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du désordre dans un ménage: le mari, sachant que je le voyais, m'avait écrit. Je n'avais omis aucun soin pour ramener la jeune femme à la vertu, et Sauttern à son devoir. Quand je les croyais parfaitement détachés l'un de l'autre, ils s'étaient rapprochés, et le mari même eut la complaisance de reprendre le jeune homme dans sa maison; dès lors je n'eus plus rien à dire. J'appris que le prétendu baron m'en avait imposé par un tas de mensonges. Il ne s'appelait point Sauttern, il s'appelait Sauttersheim. A l'égard du titre de baron qu'on lui donnait en Suisse, je ne pouvais le lui reprocher, parce qu'il ne l'avait jamais pris mais je ne doute pas qu'il ne fût bien gentilhomme; et milord maréchal, qui se connaissait en hommes, et qui avait été dans son pays, l'a toujours regardé et traité comme tel.

Sitôt qu'il fut parti, la servante de l'auberge où il mangeait à Motiers se déclara grosse de son fait. C'était une vilaine salope, et Sauttern, généralement estimé et considéré dans tout le pays par sa conduite et se mœurs honnêtes, se piquait si fort de propreté, que cette impudence choqua tout le monde. Les plus aimables personnes du pays, qui lui avaient inutilement prodigué feurs agaceries, étaient furieuses: j'étais outré d'indignation. Je fis tous mes efforts pour faire arrêter cette effrontée, offrant de payer tous les frais et de cautionner Sauttersheim. Je lui écrivis, dans la forte persuasion nonseulement que cette grossesse n'était pas de son fait, mais qu'elle était feinte, et que tout cela n'était qu'un jeu joué par ses ennemis et les miens. Je voulais qu'il revint dans le pays confondre cette coquine et ceux qui la faisaient parler. Je fus supris de la mollesse de sa réponse. Il écrivit au pasteur, dont la

salope était paroissienne, et fit en sorte d'assoupir l'affaire: ce que voyant, je cessai de m'en mêler, fort étonné qu'un homme aussi crapuleux eût pu être assez maître de luimême pour m'en imposer par sa réserve dans la plus intime familiaritě.

De Strasbourg, Sauttersheim fut à Paris chercher fortune, et n'y trouva que de la misère. Il m'écrivit en disant son péccavi. Mes entrailles s'émurent au souvenir de notre ancienne amitié; je lui envoyai quelque argent. L'année suivante, à mon passage à Paris, je le revis à peu près dans le même état, mais grand ami de M. Laliaud, sans que j'aie pu savoir d'où lui venait cette connaissance, et si elle était ancienne ou nouvelle. Deux ans après, Sauttersheim retourna à Strasbourg, d'où il m'écrivit et où il est mort. Voilà l'histoire abrégée de nos liaisons, et ce que je sais de ses aventures: mais, en déplorant le sort de ce malheureux jeune homme, je ne cesserai jamais de croire qu'il était bien né, et que tout le désordre de sa conduite fut l'effet des situations où il s'est trouvé.

Telles furent les acquisitions que je fis à Motiers, en fait de liaisons et de connaissances. Qu'il en aurait fallu de pareilles pour compenser les cruelles pertes que je fis dans le même temps!

La première fut celle de M. de Luxembourg, qui, après avoir été tourmenté longtemps par les médecins, fut enfin leur victime, traité de la goutte, qu'ils ne voulurent point reconnaître, comme d'un mal qu'ils pouvaient guérir.

Si l'on doit s'en rapporter là-dessus à la

Clation que m'en écrivit La Roche, l'homme confiance de madame la maréchale, c'est

par cet exemple, aussi cruel que mémo

rable, qu'il faut déplorer les misères de la grandeur.

La perte de ce bon seigneur me fut d'autant plus plus sensible que c'était le seul vrai ami que j'eusse en France; et la douceur de son caractère était telle, qu'elle m'avait fait oublier tout à fait son rang, pour m'attacher à lui comme à mon égal. Nos liaisons ne cessèrent point par ma retraite, et il continua de m'écrire comme auparavant. Je crus pourtant remarquer que l'absence ou mon malheur avait attiédi son affection. Il est bien difficile qu'un courtisan garde le même attachement pour quelqu'un qu'il sait être dans la disgrâce des puissances. J'ai jugé d'ailleurs que le grand ascendant qu'avait sur lui madame de Luxembourg ne m'avait pas été favorable, et qu'elle avait profité de mon éloignement pour me nuire dans son esprit. Pour elle, malgré quelques démonstrations affectées et toujours plus rares, elle cacha moins de jour en jour son changement à mon égard. Elle m'écrivit quatre ou cinq fois en Suisse, de temps à autre, après quoi elle ne m'écrivit plus du tout; et if fallait toute la prévention, toute la confiance, tout l'aveuglement où j'étais encore, pour ne pas voir en elle plus que du refroidissement envers moi.

