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examen, et je lui prouvai que de tous ces maux il n'y en avait pas un dont la Providence ne fut disculpée, et qui n'eût sa source dans l'abus que l'homme a fait de ses facul tés plus que dans la nature elle-même. Je le traitai dans cette lettre avec tous les égards, toute la considération, tout le ménagement, et je puis dire avec tout le respect possibles. Cependant, lui connaissant un amour-propre extrêmement irritable, je ne lui envoyai pas cette lettre à lui-même, mais au docteur Tronchin, son médecin et son ami, avec plein pouvoir de la donner ou supprimer, selon ce qu'il trouverait le plus convenable. Tronchin donna la lettre. Voltaire me répondit en peu de lignes qu'étant malade et garde-malade lui-même, il remettait à un autre temps sa réponse, et ne dit pas un mot sur la question. Tronchin, en m'envoyant cette lettre, en joignit une où il marquait peu d'estime pour celui qui la lui avait remise.

Je n'ai jamais publié ni même montré ces deux lettres, n'aimant point à faire parade de ces sortes de petits triomphes; mais elles sont en originaux dans mes recueils (liasse A, nos 20 et 21). Depuis lors, Voltaire a publié cette réponse qu'il m'avait promise, mais qu'il ne m'a pas envoyée. Elle n'est autre que le roman de Candide, dont je ne puis parler, parce que je ne l'ai pas lu.

Toutes ces distractions m'auraient dû guérir radicalement de mes fantasques amours, et c'était peut-être un moyen que le ciel m'offrait d'en prévenir les suites funestes; mais ma mauvaise étoile fut la plus forte, et à peine recommençai-je à sortir, que mon cœur, ma tête et mès pieds reprirent les mêmes routes. Je dis les mêmes, à certains égards; car mes idées, un peu moins exaltees, réstèrent cette fois sur la terre, mais

avec un choix si exquis de tout ce qui pouvait s'y trouver d'aimable en tout genre, que cette élite n'était guère moins chimérique que le monde imaginaire que j'avais abandonné.

Je me figurai l'amour, l'amitié, les deux idoles de mon cœur, sous les plus ravissantes images. Je me plus à les orner de tous les charmes du sexe que j'avais toujours adoré. J'imaginai deux amies plutôt que deux amis, parce que si l'exemple est plus rare, il est aussi plus aimable. Je les douai de deux caractères analogues, mais différents; de deux figures non pas parfaites, mais de mon goût, qu'animaient la bienveillance et la sensibilité. Je fis l'une brune et l'autre blonde, l'une vive et l'autre douce, l'une sage et l'autre faible; mais d'une si touchante faiblesse que la vertu semblait y gagner. Je donnai à l'une des deux un amant dont l'autre fut la tendre amie, et même quelque chose de plus; mais je n'admis ni rivalité, ni querelles, ni jalousie, parce que tout sentiment pénible me coûte à imaginer, et que je ne voulais ternir ce riant tableau par rien qui dégradât la nature. Epris de mes deux charmants modeles, je m'identifiais avec l'amant et l'ami le plus qu'il m'était possible; mais je le fis aimable et jeune, lui donnant au surplus les vertus et les défauts que je me sentais.

Pour placer mes personnages dans un séjour qui leur convînt, je passai successivement en revue les plus beaux lieux que j'eusse vus dans mes voyages. Mais je ne trouvai point de bocage assez frais, point de paysage assez touchant à mon gré. Les vallées de la Thessalie m'auraient pu contenter, si je les avais vues; mais mon imagination, fatiguée à inventer, voulait quelque lieu réel

qui pût lui servir de point d'appui, et me faire illusion sur la réalité des habitants que j'y voulais mettre. Je songeai longtemps aux fles Borromee, dont l'aspect délicieux m'avait transporté; mais j'y trouvai trop d'ornement et d'art pour mes personnages. Il me fallait cependant un lac, et je finis par choisir celui autour duquel mon cœur n'a jamais cessé d'errer. Je me fixai sur la partie des bords de ce lac à laquelle depuis longtemps mes vœux ont placé ma résidence dans le bonheur imaginaire auquel le sort m'a borné. Le lieu natal de ma pauvre maman avait en core pour moi un attrait de prédilection. Le contraste des positions, la richesse et la variété des sites, la magnificence, la majesté de l'ensemble qui ravit les sens, émeut le cœur, éleve l'âme, acheverent de me déterminer, et j'établis à Vevai mes jeunes pupilles. Voilà tout ce que j'imaginai du premier bond; le reste n'y fut ajouté que dans la suite.

