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Il faut gémir sur le sort de la France! Quels ministres sont chargés de la conduire à travers tant de périls! quels hommes pour se mesurer à la hauteur des choses qui s'amoncellent autour de nous! Croyez-vous qu'ils songent enfin à s'en éloigner, dans la crainte d'en être écrasés ? Loin de là: s'ils croyoient les choses aussi importantes, aussi menaçantes qu'elles le sont, ils les regarderoient comme une heureuse distraction à l'attention publique; ils s'enfouiroient dans la grandeur des événements, et s'y feroient si petits qu'on ne les verroit plus.

Mais ils n'en sont pas même là; ils n'ont pas même l'instinct de la chose du moment, le sentiment de ce qui existe; ils ne comprennent pas la position où nous sommes; ils reposent dans cette sécurité de l'incapacité qui se contemple dans son mérite et s'admire dans ses œuvres. Qu'ont-ils vu, qu'ont-ils pu voir dans les républiques du Nouveau Monde, dans la mort d'Alexandre? Des accidents naturels, qui ne font rien à la France, qui ne valent pas la peine d'y penser. A quoi songent-ils donc ? A la session prochaine, comme ils songeoient il y a deux mois aux 3 pour 100. Alexandre est mort: peu importe. Il est bien plus essentiel de savoir dans quel esprit ce député arrive du fond de son département; il faut l'épier à la descente de sa voiture, le prévenir, apaiser son humeur par tous les moyens cela fait, le ministère est sauvé, et avec le ministère, la France, l'Europe, le monde.

Et c'est au milieu des ténèbres de la politique extérieure que la session va s'ouvrir : que feront et que diront les ministres? S'ils présentent des lois importantes, seront-elles votées? M. le président du conseil auroit-il aujourd'hui le crédit de faire adopter un plan de finances quelconque, à moins que ce ne fût un plan qui le condamnât lui-même? Pourroit-il venir aujourd'hui nous parler à la tribune de ses prévisions, de la certitude qu'il auroit du succès de ses opérations? Chaque mot tombé de sa bouche feroit rire ou pleurer.

Paris, le 11 janvier 1826.

Il ne faut juger le dernier événement de Pétersbourg ni avec des passions, ni avec des systèmes, mais avec la raison.

Voilà une insurrection militaire pour Constantin dans la ville, dans le corps de troupes où on lui supposoit le moins de partisans. Ce n'est peut-être qu'une échauffourée, qui n'aura aucune suite; mais c'est peut-être aussi un mouvement qui peut se répéter dans toute l'armée.

sur tous les points de l'empire, et particulièrement à Moscou, en Poiugne et en Bessarabie. Voilà deux mille soldats qui ont un dessein, qui l'exécutent avec ordre, et qui refusent de reconnoître et d'écouter leur empereur Nicolas; des soldats qui se forment en bataillon carré, qui tirent les premiers, et contre lesquels on est obligé d'employer le canon. Au régiment de Moscou viennent se réunir les leib, grenadiers, les marins de la garde et le peuple. Le général commandant de SaintPétersbourg est tué; deux autres généraux sont blessés. Il est rare que dans une bataille sanglante on perde autant d'officiers supérieurs; le tout finit par la déroute des insurgés : deux cents hommes, nous dit-on, restent sur le champ de bataille; et l'on sait que les bulletins officiels ne comptent pas exactement les morts: on en croira ce qu'on voudra.

Cependant, après la victoire, nous voyons les troupes fidèles obligées de bivouaquer autour du palais impérial pour le garder. Constantin, d'un autre côté, ne paroît pas avoir quitté Varsovie : pourquoi n'a-t-on encore de lui aucun manifeste pour blâmer et apaiser les troubles? Le grand-duc Michel est arrivé à Pétersbourg le jour même où l'on proclamoit Nicolas empereur : ce n'est donc pas sur le message dont il pouvoit être porteur que la proclamation avoit eu lieu? Que renfermoit le manifeste de Nicolas I, pièce qui, très-remarquable selon l'Étoile, expose avec beaucoup de détail et de clarté l'historique de la renonciation de Constantin, et les actes qui la constatent y sont annexés en entier. Il sembleroit pourtant que cette pièce n'a pas paru assez claire à une partie du peuple et à un grand nombre de soldats, puisqu'ils ont pris les armes. Pourquoi ne nous a-t-on pas donné hier, ou du moins ce matin, cette pièce remarquable?

