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dame, en m'insinuant que cela pourrait m'être utile. Cette proposition m'indigna d'autant plus, que je vis bien qu'il ne la faisait pas de son chef, sachant que cet homme, nul par lui-même, ne pense et n'agit que par f'impulsion d'autrui. Je sais trop peu me contraindre pour avoir pu lui cacher mon dédain pour sa proposition, ni à personne mon peu de penchant pour la favorite; elle le connaissait, j'en étais sûr, et tout cela mêlait mon intérêt propre à mon inclination naturelle, dans les vœux que je faisais pour M. de Choiseul. Prévenu d'estime pour ses talents, qui étaient tout ce que je connaissais de lui, plein de reconnaissance pour sa bonne volonté, ignorant d'ailleurs totalement dans ma retraite ses goûts et sa manière de vivre, je le regardais d'avance comme le vengeur du public et le mien, et mettant alors une dernière main au Contrat social, j'y marquai, dans un seul trait, ce que je pensais des précédents ministères, et de celui qui commençait à les éclipser. Je manquai, dans cette occasion, à ma plus constante maxime; et, de plus, je ne songeai pas que, quand on veut louer ou blâmer fortement dans un même article, sans nommer les gens, il faut tellement approprier la louange à ceux qu'elle regarde, que le plus ombrageux amour-propre ne puisse y trouver de quiproquo. J'étais là-dessus dans une si folle sécurité, qu'il ne me vint pas même à l'esprit que quelqu'un pût prendre le change. On verra bientôt si j'eus raison.

Une de mes chances était d'avoir toujours dans mes liaisons des femmes auteurs. Je croyais au moins, parmi les grands, éviter cette chance. Point du tout: elle m'y suivit encore. Madame de Luxembourg ne fut pourtant jamais, que je sache, atteinte de cette

manie; mais madame la comtesse de Boufflers le fut. Elle fit une tragédie en prose, qui fut d'abord lue, promenée, et prônée dans la société de M. le prince de Conti, et sur laquelle, non contente de tant d'éloges, elle voulut aussi me consulter pour avoir le mien. Elle l'eut, mais modéré, tel que le méritait l'ouvrage. Elle eut, de plus, l'avertissement que je crus lui devoir, que sa pièce, intitulée l'Esclave généreux, avait un très grand rapport à une pièce anglaise, assez peu connue, mais pourtant traduite, intitulée Oroonoko. Madame de Boufflers me remercia de l'avis, en m'assurant toutefois que sa pièce ne ressemblait point du tout à l'autre. Je n'ai jamais parlé de ce plagiat à personne au monde qu'à elle seule, et cela pour remplir un devoir qu'elle m'avait impose; cela ne m'a pas empêché de me rappeler souvent depuis lors le sort de celui que remplit Gil Blas près de l'archevêque prédicateur.

Outre l'abbé de Boufflers, qui ne m'aimait pas; outre madame de Boufflers, auprès de faquelle j'avais des torts que jamais les femmes ni les auteurs ne pardonnent, tous les autres amis de madame la maréchale m'ont toujours paru peu disposés à être des miens, entre autres M. le président Hénault, lequel, enrôlé parmi les auteurs, n'était pas exempt de leurs défauts; entre autres aussi madame du Deffand et mademoiselle de Lespinasse, toutes deux en grande liaison avec Voltaire, et intimes amies de d'Alembert, avec lequel la dernière a même fini par vivre, s'entend en tout bien et en tout honneur; et cela ne peut même s'entendre autrement. J'avais d'abord commencé par m'intéresser fort à madame du Deffand, que la perte de ses yeux faisait aux miens un objet de commisération mais sa manière de vivre, si con

traire à la mienne, que l'heure du lever de l'un était presque celle du coucher de l'autre, sa passion sans bornes pour le petit bel esprit, l'importance qu'elle donnait, soit en bien, soit en mal, aux moindres torche-culs qui paraissaient, le despotisme et l'empor tement de ses oracles, son engouement outré pour ou contre toutes choses, qui ne lui permettait de parler de rien qu'avec des convulsions, ses préjugés incroyables, son invincible obstination, l'enthousiasme de déraison où la portait l'opiniâtreté de ses jugements passionnés, tout cela me rebuta bientôt des soins que je voulais lui rendre. Je la négligeai; elle s'en aperçut: c'en fut assez pour la mettre en fureur, et quoique je sentisse assez combien une femme de ce caractère pouvait être à craindre, j'aimais mieux encore m'exposer au fléau de sa haine qu'à celui de son amitié.

