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papier. Trois semaines après, milord lui renvoya le rescrit qu'il avait demandé, expédié par le ministre et signé du roi, et cela, sans m'avoir jamais voulu dire ni répondre un seul mot, ni à lui non plus, sur cette affaire, dont je crus qu'il ne voulait pas se charger. Je voudrais ne pas cesser de parler de George Keith: c'est de lui que me viennent mes derniers souvenirs heureux; tout le reste de ma vie n'a plus été qu'afflictions et serrements de cœur. La mémoire en est si triste, et m'en vient si confusément, qu'il ne m'est pas possible de mettre aucun ordre dans mes récits je serai forcé désormais de les arranger au hasard et comme ils se présenteront.

Je ne tardai pas d'être tiré d'inquiétude sur mon asile par la réponse du roi à milord maréchal, en qui, comme on peut croire, j'avais trouvé un bon avocat. Non seulement Sa Majesté approuva ce qu'il avait fait, mais elle le chargea, car il faut tout dire, de me donner douze louis. Le bon milord, embarrassé d'une pareille commission, et ne sachant comment s'en acquitter honnêtement, tâcha d'en atténuer l'insulte, en transformant cet argent en nature de provisions, et me marquant qu'il avait ordre de me fournir du. bois et du charbon pour commencer mon petit ménage; il ajouta meme, et peut-être de son chef, que le roi me ferait volontiers bâtir une petite maison à ma fantaisie, si j'en voulais choisir l'emplacement. Cette derniere offre me toucha fort, et me fit oublier la mesquinerie de l'autre. Sans accepter aucune des deux, je regardai Fredéric comme mon bienfaiteur et mon protecteur, et je m'attachai si sincèrement à lui, que je pris des lors autant d'intérêt à sa gloire que j'avais trouvé jusqu'alors d'injustice à ses succes. A la paix qu'il fit peu de temps après, je témoi

gnai ma joie par une illumination de très bon goût : c'était un cordon de guirlandes, dont j'ornai la maison que j'habitais, et où j'eus, il est vrai, la fierté vindicative de depenser presque autant d'argent qu'il m'en avait voulu donner. La paix conclue, je crus que, sa gloire militaire et politique etant au comble, il allait s'en donner une d'une autre espèce, en revivifiant ses Etats, en y faisant régner le cummerce, l'agriculture, en y creant un nouveau sol, en le couvrant d'un nouveau peuple, en maintenant la paix chez tous ses voisins, en se faisant l'arbitre de l'Europe, après en avoir été la terreur. Il pouvait sans risque poser l'épée, bien sûr qu'on ne l'obligerait pas à la reprendre. Voyant qu'il ne désarmait pas, je craignis qu'il ne profitât mal de ses avantages, et qu'il ne fut grand qu'à demi. J'osai lui écrire à ce sujet, et, prenant le ton famiHier, fait pour plaire aux hommes de sa trempe, porter jusqu'à lui cette sainte voix de la vérité, que si peu de rois sont faits pour entendre. Ce ne fut qu'en secret et de moi à lui que je pris cette liberté. Je n'en fis même pas participant milord maréchal, et je lui envoyai ma lettre au roi toute cachetée. Milord envoya la lettre sans s'informer de son contenu. Le roi n'y fit aucune réponse; et quelque temps apres, milord maréchal étant allé a Berlin, il lui dit seulement que je l'avais bien grondé. Je compris par la que ma lettre avait été mal reçue, et que la franchise de mon zèle avait passe pour la rusticité d'un pédant. Dans le fond, cela pouvait très bien être; peut-être ne dis-je pas ce qu'il fallait dire, et ne pris-je pas le ton qu'il fallait prendre. Je ne puis répondre que du sentiment qui m'avait mis la plume à la main.

Peu de temps apres mon établissement à Motiers-Travers, ayant toutes les assurances

possibles qu'on m'y laisserait tranquille, je pris l'habit arménien. Ce n'était pas une idée nouvelle: elle m'était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à rester dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de l'habit long. La commodité d'un tailleur arménien, qui venait souvent voir un parent qu'il avait à Montmorency, me tenta d'en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au risque du qu'en dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant, avant d'adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l'avis de madame de Luxembourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-robe arménienne; mais l'orage excité contre moi m'en fit remettre l'usage à des temps plus tranquilles, et ce ne fut que quelques mois après que, forcé par de nouvelles attaques de recourir aux sondes, je crus pouvoir, sans aucun risque, prendre ce nouvel habillement à Motiers, surtout après avoir consulté le pasteur du lieu, qui me dit que je pouvais le porter au temple même sans scandale. Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la ceinture; et, après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis point d'inconvénient à le porter chez milord maréchal. Son Excellence, me voyant ainsi vêtu, me dit pour tout compliment: Salamaleki; après quoi, tout fut fini, et je ne portaí plus d'autre habit.

