prix d'ar«gent. >> Les mêmes questions préoccupaient également les intendants, et plusieurs d'entre eux essayèrent dans leurs provinces de réformer le système. Parmi les réformes partielles on doit citer comme les plus remarquables celles qui furent mises en pratiques par Orceau de Fontette à Caen et par Turgot à Limoges. La date de la première, 1758, marque même une phase nouvelle dans l'histoire de la corvée.

M. de Fontette, nommé, en 1753, à l'intendance de Caen, était alors un des partisans décidés du travail par corvée, mais, voyant toutes les dispositions prises par lui devenir infructueuses, il proposa au ministre d'imposer les travaux au prorata de la taille et sur le pied de dix sous par livre, à l'imitation de ce qui se faisait dans certains pays d'États tels que la Bretagne. Cette proposition, soumise à l'assemblée des ponts et chaussées, n'y fut pas accueillie favorablement. Trudaine lui-même la rejeta en se fondant sur le motif suivant :

« Une imposition de la moitié de la taille tirerait à conséquence dans <l'esprit du peuple, qui aurait une mesure exacte de son imposition, « dont l'objet, quoique aussi considérable maintenant, est cependant « moins facile à apprécier et moins connu. » Forcé de revenir à la corvée, Fontette prit sur lui d'en modifier complétement l'assiette. Son système consiste à étendre la corvée à toutes les paroisses, mais en réglant la tâche sur les distances, à la proportionner entre les communautés au principal de la taille, et à en prescrire la répartition entre les contribuables d'une même communauté au marc la livre de leur taxe,

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enfin, et c'était le point essentiel, à donner un délai d'exécution trèscourt, au delà duquel tout ce qui restait à faire était achevé, aux frais des paroisses retardataires, par un entrepreneur désigné à l'avance. Ainsi la corvée devenait par le fait, dans le système de Fontette, une contribution pécuniaire dont le poids ne retombait plus exclusivement sur les pauvres. En réduisant la charge de près de moitié, il la répartissait avec plus d'équité. Mais ce système avait deux grands vices; le premier, tort réel, celui d'établir arbitrairement un nouvel impôt; le second, préjudiciable au succès même de la réforme, celui de provoquer des plaintes qui, partant des classes riches, devaient trouver facilement dans les actes de la magistrature un écho passionné. C'est ce qui arriva en effet. La cour des aides de Rouen, par un arrêt en date du 15 juillet 1760, déféra au roi comme illégaux les actes de l'intendant de la généralité de Caen et «fit défense à toute personne de quelque état, qualité et conditions qu'elles soient, à peine de la vie, d'exiger aucuns impôts, levées de contributions ni corvées, soit d'hommes et de leurs <«< chevaux ou harnais sous quelque prétexte que ce puisse être, ni au<«< cunes sommes d'argent pour tenir lieu desdites corvées, sans y avoir « été autorisés par édits, déclarations ou lettres patentes bien et dû«ment enregistrées. » La cour n'attaquait donc pas seulement le système mis en vigueur à Caen, elle s'en prenait à la corvée même. Le parlement, de Rouen, dont cette cour faisait partie, poussa les choses encore plus loin; il prescrivit une enquête sur la conduite de Fontette, et fit très-expresse défense de mettre à exécution l'ordonnance de 1758. Les déclamations auxquelles il se livra dépassèrent en violence celles du parlement de Toulouse. «Les corvées, disait-il, travail d'esclaves qui met la condition des hommes au-dessous de celle des animaux domestiques... des sueurs forcées gratuites et continues, des ouvrages «commencés, détruits, recommencés, détruits encore pour perpétuer « une inspection utile. Voilà Sire, dans la plus exacte vérité, l'effet de <«< ce qu'on appelle corvées. » Le pouvoir royal ne céda pas à ces vives remontrances, qui avaient du reste le tort d'être au moins tardives, puisque le parlement de Rouen, après avoir laissé pratiquer la corvée dans toute sa rigueur pendant plus de vingt ans, s'élevait contre elle au moment même où l'on cherchait à la rendre plus équitable.

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Les actes du parlement furent cassés par arrêt du Conseil d'État; on fit marcher des troupes pour appuyer l'autorité royale, mais bientôt, ébranlé par une nouvelle résistance de la magistrature, le ministère. après des alternatives de fermeté et de faiblesse, abandonna Fontette à ses propres ressources. Trudaine lui conseilla de ne pas s'exposer davan

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