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SÉANCE PUBLIQUE DU 22 AOUT 1871.

DISCOURS D'OUVERTURE

Par M. LECESNE

Président.

MESDAMES, MESSIEURS,

Depuis deux ans, l'Académie n'a pas tenu de séance solennelle; pendant longtemps ses séances particulières ont même cessé. Vous en avez deviné la cause. Les malheurs de la patrie nous faisaient un devoir de rester dans le silence et dans la solitude. Qui aurait pu songer aux distractions de l'esprit, alors que les destinées de la France étaient mises en question ? Qui aurait eu la pensée de célébrer des fêtes littéraires, alors que l'ennemi nous entourait de toutes parts? Maintenant même, ce n'est pas sans un vif sentiment d'hésitation que nous ouvrons les portes de cette enceinte, et que nous reprenons le cours de nos solennités, où jadis se rendait tout ce qui,

dans Arras, se plaît aux jouissances intellectuelles, et où des femmes gracieuses qui, quoiqu'on en ait dit, ne perdent rien à être quelque peu savantes, venaient nous encourager de leur présence et quelquefois de leurs applaudissements.

En nous reportant à ces jours plus heureux, nous nous rappelons, non sans amertume, que chaque année, à pareille époque, c'était pour nous une douce habitude de nous mettre en rapport avec la partie éclairée de la population, de lui dire: voilà à quoi nous avons employé notre temps, jugez si nos efforts ont été stériles, et si nous ne méritons pas mieux que les railleries qui trop souvent atteignent les Académies de province. Alors nous étions heureux et quelque peu fiers de nous-mêmes et, si la mode antique eùt encore subsisté, nous aurions été tentés de nous couronner de fleurs, car

Ces fleurs sur nos têtes

Convenaient autrefois à nos pompeuses fêtes.
Que les temps sont changés !

Oh oui! bien changés! Notre France, que l'on proclamait la première nation du monde, a perdu cette supériorité. Nous qui avions promené notre drapeau vainqueur par toute l'Europe, nous avons vu un drapeau étranger flotter sur les murailles de nos principales villes. A présent encore, les hordes germaniques occupent nos plus belles provinces, et entourent d'un cercle de fer la capitale de notre pays. Il y a peu de jours, elles campaient dans une cité voisine, avec laquelle nous entretenons des relations continuelles.

Est-ce assez d'humiliation, et ne pouvons-nous pas dire, avec le chantre des Messéniennes :

Faut-il, témoins muets, dévorer tant d'outrages?
Faut-il que le Français, l'olivier à la main,
Reste insensible et froid, comme ces Dieux d'airain
Dont on insulte les images?

Aux calamités publiques sont venues se joindre, pour l'Académie, des deuils particuliers. Pendant que notre patrie marchait de désastre en désastre, nous faisions des pertes d'autant plus sensibles qu'elles étaient prématurées. MM. Ledieu, Raffeneau de Lile et d'Héricourt ont laissé dans nos rangs des vides difficiles à combler.

Le docteur Ledieu est mort avant l'âge, victime de son dévouement à sa profession. Quoique n'ayant pas assisté à ces terribles batailles où nos médecins ont rendu de si grands services, et où plusieurs d'entre eux ont succombé à côté des soldats qu'ils secouraient, il peut être compté parmi les martyrs de cette guerre atroce. En effet, n'écoutant que les sentiments de philanthropic dont il avait donné tant de preuves durant sa carrière médicale, il n'avait pu voir, sans en être profondément ému, nos malheureux blessés revenant de pays. lointains dans un dénùment presque absolu, et il leur avait consacré tous ses soins et toutes ses veilles. Il y trouva une fin glorieuse, pareil à Mazet, ce médecin que la peste appela dans les hôpitaux de Barcelone, et qui y périt en faisant bénir le nom français. Ainsi il est tombé au champ d'honneur, et l'Académie doit le citer parmi ses gloires les plus pures, comme dans un régiment on

cite avec orgueil ceux qui ont fait bravement leur devoir.

M. Raffeneau de Lile était désigné, par sa naissance et par ses talents, à figurer parmi les membres de l'Académie d'Arras. Son père, un des ingénieurs les plus distingués du corps des ponts et chaussées, avait eu l'honneurde faire partie de la commission scientifique d'Egypte, et, si vous me permettez ce petit grain de vanité, je rappellerai que c'est au sein de cette commission, et au pied même des Pyramides, qu'il avait renouvelé avec mon père cette amitié solide commencée à la création de l'école polytechnique, et qui devait durer jusqu'au tombeau. Il fut un des fondateurs de cette Académie restaurée, et il en resta un des membres les plus illustres. Son fils se montra, en tous points, digne de ces honorables traditions. S'il ne lui fut pas permis d'entrer dans un de ces corps savants que les autres nations nous envient, il consacra toute sa vie à la science, et jamais il n'oublia les enseignements de sa jeunesse. Aussi, à la tête d'un des principaux établissements industriels de ce pays, il s'attacha surtout à le diriger dans la voie du progrès, et il enrichit son art de perfectionnements dont on lui a tenu grand compte. Ses connaissances industrielles étaient unies à une véritable spécialité agricole : c'est ce qui le désigna à l'honneur de présider la Société d'agriculture du Pas-de-Calais, dans un pays où l'agriculture et l'industrie sont compagnes inséparables. Tant de mérites le recommandaient particulièrement aux suffrages de notre Compagnie : il y entra d'un assentiment unanime, et peu de temps après son élection, il fut élevé aux fonctions de secrétaire-adjoint. Retiré des affaires

commerciales, il se disposait à prendre une part active à nos travaux, lorsqu'une mort inattendue, qui avait eu sa cause dans les fatigues d'une vie si laborieuse, vint l'enlever aux espérances que nous avions fondées sur lui. C'est une séparation que nous regretterons longtemps, car il ne fut pas seulement un homme instruit, il fut encore le meilleur des hommes.

Quant à M. le comte d'Héricourt, son nom est intime-ment uni à celui de notre Académie. Par ses travaux il nous appartient en propre, ainsi qu'à notre histoire locale, dont il élucida les points les plus obscurs, et qu'il rendit pour ainsi dire populaire. Rappeler ces travaux, c'est indiquer tout le chemin parcouru par la génération nouvelle dans la connaissance des choses d'autrefois. Cette connaissance, qui était encore si superficielle au commencement de notre siècle, est parvenue de nos jours à une hauteur qui laisse bien peu à désirer. M. le comte d'Héricourt s'est associé activement à ce mouvement moderne, en ce qui concerne nos contrées de l'Artois. Ce n'est pas son seul titre à notre reconnaissance: il fut aussi, pendant quelque temps, secrétaire-général de cette Académie, et quand sa santé l'obligea à résigner ces pénibles fonctions, il avait mis notre Compagnie en relation avec la plupart des Sociétés savantes de la France et de l'étranger. Sa retraite aurait donc été pour nous une perte irréparable, s'il n'eût été si heureusement remplacé par l'infatigable secrétaire-général que nous possédons actuellement. Pour être juste, l'Académie doit vouer à ces deux hommes une sincère reconnaissance, et les unir dans sa mémoire aux Harduin et aux Enlart de Grandval, dont les noms furent si chers à nos prédécesseurs..

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