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tablissement de la vôtre? Laissez aller tout comme il pourra, afin que tout aille toujours bien. Si tout est le mieux qu'il peut être, vous devez blâmer toute action quelconque, car toute action produit nécessairement quelque changement dans l'état où sont les choses au moment qu'elle se fait; on ne peut donc toucher à rien sans mal faire; et le quiétisme le plus parfait est la seule vertu qui reste à l'homme. Enfin, si tout est bien comme il est, il est bon qu'il y ait des Lapons, des Esquimaux, des Algonquins, des Chicacas, des Caraïbes, qui se passent de notre police, des Hottentots qui s'en moquent, et un Genevois qui les approuve. Leibnitz lui-même conviendrait de ceci.

L'homme, dites-vous, est tel que l'exigeait la place qu'il devait occuper dans l'univers. Mais les hommes différent tellement selon les temps et les lieux, qu'avec une pareille logique on serait sujet à tirer du particulier à l'universel des conséquences fort contradictoires et fort peu concluantes. Il ne faut qu'une erreur de géographie pour bouleverser toute cette prétendue doctrine qui déduit ce qui doit être de ce qu'on voit. C'est affaire aux castors, dira l'Indien, de s'enfouir dans des tanières; l'homme doit dormir à l'air, dans un hamac suspendu à des arbres. Non, non, dira le Tartare, l'homme est fait pour cou cher dans un chariot. Pauvres gens! s'écrie-. ront nos Philopolis d'un air de pitié, ne voyezvous pas que l'homme est fait pour bâtir des villes? Quand il est question de raisonner sur la nature humaine, le vrai philosophe n'est ni Indien, ni Tartare, ni de Genève, ǹi de Paris; mais il est homme.

Que le singe soit une bête, je le crois, et j'en ai dit la raison que l'orang-outang en soit une aussi, voilà ce que vous avez la bonté de m'apprendre; et j'avoue qu'après les faits

que j'ai cités, la preuve de celui-là me semblait difficile. Vous philosophez trop bien pour prononcer là-dessus aussi légèrement que nos voyageurs, qui s'exposent quelquefois, sans beaucoup de façons, à mettre leurs semblables au rang des bêtes. Vous obligerez donc sûrement le public, et vous instruirez même les naturalistes, en nous apprenant les moyens que vous avez employés pour décider cette question.

Dans mon épître dédicatoire, j'ai félicité ma patrie d'avoir un des meilleurs gouvernements qui pussent exister; j'ai prouvé dans le discours qu'il devait y avoir très-peu de bons gouvernements: je ne vois pas où est la contradiction que vous remarquez en cela. Mais comment savez-vous, monsieur, que j'irais vivre dans les bois si ma santé "me" le permettait, plutôt que parmi mes concitoyens. pour lesquels vous connaissez ma tendresse: Loin de rien dire de semblable dans mon ouvrage, vous y avez dû voir des raisons trèsfortes de ne point choisir ce genre de vie. Ja sens trop en mon particulier combien peu je puis me passer de vivre avec des hommes aussi corrompus que moi; et le sage même, s'il en est, n'ira pas aujourd'hui chercher lé bonheur au fond d'un désert. Il faut fixer, quand on le peut, son séjour dans sa patrie, pour l'aimer et la servir. Heureux colui qui privé de cet avantage, peut au moins vivre au sein de l'amitié, dans la patrie commune du genre humain, dans cet asile immense ouvert à tous les hommes, où se plaisent éga lement l'austére sagesse et la jeunesse folatre; où regnent l'humanité, l'hospitalité, a douceur, et tous les charmes d'une société facile; où le pauvre trouve encore des amis, la vertu des exemples qui l'animent, et la raison des guides qui l'éclairent! C'est sur ca grand théâtre de la fortune, du vice et que1

quefois des vertus, qu'on peut observer avec fruit le spectacle de la vie : mais c'est dans son pays que chacun devrait en paix achever la sienne.

Il me semble, monsieur, que vous me censurez bien gravement sur une réflexion qui me paraît très-juste, et qui, juste ou non, n'a point dans mon écrit le sens qu'il vous plaît de lui donner par l'addition d'une seule lettre. Si la nature nous a destinés à être saints (*), me faites-vous dire, j'ose presque assurer que l'état de réflexion est un état contre nature, et que l'homme qui médite est un animal dépravé. Je vous avoue que si j'avais ainsi confondu la santé avec la sainteté, et que la proposition fût vraie, je me croirais très-propre à devenir un grand saint moi-même dans l'autre monde, ou du moins à me porter toujours bien dans celui-ci (**).

Je finis, monsieur, en répondant à vos trois dernières questions. Je n'abuserai pas du temps que vous me donnez pour y réfléchir ; c'est un soin que j'avais pris d'avance.

Un homme, ou tout autre être sensible, qui n'aurait jamais connu la douleur, aurait-il la pitié, et serait-il ému à la vue d'un enfant qu'on égorgerait? Je réponds que non.

Pourquoi la populace, à qui M. Rousseau accorde une si grande dose de pitié, se repait-elle avec tant d'avidité du spectacle d'un malheu

Dans le volume du Mercure où la lettre de Ch. Bonnet fut d'abord imprimée, et qui donna lieu à la réponse de Rousseau, on avait effectivement mis saints au lieu de sains; mais c'était une faute d'impression, les éditeurs de Genève l'attestent, et il y a à s'étonner que Rousseau ne l'ait pas au moins soupçonnée. (Note dé Petitain, édit. citée, p. 218.)

(**) L'alinéa ci-dessus est omis dans l'édition in-18 Diaot. Il nous a paru nécessaire de le rétabiir. (Note des éditeurs.)

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DE L'INÉGALITÉ PARMI LES HOMMES reux expirant sur la roue? Par la même raison que vous allez pleurer au théâtre, et voir Séide égorger son père, ou Thyeste boire le sang de son fils. La pitié est un sentiment si délicieux, qu'il n'est pas étonnant qu'on cherche à l'éprouver. D'ailleurs chacun a une curiosité secrète d'étudier les mouvements de la nature aux approches de ce moment redouta ble que nul ne peut éviter. Ajoutez à cela le plaisir d'être pendant deux mois l'orateur du quartier, et de raconter pathétiquement aux voisins la belle mort du dernier roué.

L'affection que les femelles des animaux témoignent pour leurs petits a-t-elle ces petits pour objet, ou la mère ? D'abord la mère pour son besoin, puis les petits par habitude. Je l'avais dit dans le discours. Si par hasard c'était celle-ci, le bien-être des petits n'en serait que plus assuré. Je le croirais ainsi. Cependant cette maxime demande moins à être étendue que resserrée; car, dès que les poussins sont éclos, on ne voit pas que la poule ait aucun besoin d'eux, et så tendresse maternelle ne le cède pourtant à nulle autre.

Voilà, monsieur, mes réponses. Remarquez au resté que, dans cette affaire comme dans celle du premier discours, je suis toujours le monstre qui soutient qué l'homme est naturellement bon, et que mes adversaires sont toujours les honnêtes gens qui, à l'édification publique, s'efforcent de prouver que la nature n'a fait que des scélérats.

Je suis, autant qu'on peut l'être de quel qu'un qu'on ne connaît point, monsieur, etc.

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merie Nouvelle (assoc. ouv.), 11, rue Cadet A. Mangeot, directeur.

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