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Les politiques font sur l'amour de la Hberté les mêmes sophismes que les philosophes ont faits sur l'état de la nature : par les choses qu'ils voient, ils jugent des choses trèsdifférentes qu'ils n'ont pas vues, et ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la servitude, par la patience avec laquelle ceux qu'ils ont sous les yeux supportent la leur; sans songer qu'il en est de la liberté comme de l'innocence et de la vertu, dont on ne sent le prix qu'autant qu'on en jouit soi-même, et dont le goût se perd sitôt qu'on les a perdues. Je connais les délices de ton pays, disait Brasidas à un satrape qui comparait la vie de Sparte à celle de Persépolis; mais tu ne peux connaître les plaisirs du mien. »

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Comme un coursier indompté hérisse ses crins, frappe la terre du pied et se débat impétueusement à la seule approche du mors, tandis qu'un cheval dressé souffre patiemment la verge et l'éperon, l'homme barbare ne plie point sa tête au joug que l'homme

le seul auquel la citation de Rousseau puisse être appliquée Scis, ut sunt diversa natura dominatio et principatus, ita non aliis esse príncipem gratiorem, quam qui maxime dominum graventur. (Paneg., 45.) « Comme la différence qui se trouve na»turellement entre le pouvoir despotique et le gou⚫vernement légitime ne vous est pas inconnue, vous › n'avez pas de peine à comprendre qu'il n'y a point > d'hommes plus attachés à un prince juste, que ceux • qui abhorrent les tyrans. » Traduction de Sacy.

civilisé porte sans.murmure, et il préfère la plus orageuse liberté à un assujettissement tranquille. Ce n'est donc pas par l'avilissement des peuples asservis qu'il faut juger des dispositions naturelles de l'homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu'ont faits tous les peuples libres pour se garantir de l'oppression. Je sais que les premiers ne font que vanter sans cesse la paix et le repos, dont ils jouissent dans leurs fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant (*) : mais quand je vois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance, et la vie même, à la conservation de ce seul bien si dédaigné de ceux qui l'ont perdu; quand je vois des animaux, nés libres et abhorrant la captivité, se briser la tête contre les barreaux de leur prison; quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser les voluptés européennes, et braver la faim, le feu, le fer et la mort, pour ne conserver que leur indépendance, je sens que ce n'est pas à des esclaves qu'il appartient de raisonner de liberté.

Quant à l'autorité paternelle, dont plusieurs ont fait dériver le gouvernement absolu et toute la société, sans recourir aux preuves contraires de Locke et de Sidney, il suffit de remarquer que rien au monde n'est plus éloi

(") TACITE, Hist., lib. 1. 17.

gné de l'esprit féroce du despotisme que la douceur de cette autorité, qui regarde plus à l'avantage de celui qui obéit qu'à l'utilité de celui qui commandé; que, par la loi de nature le père n'est le maître de l'enfant qu'aussi longtemps que son secours lui est nécessaire; qu'au delà de ce terme ils deviennent égaux, et qu'alors le fils, parfaitement indépendant du père, ne lui doit que du respect et non de l'obéissance; car la reconnaissance est bien un devoir qu'il faut rendre, mais non pas un droit qu'on puisse exiger. Au lieu de dire que la société civile dérive du pouvoir paternel, il fallait dire au contraire que c'est d'elle que ce pouvoir tire sa principale force. Un individu ne fut reconnu pour le père de plusieurs que quand ils restèrent assemblés autour de lui. Les biens du père, dont il est véritablement le maître, sont les liens qui retiennent ses enfants dans sa dépendance, et il peut ne leur donner part à sa succession qu'à proportion qu'ils auront bien mérité de lui par une continuelle déférence à ses volontés. Or, loin que les sujets aient quelque faveur semblable à attendre de leur despote, comme ils lui appartiennent en propre, eux et tout ce qu'ils possèdent, ou du moins qu'il le prétend ainsi, ils sont réduits à recevoir comme une faveur ce qu'il leur laisse de leur propre bien il fait justice quand il les dépouille; il fait grâce quand il les laisse vivre.

En continuant d'examiner ainsi les faits par le droit, on ne trouverait pas plus de solidité que dans l'établissement volontaire de la tyrannie, et il serait difficile de montrer la validité d'un contrat qui n'obligerait qu'une des parties où l'on mettrait tout d'un côté et rien de l'autre, et qui ne tournerait qu'au préjudice de celui qui s'engage. Ce système odieux est bien éloigné d'être, même aujourd'hui, celui des sages et bons monarques, et surtout des rois de France, comme on peut le voir en divers endroits de leurs édits, et en particulier dans le passage suivant d'un écrit célèbre, publié en 1667, au nom et par les ordres de Louis XIV : " Qu'on ne dise donc point que le souverain ne soit pas sujet aux lois de son Etat, puisque la proposition contraire est une vérité du droit des gens, que la flatterie a quelquefois attaquée, mais que les bons princes ont toujours défendue comme une divinité tutélaire de leurs Etats. Combien est-il plus légitime de dire, avec le sage Platon, que la parfaite félicité d'un royaume est qu'un prince obéisse à la loi, et que la loi soit droite et toujours dirigée au bien pu blic! (*) Je ne m'arrêterai point à chercher si la liberté étant la plus noble des facultés de

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(*) Ce passage est extrait d'une espèce de manifeste publié au nom du roi (1667. in-40, Imprimerie royale), intitulé Traité des droits de la reine Très-Chrétienne sur divers Etats de la monarchie d'Espagne. Il est

l'homme, ce n'est pas dégrader sa nature, se mettre au niveau des bêtes esclaves de l'instinct. offenser même l'auteur de son être, que de renoncer sans réserve au plus précieux de tous ses dons,que de se soumettre à commettre tous les crimes qu'il nous défend, pour complaire à un maître féroce ou insensé, et si cet ouvrier sublime doit être plus irrité de voir détruire que déshonorer son plus bel ouvrage. Je négligerai, si l'on veut, l'autorité de Barbeyrac, qui déclare nettement, d'après Locke, que nul ne peut vendre sa liberté jusqu'à se soumettre à une puissance arbitraire qui le traite à sa fantaisie: Car, ajoute-t-il, ce serait vendre sa propre vie, dont on n'est pas le maître. Je demanderai seulement de quel droit ceux qui n'ont pas craint de s'avilir eux-mêmes jusqu'à ce point, ont pu soumettre leur postérité à la même ignominie, et renoncer pour elle à des biens qu'elle ne tient point de leur libéralité et sans lesquels la vie même est onéreuse à tous ceux qui en sont dignes.

Puffendorff dit que, tout de même qu'on transfère son bien à autrui par des conventions et des contrats, on peut aussi se dépouiller de sa liberté en faveur de quelqu'un. C'est là, ce me semble, un fort mauvais rai

vrai de dire qu'on y lit immédiatement après le passage cité par Rousseau, que les rois sont les auteurs des lois dans leurs Etats (p. 140). — Note de l'édit., in-18, Didot; Paris, 1864.

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