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tre eux dans une paix continuelle, si l'espèce humaine était de ce dernier genre, il est clair qu'elle aurait eu beaucoup plus de facilité à subsister dans l'état de nature, beaucoup moins de besoins et d'occasions d'en sortir.

(6) Toutes les connaissances qui demandent de la réflexion, toutes celles qui ne s'acquièrent que par l'enchaînement des idées et ne se perfectionnent que successivement, semblent être tout à fait hors de la portée de l'homme sauvage, faute de communication avec ses semblables, c'est-à-dire faute de l'instrument qui sert à cette communication, et des besoins qui la rendent nécessaire. Son savoir et son industrie se bornent à sauter, courir, se battre, lancer une pierre, escalader un arbre. Mais s'il ne sait que ces choses, en revanche il les sait beaucoup mieux que nous, qui n'en avons pas le même besoin que lui; et comme elles dépendent uniquement de l'exercice du corps, et ne sont susceptibles d'aucune communication ni d'aucuns progrès d'un individu à l'autre, le premier homme a pu y être tout aussi habile que ses derniers descendants.

Les relations des voyageurs sont pleines d'exemples de la force et de la vigueur des hommes chez les nations barbares et sauvages; elles ne vantent guère moins leur adresse et leur légèreté et comme il ne faut que des yeux pour observer ces choses, rien n'empêche qu'on n'ajoute foi à ce que certiflent làdessus des témoins oculaires; j'en tire au hasard quelques exemples des premiers livres qui me tombent sous la main.

"

Les Hottentots, dit Kolben, entendent mieux la pêche que les Européens du Cap. Leur habileté est égale au filet, à l'hameçon et au dard, dans les anses comme dans les rivières. Ils ne prennent pas moins habilement le poisson avec la main. Ils sont d'une adresse incomparable à la nage. Leur manière de nager a

quelque chose de surprenant, et qui leur est tout à fait propre. Ils nagent le corps droit et les mains étendues hors de l'eau, de sorte qu'ils paraissent marcher sur la terre. Dans la plus grande agitation de la mer, et lorsque les flots forment autant de montagnes, ils dansent en quelque sorte sur le dos des vagues, montant et descendant comme un morceau de liége.

Les Hottentots, dit encore le même auteur, sont d'une adresse surprenante à la chasse, et la légèreté de leur course passe l'imagination. Il s'étonne qu'ils ne fassent pas plus souvent un mauvais usage de leur agilité, ce qui leur arrive pourtant quelquefois, comme on peut juger par l'exemple qu'il en donne. Un matelot hollandais, en débarquant au Cap, chargea, dit-il, un Hottentot de le suivre à la ville avec un rouleau de tabac d'environ vingt livres. Lorsqu'ils furent tous deux à quelque distance de la troupe, le Hottentot demanda au matelot s'il savait courir. - Courir? répond le Hollandais; oui, fort bien. - Voyons, reprit l'Africain; et, fuyant avec le tabac, il disparut presque aussitôt. Le matelot, confondu de cette mèrveilleuse vitesse, ne pensa pas à le poursuivre, et ne revit jamais ni son tabac ni son porteur.

Ils ont la vue si prompte et la main si certaine, que les Européens n'en approchent point. A cent pas ils toucheront d'un coup de pierre une marque de la grandeur d'un demisou; et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'au lieu de fixer comme nous les yeux sur le but, ils font des mouvements et des contorsions continuels. Il semble que leur pierre soit portée par une main invisible.

Le P. du Tertre dit à peu près, sur les sauvages des Antilles, les mêmes choses qu'on vient de dire sur les Hottentots du Cap de Bonne-Espérance. Il vante surtout leur justesse à tirer avec leurs flèches les oiseaux au

vol et les poissons à la nage, qu'ils prennent ensuite en plongeant. Les sauvages de l'Amérique septentrionale ne sont pas moins célè bres par leur force et leur adresse; et voici un exemple qui pourra faire juger de celle des Indiens de l'Amérique méridionale:

En l'année 1746, un Indien de Buenos-Ayres ayant été condamné aux galères à Cadix, proposa au gouverneur de racheter sa liberté er exposant sa vie dans une fête publique. II promit qu'il attaquerait seul le plus furieux taureau, sans autre arme en main qu'une corde; qu'il le terrasserait, qu'il le saisirait avec sa corde par telle partie qu'on indiquerait, qu'il le sellerait, le briderait, le monterait et combattrait, ainsi monté, deux autres taureaux des plus furieux qu'on ferait sortir du Torillo et qu'il les mettrait tous à mort l'un après l'autre dans l'instant qu'on le lui commanderait et sans le secours de personne, ce qui lui fut accordé. L'Indien tint parole et réussit dans tout ce qu'il avait promis. Sur la manière dont il s'y prit et sur tout le détail du combat, on peut consulter le premier tome in12 des Observations sur l'Histoire naturelle, de M. Gautier, d'où ce fait est tiré, page 262.

