Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

que, et si c'est un meuble à son usage; et quant au buste, il s'est borne à une mauvaise esquisse en terre, faite par Le Moine, sur la quelle il a fait graver un portrait hideux, qui ne laisse pas de courir sous mon nom, comme s'il avait avec moi quelque ressemblance...

Le seul Français qui parut me venir voir par goût pour mes sentiments et pour mes ouvrages fut un jeune officier du régiment de Limousin, appele M. Séguier de Saint-Brisson, qu'on a vu et qu'on voit peut-être encore briller à Paris et dans le monde par des talents assez aimables, et par des prétentions au bel esprit. Il m'etait venu voir à Montmorency l'hiver qui précéda ma catastrophe. Je lui trouvai une vivacité de sentiment qui me plut. Il m'écrivit dans la suite à Motiers, et, soit qu'il voulût me cajoler, ou que réelle ment la tête lui tournât de l'Emile, il m'ap prit qu'il quittait le service pour vivre in dépendant, et qu'il apprenait le métier de menuisier. Il avait un frere aîné, capitaine dans le même regiment, pour lequel était toute la prédilection de la mere, qui, devote outree, et dirigée par je ne sais quel abbé tartufe, en usait tres mal avec le cadet, qu'elle accusait d'irreligion, et même du cri me irrémissible d'avoir des liaisons avec moi. Voilà les griefs sur lesquels il voulut rompre avec sa mere, et prendre le parti dont je viens de parler, le tout pour faire le petit Emile.

Alarmé de cette pétulance, je me hâtai de lui écrire pour le faire changer de résolution, et je mis à mes exhortations toute la force dont j'étais capable: elles furent écoutées. Il rentra dans son devoir vis-à-vis de sa mère, et il retira des mains de son colonel sa démis, sion, qu'il lui avait donnée, et dont celui-ci. avait eu la prudence de ne faire aucun usa

ge, pour lui laisser le temps de mieux réfléchir. Saint-Brisson, revenu de ses folies, en fit une un peu moins choquante, mais qui a'était guere plus de mon goût; ce fut de se faire auteur. Il donna coup sur coup deux ou trois brochures, qui n'annonçaient pas un homme sans talents, mais sur lesquelles je n'aurai pas à me reprocher de lui avoir donné des eloges bien encourageants pour poursuivre cette carriere.

Quelque temps apres, il vint me voir, et nous fimes ensemble le pelerinage de l'île de Saint-Pierre. Je le trouvai dans ce voyage différent de ce que je l'avais vu a Montmorency. Il avait je ne sais quoi d'affecté, qui d'abord ne me choqua pas beaucoup, mais qui m'est revenu souvent en mémoire depuis ce temps-la. Il me vint voir encore une fois à l'hôtel de Saint-Simon, à mon passage à Paris pour aller en Angleterre. J'appris là, ce qu'il ne m'avait pas dit, qu'il vivait dans les grandes sociétés, et qu'il voyait assez sou vent madame de Luxembourg. Il ne me donna aucun signe de vie à Trye et ne me fit rien dire par sa parente, mademoiselle Séguier, qui était ma voisine, et qui ne m'a jamais paru bien favorablement disposée pour moi. En un mot, l'engouement de M. de Saint-Brisson finit tout d'un coup, comme la liason de M. de Feins: mais celui-ci ne me devait rien, et l'autre me devait quelque chose, à moins que les sottises que je l'avais empêché de faire n'eussent été qu'un jeu de sa part; ce qui, dans le fond, pourrait très bien être.

J'eus aussi des visites de Geneve tant et plus. Les Deluc père et fils me choisirent Successivement pour leur garde-malade; le pere tomba malade en route; le fils l'était en partant de Geneve; tous deux vinrent se ré

tablir chez moi. Des ministres, des parents, des cagots, des quidams de toute espèce, venaient de Genève et de Suisse, non pas comme ceux de France, pour m'admirer et me persifler, mais pour me tancer et catéchiser. Le seul qui me fit plaisir fut Moultou, qui vint passer trois ou quatre jours avec moi, et que j'y aurais bien voulu retenir davantage. Le plus constant de tous, celui qui s'opiniâtra le plus, et qui me subjuga à force d'importunité, fut un M. d'Ivernois, commerçant de Genève, Français réfugie, et parent du procureur général de Neuchâtel. Ce M. d'Ivernois, de Genève, passait à Mọtiers deux fois l'an, tout expres pour m'y venir voir, restait chez moi du matin au soir plusieurs jours de suite, se mettait de mes promenades, m'apportait mille sortes de petits cadeaux, s'insinuait malgré moi dans ma confidence, se mêlait de toutes mes affaires, sans qu'il y eût entre lui et moi aucune communion d'idées, ni d'inclinations, ni de sentiments, ni de connaissances. Je doute qu'il ait lu dans toute sa vie un livre entier d'aucune espèce, et qu'il sache même de quoi traitent les miens. Quand je commençai d'herboriser, il me suivit dans mes courses de botanique, sans goût pour cet amusement, et sans avoir rien à me dire, ni moi à lui. Il eut même le courage de passer avec moi trois jours entiers tête à tête dans un cabaret à Gaumoins, d'où j'avais cru le chasser à force de l'ennuyer et de lui faire sentir combien il m'ennuyait; et tout cela sans qu'il m'ait été possible jamais de rebuter son incroyable constance, ni d'en pénétrer le motif.

