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beaucoup plus frappantes. Tous ces faits, dont il est aisé de fournir des preuves incontestables, ne peuvent surprendre que ceux qui sont accoutumés à ne regarder que les objets qui les environnent, et qui ignorent les puissants effets de la diversité des climats, de l'air, des aliments, de la manière de vivre, des habitudes en général, et surtout la force étonnante des mêmes causes, quand elles agissent continuellement sur de longues suites de généra. tions. Aujourd'hui que le commerce, les voyages et les conquêtes réunissent davantage les peuples divers, et que leurs manieres de vivre se rapprochent sans cesse par la fréquente communication, on s'aperçoit que certaines différences nationales ont diminué; et, par exemple, chacun peut remarquer qué les Français d'aujourd'hui ne sont plus ces grands corps blancs et blonds décrits par les historiens latins, quoique le temps, joint au mélange des Francs et des Normands, blancs et blonds eux-mêmes, eût dû établir ce que la fréquentation des Romains avait pu ôter à l'influence du climat, dans la constitution naturelle et le teint des habitants. Toutes ces observations sur les variétés que mille causes peuvent produire et ont produites en effet dans l'espèce humaine, me font douter si divers animaux semblables aux hommes, pris par les voyaceurs pour des bêtes sans beaucoup d'examen, ou à cause de quelques différences qu'ils remarquaient dans la conformation extérieure, ou seulement parce que ces animaux ne parlaient pas, ne seraient point en effet de véritables hommes sauvages, dont la race, dispersée anciennement dans les bois, n'avait en occasion de développer aucune de ses facultés virtuelles, n'avait acquis aucun degré de perfection, et se trouvait encore dans l'état primitif de nature. Donnons un exemple de ce que je veux dire

. On trouve, dit le traducteur de l'Histoire des Voyages, dans le royaume de Congo, quantité de ces grands_animaux qu'on nomme orangs-outangs aux Indes orientales, qui tiennent comme le milieu entre l'espèce humaine et les babouins. Battel raconte que, dans les forêts de Mayomba, au royaume de Loango, on voit deux sortes de monstres dont les plus grands se nomment pongos, et les autres eniocos. Les premiers ont une ressemblance exacte avec l'homme, mais ils sont beaucoup plus gros et de fort haute taille. Avec un visage humain, ils ont les yeux fort enfoncés. Leurs mains, leurs joues, leurs oreilles sont sans poil, à l'exception des sourcils, qu'ils ont fort longs. Quoiqu'ils aient le resté du corps assez velu, le poil n'en est pas fort épais, et sa couleur est brune. Enfin la seule partie qui les distingue des hommes est la jambe, qu'ils ont sans mollet. Ils marchent droits, en se te nant de la main le poil du cou. Leur retraite est dans les bois; ils dorment sur les arbres, et s'y font une espèce de toit qui les met couvert de la pluie. Leurs aliments sont des fruits ou des noix sauvages. Jamais ils ne mangent de chair. L'usage des nègres qui tra. versent les forêts est d'y allumer des feux pendant la nuit: ils remarquent que le matin, à leur départ, les pongos prennent leur placé autour du feu, et ne se retirent pas qu'il ne soit éteint; car, avec beaucoup d'adresse, ils n'ont point assez de sens pour l'entretenir en y apportant du bois.

Ils marchent quelquefois en troupes, et tuent les négres qui traversent les forêts. Ils tombent même sur les éléphants qui viennent paître dans les lieux qu'ils habitent, et les incommodent si fort à coups de poing ou de bâton, qu'ils les forcent à prendre la fuite en poussant des cris. On ne prend jamais de pongos en vie, parce qu'ils sont si robustes

que dix hommes n'y suffiraient pas pour les arrêter; mais les nègres en prennent quantité de jeunes après avoir tué la mère, au corps de laquelle le petit s'attache fortement. Lorsqu'un de ces animaux meurt, les autres couvrent son corps d'un amas dé branches ou de feuillages. Purchass ajoute que, dans les conversations qu'il avait eues avec Battel, il avait appris de lui-même qu'un pongo lui enleva un petit nègre qui passa un mois entier dans la société de ces animaux; car ils ne font aucun mal aux hommes qu'ils surprennent, du moins lorsque ceux-ci ne les regardent point, comme le petit nègre l'avait observé. Battel n'a point décrit la seconde espèce de monstres.