(7) La durée de la vie des chevaux, dit M. de Buffon, est, comme dans toutes les autres espèces d'animaux, proportionnée à la durée du temps de leur accroissement. L'homme, qui est quatorze ans à croître, peut vivre six ou sept fois autant de temps, c'est-à-dire quatre-vingt-dix ou cent ans; le cheval, dont l'accroissement se fait en quatre ans, peut vivre six ou sept fois autant, c'est-à-dire vingtcinq ou trente ans. Les exemples qui pourraient être contraires à cette règle sont si rares, qu'on ne doit pas même les regarder comme une exception dont on puisse tirer des conséquences; et, comme les gros chevaux prennent leur accroissement en moins de temps que les

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chevaux fins, ils vivent aussi moins de temps, et sont vieux dès l'âge de quinze ans. « HIST. NAT., du Cheval.)

(8) Je crois voir entre les animaux car nassiers et les frugivores une autre différence encore plus générale que celle que j'ai remarquée dans la note 5, puisque celle-ci s'étend jusqu'aux oiseaux. Cette différence consiste dans le nombre des petits, qui n'excède jamais deux à chaque portée pour les espèces qui ne vivent que de végétaux, et qui va ordinairement au delà de ce nombre pour les animaux voraces. Il est aisé de connaître, à cet égard, la destination de la nature par le nombre des mamelles, qui n'est que de deux dans chaque femelle de la première espèce, comme la jument, la vache, là chèvre, la biche, la brebis, etc., et qui est toujours de six ou de huit dans les autres femelles, comme la chienne, la chatte, la louve, la tigresse, etc. La poule, l'oie, la cane, qui sont toutes des oiseaux voraces, ainsi que l'aigle, l'épervier, la chouette, pondent aussi et couvent un grand nombre d'oeufs, ce qui n'arrive jamais å la colombe, à la tourterelle, ni aux oiseaux qui ne mangent absolument que du grain, lesquels ne pondent et ne couvent guère qué deux œufs à la fois. La raison qu'on peut donner de cette différence est que les animaux. qui ne vivent que d'herbes et de plantes, demeurant presque tout le jour à la pâture et étant forcés d'employer beaucoup de temps à se nourrir, ne pourraient suffire a allaiter plusieurs petits, àn lieu que les voraces, faisant leur repas presque en un instant, peuvent plus aisément et plus souvent retourner à leurs petits et à leur chasse, et réparer la dissipation d'une si grande quantité de lait, Il y aurait à tout ceci bien des observations particulières et des réflexions à faire; mais ce n'en est pas ici le lieu, et il me suffit d'avoir montré dans cette

partie le système le plus général de la nature, système qui fournit une nouvelle raison de tirer l'homme de la classe des animaux carnassiers, et de le ranger parmi les espèces frugi

vores.

(9) Un auteur célèbre, calculant les biens et les maux de la vie humaine, et comparant les deux sommes, a trouvé que la dernière surpassait l'autre de beaucoup, et qu'à tout prenare la vie était pour l'homme un assez mauvais présent. Je ne suis point surpris de sa conclusion; il a tiré tous ses raisonnements de la constitution de l'homme civil: s'il fût remonté jusqu'à l'homme naturel, on peut juger qu'il eût trouvé des résultats très-différents, qu'il eût apercu que l'homme n'a guère de maux que ceux qu'il s'est donnés luimême, et que la naturê eût été justifiée. Ce n'est pas sans peine que nous sommes parvenus à nous rendre si malheureux. Quand d'un côté l'on considère les immenses travaux des hommes, tant de sciences approfondies, tant d'arts inventés, tant de forces employées, des abîmes comblés, des montagnes rasées, des rochers brisés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des lacs creusés, des marais desséchés, des bâtiments énormes élevés sur la terre, la mer couverte de vaisseaux et de matelots, et que de l'autre on recherche avec un peu de méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l'espèce humaine, on ne peut qu'être frappé de l'étonnante disproportion qui règne entre ces choses, et déplorer l'aveuglement de l'homme, qui, pour nourrir son fol orgueil et je ne sais quelle vaine admiration de luimême, le fait courir avec ardeur après toutes les misères dont il est susceptible, et que la bienfaisante nature avait pris soin d'écarter de

lui.

Les hommes sont méchants, une triste et

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