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peine de venir à Montmorency pour me tranquilliser: il en vint à bout; et ma parfaite confiance en sa droiture l'ayant emporté sur l'égarement de ma pauvre tete, rendit efficace tout ce qu'il fit pour m'en ramener, Après ce qu'il avait vu de mes angoisses et de mon délire, il etait naturel qu'il me trouvât tres à plaindre: aussi fit-il. Les propos incessamment rebattus de la cabale philosophique qui l'entourait lui revinrent à l'esprit. Quand j'allai vivre à l'Ermitage, ils publiè rent, comme je l'ai déjà dit, que je n'y tiendrais pas longtemps. Quand ils virent que je persévérais, ils dirent que c'était par obstination, par orgueil, par honte de m'en dédire; mais que je m'y ennuyais a périr, et que j'y vivais très malheureux. M. de Malesherbes le crut et me l'écrivit; sensible à cette erreur dans un homme pour qui j'avais tant d'estime, je lui écrivis quatre lettres consécutives, où, lui exposant les vrais motifs de ma conduite, je lui décrivis fidèlement mes goûts, mes penchants, mon caractère, et tout ce qui se passait dans mon cœur. Ces quatre lettres, faites sans brouillon, rapidement, à traits de plume, et sans même avoir été relues, sont peut-être la seule chose que j'aie écrite avec facilité dans tou e ma vie; ce qui est bien étonnant au milieu de mes souffrances et de l'extrême abattement où j'étais. Je gémissais, en me sentant défaillir, de penser que je laissais dans l'esprit des honnêtes gens une opinion de moi si peu juste; et, par l'esquisse tracée à la hâte dans ces quatre lettres, je tâchais de suppléer en quelque sorte aux Mémoires que javais projetes. Ces lettres, qui plurent à M. de Malesherbes, et qu'il montra dans Paris, sont en quelque façon le sommaire de ce que j'expose ici plus en détail, et méri

tent, à ce titre, d'être conservées. On trouvera parmi mes papiers la copie qu'il en fit faire à ma priere, et qu'il m'envoya quelques années après.

La seule chose qui m'affligeait désormais dans l'opinion de ma mort prochaine était de n'avoir aucun homme lettré de confiance, entre les mains duquel je pusse déposer mes papiers, pour en faire après moi le triage. Depuis mon voyage de Geneve, je m'étais lié d'amitié avec Moultou; j'avais de l'inclination pour ce jeune homme, et j'aurais désiré qu'il vînt me fermer les yeux. Je lui marquai ce désir, et je crois qu'il aurait fait avec plaisir cet acte d'humanité, si ses affaires et sa famille le lui eussent permis. Privé de cette consolation, je voulus du moins lui marquer ma confiance, en lui envoyant ma Profession de foi du Vicaire avant la publication. Il en fut content; mais il ne me parut pas dans sa réponse partager la sécurité avec laquelle j'en attendais pour lors l'effet. Il désira d'avoir de moi quelque morceau que n'eût personne autre. Je lui envoyai une oraison funebre du feu duc d'Orléans, que j'avais faite pour l'abbé Darty, et qui ne fut pas prononcée, parce que, contre son attente, ce ne fut pas lui qui en fut charge.

L'impression, après avoir été reprise, se continua, s'acheva même assez tranquillement, et j'y remarquai ceci de singulier, qu'après les cartons qu'on avait séverement exigés pour les deux premiers volumes, on passa les deux derniers sans rien dire, et sans que leur contenu fit aucun obstacle à sa publication. J'eus pourtant encore quelque inquietude que je ne dois pas passer Sous silence. Apres avoir eu peur des jesuites, j'eus peur des jansénistes et des philosophes. Ennemi de tout ce qui s'appelle parti,