Ayant quitté tout à fait la littérature, je ne songeai plus qu'à mener une vie tranquille et douce, autant qu'il dépendrait de moi. Seul je n'ai jamais connu l'ennui, même dans le plus parfait désœuvrement: mon imagination, remplissant tous les vides, suf

fit seule pour m'occuper. Il n'y a que le bavardage inactif de chambre, assis les uns vis-à-vis des autres à ne mouvoir que la langue, que jamais je n'ai pu supporter. Quand on marche, qu'on se promène, encore passe; les pieds et les yeux font au moins quelque chose; mais rester là, les bras croisés à parler du temps qu'il fait et des mouches qui volent, ou, qui pis est, à s'entrefaire des compliments, cela m'ést supplice insupportable. Je m'avisai, pour ne pas vivre en sauvage, d'apprendre à faire des lacets. Je portais mon coussin dans mes visites, ou j'allais comme les femmes travailler à ma porte et causer avec les passants. Cela me faisait supporter l'inanité du babillage, et passer mon temps sans ennui chez mes voisines, dont plusieurs étaient assez aimables, et ne manquaient pas d'esprit. Une, entre autres, appelée Isabelle d'Ivernois, fille du procureur général de Neuchâtel, me parut assez estimable pour me lier avec elle d'une amitié particulière dont elle ne s'est pas mal trouvée par les conseils utiles que jo lui ai donnés, et par les soins que je lui ai rendus dans des occasions essentielles; de sorte que maintenant, digne et vertueuse mère de famille, elle me doit peut-être sa raison, son mari, sa vie et son bonheur. De mon côté, je lui dois des consolations très douces, et surtout durant un bien triste hiver, où, dans le fort de mes maux et de mes peines, elle venait passer avec Thérese et moi de longues soirées qu'elle savait nous rendre bien courtes par l'agrément de son esprit et par les mutuels épanchements de nos cœurs. Elle m'appelait son papa, je l'appelais ma fille, et ces noms que nous nous donnons encore ne cesseront point, je l'espère, de lui être aussi chers qu'à moi. Pour

rendre mes lacets bons à quelque chose, j'en faisais présent à mes jeunes amies à leur mariage, à condition qu'elles nourriraient leurs enfants. Sa sœur aînée en eut un à ce titre, et l'a mérité; Isabelle en eut un de meme, et ne l'a pas moins mérité par l'intention; mais elle n'a pas eu le bonheur de pouvoir faire sa volonté. En leur envoyant ces lacets, j'écrivis à l'une et à l'autre des lettres dont la premiere a couru le monde; mais tant d'éclat n'allait pas à la seconde : l'amitié ne marche pas avec si grand bruit.

Parmi les liaisons que je fis à mon voisinage, et dans le detail desquelles je n'entrerai pas, je dois noter celle du colonel Pury, qui avait une maison sur la montagne, où il venait passer les etés. Je n'étais pas empressé de sa connaissance, parce que je savais qu'il était très mal à la cour et aupres de milord maréchal, qu'il ne voyait point. Cependant, comme il me vint voir et me fit beaucoup d'honnêtetés, il fallut l'aller voir à mon tour; cela continua, et nous mangions quelquefois l'un chez l'autre. Je fis avec lui Connaissance chez M. du Peyrou, et ensuite ane amitié trop intime pour que je puisse me dispenser de parler de lui.

M. du Peyrou était Américain, fils d'un commandant de Surinam, dont le successeur, M. de Chambrier, de Neuchâtel, épousa la veuve. Devenue veuve une seconde fois, elle vint avec son fils s'établir dans le pays de son second mari. Du Peyrou, fils unique, fort riche, et tendrement aimé de sa mere, avait été élevé avec assez de soin, et son education lui avait profité. Il avait acquis beaucoup de demi-connaissances, quelque goût pour les arts, et il se piquait surtout d'avoir cultivé sa raison: son air hollandais, froid et philosophe, son teint basané,

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