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était dans l'impatience de voir ce roman: les libraires de la rue Saint-Jacques et celui du Palais-Royal étaient assiégés de gens qui en demandaient des nouvelles. Il parut enfin, et son succès, contre l'ordinaire, répondit à T'empressement avec lequel il avait été attendu. Madame la Dauphine, qui l'avait lu des premieres, en parla à M. de Luxembourg comme d'un ouvrage ravissant. Les sentiments furent partagés chez les gens de lettres; mais, dâns le monde, il n'y eut qu'un avis, et les femmes surtout s'enivrerent êt du livré et de l'auteur, au point qu'il y en avait peu, même dans les hauts rangs, dont je n'eusse fait la conquête, si je l'avais entrepris. J'ai de cela des preuves que je ne veux pas écrire, et qui, sans avoir eu besoin de f'expérience, autorisent mon opinion. Il est singulier que ce livre ait mieux réussi en France qué dans le reste de l'Europe, quoique les Français, hommes et femines, n'y soient pas fort bien traités. Tout au contraire de mon attente, son moindre succès fut en Suisse et son plus grand a Paris. L'amitié, l'amour, la vertu, regnent-ils donc à Paris plus qu'ailleurs? Non, sans doute; mais il y règne encore ce sens exquis qui transporte le cœur à leur image, et qui nous fait chérir dans les autres les sentiments purs, tendres, honnêtes, que nous n'avons plus. La corruption, désormais, est partout la même : il· n'existe plus ni mœurs, ni vertus en Europe, mais s'il existe encore quelque amour pour elles, c'est à Paris qu'on doit le chercher (1).

Il faut, à travers tant de préjugés et de passions factices, savoir bien analyser le cœur humain pour y démêler les vrais sentiments de la nature. Il faut une délicatesse de

J'écrivais ceci en 1769

tact, qui ne s'acquiert que dans l'éducation du grand monde, pour sentir, si j'ose ainsi dire, les finesses de cœur dont cet ouvrage est rempli. Je mets sans crainte sa quatrième partie à côté de la Princesse de Clèves, et je dis que si ces deux morceaux n'eussent été lus qu'en province, on n'aurait jamais senti tout leur prix. Il ne faut donc pas s'étonner si le plus grand succès de ce livre fut à la cour. Il abonde en traits vifs, mais voilés, qui doivent y plaire, parce qu'on est plus exercé à les pénétrer. Il faut pourtant ici distinguer encore. Cette lecture n'est assurément pas propre à cette sorte de gens d'esprit qui n'ont que la ruse, qui ne sont fins que pour pénétrer le mal, et qui ne voient rien du tout où il n'y a que du bien à voir. Si, par exemple, la Julie eût été publiée en certain pays que je pense, je suis sûr que personne n'en eût achevé la lecture, et qu'elle serait morte en naissant.

Paris.

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.

Imprimerie Nouvelle (assoc. ouv.), 11, rue Cadet❤
A. Mangeot, directeur.

COLLECTION DES MEILLEURS AUTEURS ANCIENS ET MODERNE

LES

CONFESSIONS

DE

J.-J. ROUSSEAU

TOME CINQUIÈME

PARIS

LIBRAIRIE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

PASSAGE MONTESQUIEU (RUE MONTESQUIEU) Près le Palais-Royal

1899

Tous droits réservés

LES

CONFESSIONS

DE

J.-J. ROUSSEAU

DEUXIÈME PARTIE

LIVRE ONZIÈME

(Suite.)

J'ai rassemblé la plupart des lettres qui me furent écrites sur cet ouvrage dans une liasse qui est entre les mains de madame de Nadaillac. Si jamais ce recueil paraît, on y verra des choses bien singulières et une opposition de jugement qui montre ce que c'est que d'avoir affaire au public. La chose qu'on y a le moins vue, et qui en fera toujours un ouvrage unique, est la simplicité du sujet et la chaîne de l'intérêt qui, concentré entre trois personnes, se soutient durant six volumes, sans épisode, sans aventure romanesque, sans méchanceté d'aucune espèce, ni dans les personnages, ni dans les actions. Diderot a fait de grands compliments à Richardson sur la prodigieuse variété de ses tableaux et sur la multitude de ses person nages. Richardson a, en effet, le mérite de les avoir tous bien caractérisés, mais, quant

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