faction, cabale, je n'ai jamais rien attendu de bon des gens qui en sont. Les commères avaient, depuis un temps, quitté leur ancienne demeure, et s'étaient établis tout à côté de moi en sorte que de leur chambre on entendait tout ce qui se disait dans la mienne et sur ma terrasse, et que de leur jardin on pouvait très aisément escalader le petit mur qui le séparait de mon donjon. J'avais fait de ce donjon mon cabinet de travail, en sorte que j'y avais une table couverte d'épreuves et de feuilles de l'Emile et du Contrat social; et brochant ces feuilles à mesure qu'on me les envoyait, j'avais là to mes volumes longtems avant qu'on ne les publiât. Mon étourderie, ma négligence, ma confiance en M. Mathas, dans le jardin duquel j'étais clos, faisaient que souvent, oubliant de fermer le soir mon donjon, je le trouvais le matin tout ouvert; ce qui ne m'eût guère inquiété, si je n'avais cru remarquer du dérangement dans mes papiers. Après avoir fait plusieurs fois cette remarque, je devins plus soigneux de fermer le donjon. La serrure était mauvaise, la clef ne fermait qu'à demi-tour. Devenu plus attentit, je trouvai un plus grand dérangement encore que quand je laissais tout ouvert. Enfin, un de mes volumes se trouva éclipsé pendant un jour et deux nuits, sans qu'il me fût possible de savoir ce qu'il était devenu jusqu'au matin du troisième jour, que je le retrouvai sur ma table. Je n'eus ni n'ai jamais eu de soupçons sur M. Mathas, ui sur son neveu, M. Dumoulin, sachant qu'ils m'aimaient l'un et l'autre, et prenant en eux toute confiance. Je commençais d'en avoir moins dans les commères. Je savais que, quoique jansénistes, ils avaient quelque liaison avec d'Alembert et logeaient dans la même

maison. Cela me donna quelque inquiétude et me rendit plus attentif. Je retirai mes papiers dans ma chambre, et cessai tout à fait de voir ces gens-là, ayant su d'ailleurs qu'ils avaient fait parade, dans plusieurs maisons, du premier volume de l'Emile que j'avais eu l'imprudence de leur prêter. Quoiqu'ils continuassent d'être mes voisins jusqu'à mon départ, je n'ai plus eu de communication avec eux depuis lors.

Le Contrat social parut un mois ou deux avant l'Emile. Rey, dont j'avais toujours exigé qu'il n'introduirait jamais furtivement en France aucun de mes livres, s'adressa au magistrat pour obtenir la permission de faire entrer celui-ci par Rouen, où il fit par mer son envoi. Rey n'eut aucune réponse : ses ballots restèrent à Rouen plusieurs mois, au bout desquels on les lui renvoya, après avoir tenté de les confisquer; mais il fit tant de bruit qu'on les lui rendit. Des curieux en tirèrent d'Amsterdam quelques exemplaires qui circulèrent avec peu de bruit. Mauléon, qui en avait ouï parler, et qui même en avait vu quelque chose, m'en parla d'un ton mystérieux qui me surprit, et qui m'eût inquiété même, sí, certain d'etre en règle à tous égards et de n'avoir nul reproche à me faire, je ne m'étais tranquillisé par ma grande maxime. Je ne doutais pas même que M. de Choiseul, déjà bien disposé pour moi, et sensible à l'éloge que mon estime pour lui m'en avait fait faire dans cet ouvrage, ne me soutînt en cette occasion contre la malveillance de madame de Pompadour.

J'avais assurément lieu de compter alors, autant que jamais, sur les bontés de M. de Luxembourg et sur son appui dans le besoin, car jamais il ne me donna de marques d'amitié ni plus fréquentes, ni plus touchantes.

Au voyage de Pâques, mon triste état ne me permettant pas d'aller au château, il ne manqua pas un seul jour de me venir voir; et enfin, me voyant souffrir sans relâche, il fit tant qu'il me détermina à voir le frère Côme, l'envoya chercher, me l'amena luimême, et eut le courage rare certes et méritoire dans un grand seigneur, de rester chez moi durant l'opération, qui fut cruelle et longue. Il n'était pourtant question que d'être sondé; mais je n'avais jamais pu l'être, même par Morand, qui s'y prit à plusieurs fois, et toujours sans succes. Le frère Côme, qui avait la main d'une adresse et d'une légèreté sans égale, vint a bout enfin d'introduire une tres petite algalie, après m'avoir beaucoup fait souffrir pendant plus de deux heures, durant lesquelles je m'efforçai de retenir les plaintes, pour ne pas dechirer le cœur sensible du bon maréchal. Au premier examen, le frère Côme crut trouver une grosse pierre, et me le dit; au second, il ne la trouva plus. Apres avoir recommencé une seconde et une troisieme fois, avec un soin et une exactitude qui me firent trouver le temps fort long, il déclara qu'il n'y avait point de pierre, mais que la prostate était squirreuse et d'une grosseur surnaturelle; il trouva la vessie grande et en bon état, et finit par me déclarer que je souffrirais beaucoup, et que je vivrais longtemps. Si la seconde prédiction s'accomplit aussi bien que la première, mes maux ne sont pas prets a finir.

C'est ainsi qu'apres avoir été traité successivement, pendant tant d'années, de vingt maux que je n'avais pas, je finis par savoir que ma maladie, incurable sans être mortelle, durerait autant que moi. Mon imagination, réprimée par cette connaissance, ne me fit plus voir en perspective ane mort

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