Le libraire Guy, associé de Duchesne, qui depuis moi fréquentait beaucoup l'hôtel de Luxembourg, m'écrivit que j'étais sur le testament de M. le maréchal. Il n'y avait rien là que de très naturel et de très croyable; aussi je n'en doutai pas. Cela me fit délibérer en moi-même_comment je me comporterais sur le legs. Tout bien pesé, je résolus de l'accepter, quel qu'il pût être, et de rendre cet honneur à un honnête homme qui, dans un rang où l'amitié ne pénètre guère, en

avait eu une véritable pour moi. J'ai été dispensé de ce devoir, n'ayant plus entendu parler de ce legs vrai ou faux; et en verité j'aurais été peine de blesser une des grandes maximes de ma morale en profitant de quelque chose à la mort de quelqu'un qui m'avait été cher. Durant la dernière maladie de notre ami Mussard, Lenieps me proposa de profiter de la sensibilité qu'il marquait à nos soins, pour lui insinuer quelques dispositions en notre faveur. « Ah! cher Lénieps, lui dis-je, ne souillons pas par des idees d'intérêt les tristes mais sacrés devoirs que nous rendons à notre ami mourant. J'espère n'etre jamais dans le testament de personne, et jamais du moins dans celui d'aucun de mes amis. >> Ce fut à peu pres dans ce même temps-ci que milord marechal me parla du sien, de ce qu'il avait dessein d'y faire pour moi, et que je lui fis la réponse dont j'ai parlé dans ma première partie.

Ma seconde perte, plus sensible encore et bien plus irréparable, fut celle de la meilleure des femmes et des mères, qui déjà chargée d'ans et surchargée d'infirmités et de misères, quitta cette vallée de larmes pour passer dans le séjour des bons, où l'aimable souvenir du bien qu'on a fait ici-bas en fait l'éternelle récompense. Allez, âme douce et bienfaisante, auprès des Fénelon, des Bernex, des Catinat, et de ceux qui, dans un état plus humble, ont ouvert comme eux leurs cours à la charité véritable; allez goûter le fruit de la vôtre, et préparer à votre éleve la place qu'il espère un jour occuper près de vous! Heureuse, dans vos infortunes, que le ciel en les terminant vous ait épargné le cruel spectacle des siennes Craignant de contrister son cœur par le récit de mes premiers désastres, je ne lui avais point écrit depuis mon

arrivée en Suisse; mais j'écrivis à M. de Conzié pour m'informer d'elle, et ce fut lui qui m'apprit qu'elle avait cessé de soulager ceux qui souffraient, et de souffrir elle-même. Bientôt je cesserai de souffrir aussi; mais si je croyais ne la pas revoir dans l'autre vie, ma faible imagination se refuserait à l'idée du bonheur parfait que je m'y pro

mets.

Ma troisième perte et la dernière, car depuis lors il ne m'est plus resté d'amis à perdre, fut celle de milord maréchal. Il ne mourut pas, mais, las de servir les ingrats, il quitta Neuchâtel, et depuis lors je ne l'ai pas revu. Il vit et me survivra, je l'espère: il vit, et, grâce à lui, tous mes attachements né sont pas rompus sur la terre: il y reste encore un homme digne de mon amitié; car son vrai prix est encore plus dans celle qu'on sent que dans celle qu'on inspire; mais j'ai perdu les douceurs que la sienne me prodiguait, et je ne peux plus le mettre qu'au rang de ceux que j'aime encore, mais avec qui je n'ai plus de liaison. Il allait en Angleterre recevoir sa grâce du roi et racheter ses biens jadis confisqués. Nous ne nous séparâmes point sans des projets de réunion, qui paraissaient presque aussi doux pour lui que pour moi. Il voulait se fixer à son château de Keith-Hall, près d'Aberdeen, et je devais m'y rendre auprès de lui; mais ce projet me flattait trop pour que j'en pusse esperer le succes. Il ne resta point en Ecosse. Les tendres sollicitations du roi de Prusse le rappelerent à Berlin, et l'on verra bientôt comment je fus empêché de l'y aller joindre.

Avant son départ, prévoyant l'orage que l'on commençait à susciter contre moi, il m'envoya de son propre mouvement des lettres de naturalité qui semblaient être une

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