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COMPTES RENDUS DES SÉANCES

DE

L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ET BELLES-LETTRES

PENDANT L'ANNÉE 1915

PRÉSIDENCE DE M. ÉDOUARD CHAVANNES

SÉANCE DU 1er JANVIER

(Séance avancée au mercredi 30 décembre 1914,
à cause du premier jour de l'an.)

PRÉSIDENCE DE MM. CHATELAIN ET CHAVANNES.

Le PRÉSIDENT Sortant, M. Émile CHATELAIN, ouvre la séance par l'allocution suivante :

<< Mes chers Confrères,

<«< En la personne de Charles Joret, notre Académie vient de perdre, samedi dernier, son doyen d'âge. Après la cérémonie religieuse, célébrée hier, le corps de notre confrère a été transporté jusqu'en Normandie, et votre Président n'a pas eu la consolation d'exprimer sur sa tombe les regrets de la Compagnie.

« Né à Formigny (Calvados), le 14 octobre 1829, Pierre-LouisCharles-Richard Joret avait fait de solides études classiques au collège de Bayeux, puis au lycée de Caen (aujourd'hui lycée Malherbe) dont il présida le centenaire, en novembre 1904, comme président de l'Association des anciens élèves.

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J'ignore quelles furent les occupations de sa jeunesse jusqu'en 1862. Chargé, dès cette époque, de l'enseignement de la

1915.

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langue allemande au lycée de Chambéry, il alla passer sa licence ès lettres à la Faculté de Grenoble, en 1865, puis il fut reçu à l'agrégation d'allemand au concours de 1866. Il devint alors professeur au lycée de Vanves (1868-70), ensuite au lycée Charlemagne (1870-75).

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Ayant élu domicile à Paris, rue Madame, dans cette rue même où il devait revenir plus tard pour terminer sa vie, il eut la faculté de s'inscrire un des premiers, le 19 novembre 1868, à l'École pratique des Hautes Études, qui venait d'être fondée par Victor Duruy. Il avait déjà à son actif un petit Traité de la déclinaison allemande publié à Chambéry, en 1863, et il avait étudié, au moins en amateur, les littératures de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Italie et de l'Espagne. Il a raconté lui-même ses débuts aux conférences de Gaston Paris, dans la brochure consacrée aux titres de son maître (Aix, 1896), qu'il fit nommer membre d'honneur de l'Académie d'Aix :

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« J'étais germanisant et presque exclusivement, quand, agrégé « et professeur d'allemand dans un lycée de Paris, je vins prendre part à la conférence de l'École des Hautes Études et «suivre les leçons d'un maître plus jeune que moi. J'avais appris l'italien et l'espagnol, mais uniquement en traduisant et en lisant; je voulus acquérir une connaissance scientifique de ces langues, afin, admirez ma simplicité!-si jamais j'avais à les « enseigner, de savoir ce que je devais apprendre aux autres... « C'est ainsi que pendant quatre ans, soit dans la salle exiguë de <«la Sorbonne, soit dans la conférence particulière d'espagnol << ou d'anglo-saxon, faite chez M. Gaston Paris, j'ai pu admirer << l'excellence de sa méthode, la sûreté de ses informations, son « dévouement sans borne à la science en général, mais surtout << aux études romanes. » L'enseignement de Gaston Paris ouvrit à Joret de nouveaux horizons, et de simple littérateur il devint philologue. Il publia bientôt un excellent volume sur Le C dans les langues romanes (1874), qui lui procura le prix Volney en même temps que le titre d'élève diplômé de l'École des Hautes Études.

« Reçu docteur en 1875, par la Faculté des Lettres de Paris, avec deux thèses remarquées : De rhotacismo in indo-europæis ac potissimum in germanicis linguis et Herder et la Renais

sance littéraire en Allemagne, il fut aussitôt appelé à la Faculté des lettres d'Aix, où il enseigna durant vingt-quatre ans (18751899) les littératures étrangères.

<< Pendant plus de cinquante ans, notre confrère n'a cessé de travailler et de produire, sur des questions de philologie, de littérature ou d'histoire, des volumes ou des articles insérés dans la Romania, la Revue critique, les Annales du Midi, les Mémoires de l'Académie de Caen, etc.

«En philologie, je rappellerai brièvement: La loi finale en espagnol (Romania, 1872); Du changement de R en S dans les dialectes français (1876); Les noms de lieu d'origine non romane et la colonisation germanique et scandinave en Normandie (1913), mémoire envoyé au Congrès du Millénaire normand en juin 1911, revu, complété et refondu presque en entier. Mais c'est le parler de sa province natale qui a surtout excité ses recherches; nous le voyons publier successivement un Essai sur le patois normand du Bessin, suivi d'un dictionnaire étymologique (1881); Des caractères et de l'extension du patois normand, étude de phonétique et d'ethnographie (1883); Les dictionnaires du patois normand (1888); des Mélanges de phonétique normande (1894); Caen et Rouen, étude étymologique (Caen, 1895).

<«< En littérature étrangère ou littérature comparée, il faut citer La littérature allemande au XVIIIe siècle dans ses rapports avec la littérature française et avec la littérature anglaise, leçon d'ouverture (Aix, 1876); La Légende de saint Alexis en Allemagne (1881); Des rapports intellectuels et littéraires de la France avec l'Allemagne avant 1789 (1885); Le Comte du Manoir et la cour de Weimar (1896); les Français à la cour de Weimar, 1775-1806 (Rapport sur une mission scientifique en Allemagne, 1899); Madame de Staël et la cour littéraire de Weimar (1900).