Parmi toutes ces liaisons, que je ne ils et n'entretins que par force, je ne dois pas omettre la seule qui m'ait été agréable, et à

laquelle j'aie mis un véritable intérêt de cœur: c'est celle d'un jeune Hongrois qui vint se fixer à Neuchâtel, et de là à Motiers, quelques mois après que j'y fus établi moimême. On l'appelait dans le pays le baron de Sauttern, nom sous lequel il avait été recommandé de Zurich. Il était grand et bien fait, d'une figure agréable, d'une société liante et douce. Il dit à tout le monde, et me fit entendre à moi-même qu'il n'était venu à Neuchâtel qu'à cause de moi, et pour former sa jeunesse à la vertu par mon commerce. Så physionomie, son tôn, ses manières, me parurent d'accord avec ses discours; et j'aurais cru manquer à l'un des plus grands devoirs en éconduisant un jeune homme en qui je ne voyais rien que d'aimable et qui me recherchait par un si respectable motif. Mon cœur ne sait point se livrer à demi. Bientôt il eut toute mon amitié, toute ma confiance; nous devînmes inseparables. Il était de toutes mes courses pédestres; il y prenait goût. Je le menai chez milord maréchal, qui lui fit mille caresses. Comme il ne pouvait encore s'exprimer en français, il ne me parlait et ne m'écrivait qu'en latin: je lui répondais en français, et ce mélange des deux langues ne rendait nos entretiens ni moins coulants, ni moins vifs à tous égards. Il me parla de sa famille, de ses affaires, de ses aventures, de la cour de Vienne, dont il paraissait bien connaître les détails domestiques. Enfin, pendant près de deux ans que nous passâmes dans la plus grande intimité, je ne lui trouvai qu'une douceur de caractère à toute épreuve, des mœurs non-seulement honnêtes, mais élégantes, une grande propreté sur sa personne, une décence extrême dans tous ses discours, enfin toutes les marques d'un homme bien

LES CONFESSIONS

T V. - 4

né, qui me le rendirent trop estimable pour ne pas me le rendre cher.

Dans le fort de mes liaisons avec lui, d'Ivernois de Genève m'écrivit que je prisse garde au jeune Hongrois qui était venu s'établir auprès de moi; qu'on l'avait assuré que c'était un espion que le ministre de France avait mis près de moi. Cet avis pouvait paraître d'autant plus inquiétant que dans le pays où j'étais tout le monde m'avertissait de me tenir sur mes gardes, qu'on me guettait, et qu'on cherchait à m'attirer sur le territoire de France, pour m'y faire un mauvais parti.

Pour fermer la bouche une fois pour toutes a ces ineptes donneurs d'avis, je proposai à Sauttern, sans le prévenir de rien, une promenade pédestre à Pontarlier; il y consentit. Quand nous fûmes arrivés à Pontarlier, je lui donnai à lire la lettre de d'Ivernois; et puis, l'embrassant avec ardeur, je lui dis: «Sauttern n'a pas besoin que je lui prouve ma confiance, mais le public a besoin que je lui prouve que je la sais bien placer. » Cet embrassement fut bien doux; ce fut un de ces plaisirs de l'âme que les persécuteurs ne sauraient connaître, ni les ôter aux opprimés.

Je ne croirai jamais que Sauttern fût un espion, ni qu'il m'ait trahi; mais il m'a trompé. Quand j'épanchais avec lui mon cœur sans réserve, il eut le courage de me fermer constamment le sien, et de m'abuser par des mensonges. Il me controuva je ne sais quelle histoire, qui me fit juger que sa présence était nécessaire dans son pays. Je l'exhortai de partir au plus vite: il partit; et quand je le croyais déjà en Hongrie, j'appris qu'il était à Strasbourg. Ce n'etait pas la première fois qu'il y avait été. Il y avait jeté

« ZurückWeiter »