Dapper confirme que le royaume de Congo est plein de ces animaux qui portent aux Indes le nom d'orangs-outangs, c'est-à-dire habitants des bois, et que les Africains nomment quojas-morros. Cette bête, dit-il, est si semblable à l'homme, qu'il est tombé dans l'esprit à quelques voyageurs qu'elle pouvait être sortie d'une femme et d'un singè chimère que les nègres mêmes rejettent.. Un de ces animaux fut transporté du Congo en Hollande, et présenté au prince d'Orange, Frédéric-Henri. Il était de la hauteur d'un enfant de trois ans, et d'un embonpoint médiocre, mais carré et bien proportionné, fort agile ef fort vif, les jambes charnues et robustes, tout le devant du corps nu, mais le derrière couvert de poils noirs. A la première vue, son visage ressemblait à celui d'un homme, mais il avait le nez plat et recourbé; ses oreilles étaient aussi celles de l'espèce humaine; son sein, car c'était une femelle, était potelé, son nombril enfoncé, ses épaules fort bien jointes, ses mains divisées en doigts et en pouces, ses mollets et ses talons gras et charnus. Il-marchait souvent droit sur ses jambes, il était capable de lever et porter des fardeaux assez

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lourds. Lorsqu'il voulait boire, il prenait d'ane main le couvercle du pot, et tenait le fond de l'autre; ensuite il s'essuyait gracieusement les lèvres. Il se couchait, pour dormir, la tête sur un coussin, se couvrant avec tant d'adresse qu'on l'aurait pris pour un homme au lit. Les nègres font d'étranges récits de cet animal: ils assurent non-seulement qu'il force les femmes et les filles, mais qu'il ose attaquer des hommes armés. En un mot, il y a beaucoup d'apparence que c'est le satyre des anciens. Merolla ne parle peut-être que de ces animaux, lorsqu'il raconte que les négres prennent quelquefois dans leurs chasses des hommes et des femmes sauvages. »

Il est encore parlé de ces espèces d'animaux anthropoformes dans le troisième tome de la même Histoire des Voyages, sous le nom de beggos et de mandrills: mais, pour nous en tenir aux relations précédentes, on trouve dans la description de ces prétendus monstres des conformités frappantes avec l'espèce humaine, et des différences moindres que celles qu'on pourrait assigner d'homme à homme. On ne voit point dans ces passages les raisons sur lesquelles les auteurs se fondent pour refuser aux animaux en question le nom d'hommes sauvages: mais il est aisé de conjecturer que c'est à cause de leur stupidité, et aussi parce qu'ils ne parlaient pas; raisons faibles pour ceux qui savent que, quoique l'organe de la parole soit naturel à l'homme, la parole elle-même ne lui est pourtant pas naturelle, et qui connaissent jusqu'à quel point sa perfectibilité peut avoir élevé l'homme civil au-dessus de son état originel. Le petit nombre de lignes que contiennent ces descriptions nous peut faire juger combien ces animaux ont été mal observés, et avec quels préjugés ils ont été vus. Par exemple, ils sont qualifiés de monstres, et cependant

on convient qu'ils engendrent. Dans un endroit, Battel dit que les pongos tuent les nėgres qui traversent les forêts; dans un autre, Purchass ajoute qu'ils ne leur font aucun mal, même quand ils les surprennent, du moins lorsque les négres ne s'attachent pas à les regarder. Les pongos s'assemblent autour des feux allumés par les negres quand ceux-ci se retirent, et se retirent à leur tour quand le feu est éteint; voilà le fait : voici maintenant le commentaire de l'observateur; car, avec beaucoup d'adresse, ils n'ont pas assez de sens pour l'entretenir en y apportant du bois. Je voudrais deviner comment Battel, ou Purchass son compilateur, a pu savoir que la retraite des pongos était un effet de leur bêtise plutôt que de leur volonté. Dans un climat tel que Loango, le feu n'est pas une chose fort nécessaire aux animaux; et si les négres en allument, c'est moins contre le froid que pour effrayér les bêtes féroces: il est done très-simple qu'après avoir été quelque temps réjouis par la flamme, ou s'être bien réchauffés, les pongos s'ennuient de rester toujour à la même place, et s'en aillent à leur pâture, qui demande plus de temps que s'ils mangeaient de la chair. D'ailleurs on sait que la plupart des animaux, sans en excepter l'homme, sont naturellement paresseux, et qu'ils se refusent à toutes sortes de soins qui ne sont pas d'une absolue nécessité. Enfin, il paraît fort étrange que les pongos, dont on vante l'adresse et la force, les pongos qui savent enterrer leurs morts et se faire des toits de branchages, ne sachent pas pousser des tisons dans le feu. Je me souviens d'avoir vu un singe faire cette même manœuvre qu'on ne veut pas que les pongos puissent faire il est vrai que mes idées n'étant pas alors tournées de ce côté, je fis moi-même la faute que je reproche à nos voyageurs

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