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son humeur silencieuse et cachée, favori saient beaucoup cette opinion. Il était sourd et goutteux, quoique jeune encore. Cela rendait tous ses mouvements fort posés, fort graves; et, quoiqu'il aimât à disputer, quelquefois même un peu longuement, généralement il parlait peu, parce qu'il n'entendait pas. Tout cet extérieur m'en imposa. Je met dis: Voici un penseur, un homme sage, teh qu'on serait heureux d'avoir un ami. Pour achever de me prendre, il m'adressait souvent la parole, sans jamais me faire aucun compliment. Il me parlait peu de moi, peu de mes livres, très peu de lui; il n'était pas dépourvu d'idées, et tout ce qu'il disait était assez juste. Cette justesse et cette égalité m'attirerent. Il n'avait dans l'esprit ni l'élévation, ni la finesse de celui de milord maréchal; mais il en avait la simplicité c'était toujours le représenter en quelque chose. Je ne m'engouai pas, mais je m'attachai par l'estime, et peu à peu cette estime amena l'amitié. J'oubliai totalement avec lui l'objection que j'avais faite au baron d'Holbach, qu'il était trop riche; et je crois que j'eus tort. J'ai appris à douter qu'un homme jouissant d'une grande fortune, quel qu'il puisse être, puisse aimer sincerement mes principes et leur auteur.

Pendant assez longtemps, je vis peu du Peyrou, parce que je n'allais point a Neuchatel, et qu'il ne venait qu'une fois l'année à la montagne du colonel Pury. Pourquoi n'allais-je point à Neuchâtel? C'est un enfantillage qu'il ne faut pas taire.

Quoique protégé par le roi de Prusse et par milord maréchal, si j'évitai d'abord la persécution dans mon asile, je n'évitai pas du moins les murmures du public, des magistrats municipaux, des ministres. Après le

branle donné par la France, 11 n'était pas du bon air de ne pas me faire au moins quelque Insulte on aurait eu peur de paraître improuver mes persécuteurs en ne les imitant pas. La classe de Neuchâtel, c'est-à-dire la compagnie des ministres de cette ville, donna le branle, en tentant d'émouvoir contre moi le conseil d'Etat. Cette tentative n'ayant pas réussi, les ministres s'adressèrent au magistrat municipal, qui fit aussitôt défendre mon livre, et, me traitant en toute occasion peu honnêtement, faisait comprendre et disait même que, si j'avais voulu m'établir dans la ville, on ne m'y aurait pas souffert. Ils remplirent leur Mercure d'inepties et du plus plat cafardage, qui, tout en faisant rire les gens sensés, ne laissaient pas d'échauffer le peuple et de l'animer contre moi. Tout cela n'empêchait pas qu'à les entendre je ne dusse être très reconnaissant de l'extrême grâce qu'ils me faisaient de me laisser vivre

Motiers, où ils n'avaient aucune autorité; ils m'auraient volontiers mesuré l'air à lá pinte, à condition que je l'eusse payé bien cher. Ils voulaient que je leur fusse obligé de la protection que le roi m'accordait malgré eux, et qu'ils travaillaient sans relâche. à m'ôter. Enfin, n'y pouvant réussir, après m'avoir fait tout le tort qu'ils purent et m'avoir décrié de tout leur pouvoir, ils se firent un mérite de leur impuissance, en me faisant valoir la bonté qu'ils avaient de me souffrir dans leur pays. J'aurais dû leur rire au nez pour toute réponse je fus assez bête pour me piquer, et j'eus l'ineptie de ne voufoir point aller à Neuchâtel, résolution que je tins près de deux ans, comme si ce n'était pas trop honorer de pareilles espèces que de faire attention à leurs procédés, qui, bons ou mauvais, ne peuvent leur etre imputés,

puisqu'ils n'agissent jamais que par impulsion. D'ailleurs, des esprits sans culture et sans lumières, qui ne connaissent d'autre objet de leur estime que le crédit, la puissance et l'argent, sont bien éloignés même de soupçonner qu'on doive quelque égard aux talents, et qu'il y ait du déshonneur à les outrager.

Un certain maire de village, qui, pour ses malversations, avait été cassé, disait au lieutenant du Val-de-Travers, mari de mon Isabelle: On dit que ce Rousseau a tant d'esprit, amenez-le-moi, que je voie si cela est vrai. Assurément les mécontentements d'un homme qui prend un pareil ton doivent peu fâcher ceux qui les éprouvent.