Je me bornai longtemps à un plan si vague, parce qu'il suffisait pour remplir mon imagination d'objets agréables, et mon cœur de sentiments dont il aime à se nourrir. Ces fictions, à force de revenir, prirent enfin plus de consistance et se fixèrent dans mon cerveau sous une forme déterminée. Ce fut alors que la fantaisie me prit d'exprimer sur le papier quelques-unes des situations qu'elles m'offraient; et, rappelant tout ce que j'avais senti dans ma jeunesse, de donner ainsi l'essor en quelque sorte au désir d'aimer, que je n'avais pu satisfaire, et dont je mé sentais dévoré.

Je jetai d'abord sur le papier quelques lettres éparses, sans suite et sans liaison, et lorsque je m'avisai de les vouloir coudre, j'y fus Souvent fort embarrassé. Ce qu'il y a de

peu croyable et de très vrai est que les deux premières parties ont été écrites presque en entier de cette maniere, sans que j'eusse aucun plan bien förmé, et même sans prévoir qu'un jour je serais tenté d'en faire un ouvrage en règle. Aussi voit-on que ces deux parties, formées apres coup de matériaux qui n'ont pas été taillés pour la place qu'ils occupent, sont pleines d'un remplissage verbeux, qu'on ne trouve pas dans les autres.

Au plus fort de mes reveries, j'eus une visite de madame d'Houdetot, la première qu'elle m'eût faite en sa vie, mais qui malheureusement ne fut pas la dernière, comme on verra ci-après. La comtesse d'Houdetot était fille de feu M. de Bellegarde, fermier général, sœur de M. d'Epinay et de MM. de Lalive et de la Briche, qui depuis ont été tous deux introducteurs des ambassadeurs. J'ai parlé de la connaissance que je fis avec elle étant fille. Depuis son mariage, je ne la vis qu'aux fêtes de la Chevrette, chez madame d'Epinay, sa belle-sœur. Ayant souvent passé plusieurs jours avec elle, tant à la Chevrette qu'à Epinay, non-seulement je la trouvai toujours très aimable, mais je crus lui voir aussi pour moi de la bienveillance. Elle aimait assez à se promener avec moi; nous étions marcheurs l'un et l'autre, et l'entretien ne tarissait pas entre nous. Cependant je n'allais jamais la voir à Paris quoiqu'elle m'en eût prié et même sollicit plusieurs fois. Ses liaisons avec M. de SaintLambert, avec qui je commençais d'en avoir, me la rendirent encore plus intéressante; et c'était pour m'apporter des nouvelles de cet ami, qui pour lors était, je crois, à Mahon, qu'elle vint me voir à l'Ermitage.

Cette visite eut un peu l'air d'un début de roman. Elle s'égara dans la route. Son co

cher, quittant le chemin qui tournait, voulut traverser en droiture, du moulin de Clairvaux à l'Ermitage: son carrosse s'embourba dans le fond du vallon; elle voulut descendre et faire le reste du trajet à pied. Sa mignonne chaussure fut bientôt percée; elle enfonçait dans la crotte; ses gens eurent toutes les peines du monde à la dégager, et enfin elle arriva à l'Ermitage en bottes, et perçant l'air d'éclats de rire, auxquels je mêlai les miens en la voyant arriver. Il fallut changer de tout; Thérèse y pourvut, et je l'engageai d'oublier la dignité pour faire une collation rustique, dont elle se trouva fort bien. Il était tard, elle resta peu; mais l'entrevue fut si gaie qu'elle y prit goût et parut disposée à revenir. Elle n'exécuta pourtant ce projet que l'année suivante; mais, hélas ! ce retard ne me garantit de rien.

Je passai l'automne à une occupation dont on ne se douterait pas, à la garde du fruit de M. d'Epinay. L'Ermitage était le réservoir des eaux du parc de la Chevrette: il y avait un jardin clos de murs et garni d'espaliers et d'autres arbres, qui donnaient plus de fruits à M. d'Epinay que son potager de la Chevrette, quoiqu'on lui en volât les trois quarts. Pour n'etre pas un hôte absolument inutile, je me chargeai de la direction du jardin et de l'inspection du jardinier. Tout alla bien jusqu'au temps des fruits; mais à mesure qu'ils mûrissaient, je les voyais disparaître, sans savoir ce qu'ils étaient devenus. Le jardinier m'assura que c'étaient les loirs qui mageaient tout. Je fis la guerre aux loirs, j'en détruisis beaucoup, et le fruit n'en disparaissait pas moins. Je guettai si bien, qu'enfin je trouvai que le jardinier lui-même était le grand loir. Il logeait à Montmorency, d'où il venait les nuits, avec sa femme et ses en

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