Ce n'était pas assez d'avoir si peu d'amis dans la société de madame de Luxembourg, si je n'avais des ennemis dans sa famille. Je n'en eus qu'un, mais qui, par la position où je me trouve aujourd'hui, en vaut cent. Ce n'était assurément pas M. le duc de Villeroy, son frère; car non-seulement il m'était venu voir, mais il m'avait invité plusieurs fois d'aller à Villeroy; et comme j'avais répondu à cette invitation avec autant de respect et d'honnêté qu'il m'avait été possible, partant de cette réponse vague comme d'un consentement, il avait arrangé avec M. et madame de Luxembourg un voyage d'une quinzaine de jours dont je devais ètre, et qui me fut proposé. Comme les soins qu'exigeait ma santé ne me permettaientpas alors de me déplacer sans risque, je priai M. de Luxembourg de vouloir bien me dégager. On peut voir par sa réponse (liasse D. no 3) que cela

se fit de la meilleure grâce du monde, et M. le duc de Villeroy ne m'en témoigua pas moins de bonté qu'auparavant. Son neveu et son héritier, le jeune marquis de Villeroy, ne participa pas à la bienveillance dont m'nonorait son oncle, ni aussi, je l'avoue, au respect que j'avais pour lui. Ses airs éventės me le rendirent insupportable, et mon air froid m'attira son aversion. Il fit même, un soir à table, une incartade dont je me tirai mal, parce que je suis bête, sans aucune présence d'esprit, et que la colère, au lieu d'aiguiser le peu que j'en ai, me l'ôte. J'avais un chien qu'on m'avait donné tout jeune presque à mon arrivée à l'Ermitage, et que j'avais alors appelé Duc. Ce chien, non beau mais rare en son espèce, duquel j'avais fait mon compagnon, mon ami, et qui certainenement méritait mieux ce titre que la plupart de ceux qui l'ont pris, était devenu céfèbre au château de Montmorency, par son naturel aimant, sensible, et par l'attachement que nous avions l'un pour l'autre ; mais par une pusillanimité fort sotte, j'avais changé son nom en celui de Turc, comme s'il n'y avait pas des multitudes de chiens qui s'appellent Marques, sans qu'aucun marquis s'en fâche. Le marquis de Villeroy, qui sut ce changement de nom, me poussa tellement là-dessus, que je fus obligé de conter en pleine table ce que j'avais fait. Ce qu'il y avait d'offensant pour le nom de duc, dans cette histoire, n'était pas tant de le lui avoir donné que de le lui avoir ôté. Le pis fut qu'il y avait là plusieurs ducs; M. de Luxembourg l'était, son fils l'était. Le marquis de Villeroy, fait pour le devenir, et qui l'est aujourd'hui, jouit avec une cruelle joie de l'embarras où il m'avait mis, et de l'effet qu'avait produit cet embarras. On m'assura le lende

main que sa tante l'avait très vivement tance là-dessus; et l'on peut juger si cette réprimande, en la supposant réelle, a dû beaucoup raccommoder mes affaires auprès de lui. Je n'avais pour appui contre tout cela, tant à l'hôtel de Luxembourg qu'au Temple, que le seul chevalier de Lorenzy, qui rit profession d'être mon ami; mais il était encore plus de d'Alembert, à l'ombre duquel il passait chez les femmes pour un grand géomètre. Il était d'ailleurs le sigisbée, ou plutôt le complaisant de madame la comtesse de Boufflers, tres amie elle-même de d'Alembert, et le chevalier de Lorenzy n'avait d'existence et ne pensait que par elle. Ainsi, loin que j'eusse au dehors quelque contre-poids à mon ineptie pour me soutenir auprès de madame de Luxembourg, tout ce qui l'approchait semblait concourir à me nuire dans son esprit. Cependant, outre l'Emile dont elle avait voulu se charger, elle me donna dans le même temps une autre marque d'intérêt et de bienveillance qui me fit croire que, même en s'ennuyant de moi, elle me conservait et me conserverait toujours l'amitié qu'elle m'avait tant de fois promise pour toute la vie.

Sitôt que j'avais cru pouvoir compter sur ce sentiment de sa part, j'avais commencé par soulager mon cœur auprès d'elle de l'aveu de toutes mes fautes; ayant pour maxime inviolable, avec mes amis, de me montrer à leurs yeux exactement tel que je suis, ni meilleur, ni pire. Je lui avais déclaré mes liaisons avec Thérèse, et tout ce qui en était résulté, sans omettre de quelle façon j'avais disposé de mes enfants. Elle avait reçu mes confessions très bien, trop bien meme, en m'épar gnant les censures que je méritais; et ce qui m'émut surtout vivement fut de voir les bontés qu'elle prodiguait à Thérèse, lui faisant

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