Sur la façon dont on me traitait à Paris, à Genève, à Berne, à Neuchâtel même, je ne m'attendais pas à plus de ménagement de la part du pasteur du lieu. Je lui avais cependant été recommandé par madame Boy de la Tour, et il m'avait fait beaucoup d'accueil; mais dans ce pays, où l'on flatté également tout le monde, les caresses ne signifient rien. Cependant, après ma réunion solennelle à l'Eglise réformée, vivant en pays rébrmé, je ne pouvais, sans manquer à mes engagements et à mon devoir de citoyen, négliger la profession publique du culte où j'é tais rentré: j'assistais donc au service divin. D'un autre côté, je craignais, en me présentant à la table sacrée, de m'exposer à 'affront d'un refus; et il n'était nullement probable qu'après le vacarme fait à Genève jar le Conseil, et à Neuchâtel par la classe,

voulût m'administrer tranquillement la cne dans son église. Voyant donc approcher le temps de la communion, je pris le parti d'crire à M. de Montmollin (c'était le nom du ministre), pour faire acte de bonne vo

lonté, et lui déclarer que j'étais toujours uni de cœur à l'Eglise protestante; je lui dis en même temps, pour éviter des chicanes sur les articles de foi, que je ne voulais aucune explication particuliere sur le dogme. M'étant ainsi mis en regle de ce côté, je restai tranquille, ne doutant pas que M. de Montmollin ne refusât de m'adinettre sans la discussion préliminaire, dont je ne voulais point, et qu'ainsi tout fut fini sans qu'il y eût de ma faute. Point du tout au moment où je m'y attendais, le moins, M. de Montmollin vint me déclarer non-seulement qu'il m'admettait à la communion sous la clause que j'y avais mise, mais de plus que lui et ses anciens se faisaient un grand honneur de m'avoir dans son troupeau. Je n'eus de mes jours pareille surprise, ni plus consolante. Toujours vivre isolé sur la terre me paraissait un destin bien triste, surtout dans l'adversité. Au milieu de tant de proscriptions et de persécutions, je trouvais une douceur extrême pouvoir me dire « Au moins je suis parmi mes frères; » et j'allai communier avec une émotion de cœur et des larmes d'attendrissement, qui étaient peut-etre la préparation la plus agreable a Dieu qu'on y pût porter Quelque temps apres, milord m'envoya une lettre de madame de Boufflers, venue, du moins je le presumai, par la voie de d'Alembert, qui connaissait milord maréchal. Dans cette lettre, la premiere que cette dame m'eût écrite depuis mon départ de Montmorency, elle me tançait vivement de celle que j'avais écrite à M. de Montinollin, et surtout d'avoir communie. Je compris d'autant moins à qui elle en avait avec sa mercuriale, que depuis mon voyage de Geneve je m'étai toujours déclaré hautement protestant, & que j'avais été tres publiquement à l'hôt

de Hollande, sans que personne au monde Teût trouvé mauvais. Il ne paraissait plaisant que madame la comtesse de Boufflers voulût se meler de diriger ma conscience en fait de religion. Toutefois, comme je ne doutais pas que son intention (quoique je n'y comprisse rien) ne fut la meilleure du monde, je ne m'offensai pas de cette singuliere sortie, et je lui répondis sans colere, en lui disant mes raisons.

Cependant les injures imprimées allaient leur train, et leurs benins auteurs reprochaient aux puissances de me traiter trop doucement. Ce concours d'aboiements, dont les moteurs continuaient d'agir sous le voile, avait quelque chose de sinistre et d'effrayant. Pour moi, je laissai dire sans m'émouvoir. On m'assura qu'il y avait une censure de la Sorbonne. Je n'en crus rien. De quoi pouvait se mêler la Sorbonne dans cette affaire? Voulait-elle assurer que je n'etais pas catholique? Tout le monde le savait. Voulait elle prouver que je netais pas bon calviniste? Que lui importait? C'etait prendre un soin bien singulier: c'était se faire les substituts de nos ministres. Avant que d'avoir vu cet écrit, j'ai cru qu'on le faisait courir sous le nom de la Sorbonne pour se moquer d'elle, je le crus bien plus encore apres l'avoir lu. Enfin, quand je ne pus plus douter de son authenticité, tout ce que je me réduisis à croire fut qu'il fallait mettre la Sorbonne aux Petites-Maisons.

(1763.) Un autre écrit m'affecta davantage, parce qu'il venait d'un homme pour qui j'eus toujours de l'estime, et dont j'admirais la constance en plaignant son aveuglement. Je parle du mandement de l'archeveque de Paris contre moi. Je crus que je me devais d'y répondre. Je le pouvais sans m'avilir; c'était

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