« Quand notre confrère a abordé des questions historiques, c'est surtout celles qui intéressent sa province natale ou les provinces méridionales voisines du pays où il enseignait. A part son étude sur La bataille de Formigny, d'après des documents contemporains (1903), qu'il entreprit au moment où allait être inauguré le monument commémoratif de la victoire de 1450, il

s'est surtout occupé de monographies sur des personnages, par exemple: Jean-Baptiste Tavernier, écuyer, baron d'Aubonne, chambellan du Grand-Electeur (1886); le voyageur Tavernier, 1670-1689 (Rev. de géographie, 1889); Pierre et Nicolas Formont, un banquier et un correspondant du Grand-Electeur (Mém. Ac. de Caen, 1890); Houdon et le duc de Weimar Charles-Auguste (Bull. Soc. hist. de Paris, 1896); J. de Séramon, orateur, voyageur, archéologue, historien (1896); Fabri de Peiresc, humaniste, archéologue, naturaliste (conférence faite à Alx, 1894); Stephen Le Paulmier (Bayeux, 1903); Villoison et l'Académie de Marseille (1904); D'Ansse de Villoison et la Provence (1906). A ce dernier savant, on peut dire que Joret a élevé un monument par le volume solide qu'il lui a consacré en 1910 L'helléniste d'Ansse de Villoison et l'hellénisme en France pendant le dernier tiers du XVIII® siècle (Bibliothèque de l'École des Hautes Études, fascicule 182). Il publia encore des lettres inédites de Villoison, soit dans la Revue germanique (1909), soit dans la Revue de philologie (1909). En fait de correspondances inédites, on lui doit aussi la publication de celle de Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, avec Lamoignon de Basville (1883), qu'il avait trouvée dans un manuscrit de la Bibliothèque Méjanes. C'est avec des documents tirés de la même source qu'il rédigea son mémoire sur Basville et l'épiscopat de Languedoc (Annales du Midi, 1894-95); La correspondance de Millin et de Böttiger a fait l'objet d'une lecture. dans la séance publique des cinq Académies du 25 octobre 1902.

« Un goût particulier pour la botanique lui inspira l'idée des livres les plus originaux peut-être qu'il ait composés. Quand, plus que septuagénaire, il fit le voyage de Grèce pour assister au Congrès archéologique d'Athènes (1905), on le voyait, dans ses promenades, recueillir des échantillons de la flore hellénique. Après avoir publié la Flore populaire de la Normandie (1887) et les Jardins de l'ancienne Égypte (1894), il étudia La légende de la rose au moyen âge chez les nations romanes et germaniques (1890), puis La rose dans l'antiquité et au moyen âge, histoire, légendes et symbolisme (1892). On y voit le rôle rempli par la plus belle des fleurs dans la poésie comme dans la pharmacopée des Grecs et des Romains, dans les légendes et la

poésie de l'Orient, dans les légendes chrétiennes et profanes, dans les usages de la vie, dans le culte et dans l'art, jusque dans l'art culinaire. Enfin un grand ouvrage en deux volumes: Les plantes dans l'antiquité et au moyen âge (1897-1904) fut conçu et exécuté sur le même plan, mais la partie relative à l'antiquité seule a paru. Pour l'Égypte, la Chaldée, l'Assyrie, la Judée, la Phénicie, l'Iran et l'Inde, nous connaissons maintenant l'histoire, les usages et les symboles des plantes mentionnées par leurs écrivains.

<< A côté de ces livres qui seront consultés longtemps dans les bibliothèques publiques, il faudrait mentionner d'importants articles, comme: Le Livre des simples inédit de Modène et son auteur (1888); Les incantations botaniques du manuscrit F. 277 de la Bibliothèque de Montpellier (1888); Les recherches botaniques de l'expédition d'Alexandre (Journal des Savants, 1904); La pappa chez Pline et ses équivalents chez Théophraste et Dioscoride (Revue de philologie, 1913).

<< Joret ne dédaignait pas, à l'occasion, de sortir de la pure érudition pour faire une conférence au Cercle Saint-Simon sur la «< Crise agricole » en Normandie (1885) ou traiter, au premier Congrès national contre l'alcoolisme (octobre 1903), la question de l'alcoolisme dans les campagnes ».

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« Il était membre de la Société des Antiquaires de Normandie, associé des Académies d'Aix et de Marseille, correspondant des Académies de Caen et de Rouen. Ses travaux l'avaient désigné à nos suffrages, d'abord pour le titre de correspondant, en 1887, puis pour le fauteuil de membre libre, en remplacement d'Arthur de La Borderie (1901). C'est donc à soixante-douze ans qu'il prit part à nos séances. Il venait d'être admis à la retraite, mais son activité ne faiblissait pas encore; il suivait nos discussions avec un vif intérêt. Ce fut un plaisir pour lui d'être délégué par notre Académie à l'inauguration du monument élevé à Crécy en l'honneur du roi Jean de Luxembourg (1905), comme au Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistorique de Monaco (1906) ou au troisième centenaire de Pierre Corneille à Rouen (1906).

Depuis quatre ou cinq ans, accablé d'infirmités et privé de la vue, il donnait un bel exemple de courage et d'endurance.

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