Quelle sera pour l'Europe la conséquence de ce mouvement? Une inquiétude fort motivée pour l'avenir: on pourra craindre le retour de ces scènes violentes. La Russie, mêlée désormais au système de l'Europe, ne sauroit être troublée sans que le monde s'en ressente. Qu'il arrive quelque autre accident dans d'autres États, et de cette complication d'événements naîtra une politique nouvelle, dans laquelle on sera malgré soi entraîné. La France, avec une partie de son armée en Espagne, avec l'état de son matériel de guerre et la dégradation de ses places frontières, avec son crédit ébranlé et ses déplorables opérations de finances, avec le mécontentement général de l'opinion, avec l'impopularité et l'incapacité de ses ministres, est-elle dans une position à attendre les grands événements que l'on peut prévoir?

Espérons que l'union de la famille impériale de Russie, que les vertus de ses princes étoufferont ces semences de discorde; mais

n'est-il pas probable aussi que le cabinet de Saint-Pétersbourg sera obligé de satisfaire l'opinion du pays? Une guerre religieuse et populaire, appelée par tous les vœux des Russes, peut mettre fin, comme dans l'ancienne Rome, aux divisions intestines, et devenir le gage d'une réconciliation complète. Les soldats, occupés ailleurs, n'auront plus qu'à suivre avec joie l'empereur et les princes qui marcheront à leur tête. La Russie a été trop longtemps jouée à Constantinople par une double politique : le sentiment de son honneur comme de sa sûreté finira tôt ou tard par déterminer ses résolutions.

De ces considérations élevées, n'est-ce pas trop descendre que de retomber à notre ministère? Que pense-t-il de tout cela? Rien. Qui sait pourtant? Il voit peut-être des raisons de sûreté pour lui dans les troubles extérieurs. Si les nations se battent au dehors, on nous dira que c'est le moment de rester tranquille, le moment de faire le mort pour profiter de ces divisions; on nous dira que si l'on marche vers l'Orient, ou si l'on s'agite à Varsovie, on ne viendra pas nous troubler chez nous. Nos grands ministres croient peut-être que la France, dans une monarchie représentative, avec un gouvernement public, peut s'anéantir au milieu des peuples, laisser, s'il y a lieu, partager la Grèce, et se tapir sous le portefeuille de M. le président du conseil. Ils sont gens à rêver cela, à s'applaudir de la profondeur de leur politique. Ils bravent pour leur compte tous les événements : ils n'ont pas besoin de se courber pour les éviter, leur petitesse leur permet de passer dessous, mais du moins devroient-ils songer au trône, qui, plus élevé, peut se trouver exposé à la violence de la tempête.

En attendant, remercions nos rois de nous avoir donné ces institutions qui ne font pas dépendre le sort de la couronne et celui des peuples du caprice d'une garde prétorienne; ces institutions qui établissent dans l'État une autre force que la force des baïonnettes; ces institutions où les intérêts publics, publiquement discutés, enseignent à tous leurs devoirs et apprennent à chacun ses droits. Ce sont pourtant ces institutions, aussi utiles au trône qu'à la nation ellemême, contre lesquelles des hommes sans jugement conspirent : l'absolutisme leur semble le chef-d'œuvre de l'esprit humain, la censure le port de salut. Ils appellent de tous leurs vœux, ils favorisent de toutes leurs intrigues un ordre de choses qui mèneroit en peu de temps à la perte de la monarchie légitime.

Paris, le 19 juillet 1826.

Nous avons exprimé nos regrets sur la manière dont la session a fini à la chambre des pairs. Depuis douze ans la noble chambre ellemême fait entendre les mêmes plaintes et les mêmes réclamations au sujet du budget. Il est dur de voter un milliard sans oser demander les améliorations que l'on croiroit nécessaires, dans la crainte de ne plus trouver personne à la chambre des députés ou d'entraver le service public.

Nous avons déjà remarqué que M. le président du conseil a répondu dans les dernières séances de la chambre héréditaire comme il répond presque toujours, c'est-à-dire qu'il n'a répondu à rien. Il est venu à propos des affaires de la Grèce lire une lettre de M. le contre-amiral de Rigny, qui disculpe les Français d'avoir pris part à un négoce infàme; mais l'auteur de l'amendement adopté par la chambre des pairs avoit-il accusé les François? N'avoit-il pas dit, au contraire: « Je veux croire qu'aucun navire françois n'a taché son pavillon blanc dans ce damnable trafic; qu'aucun sujet des descendants du saint roi qui mourut à Tunis n'a eu la main dans ces abominations: mais quel que soit le criminel, que je ne cherche point, le crime certainement a été commis. Or, il me semble qu'il est de notre devoir rigoureux de le tenir au moins sous le coup d'une menace. »>

La lettre explicative de l'ancien ministre des affaires étrangères, citée par M. de Rigny, avoit déjà été citée textuellement par les journaux ministériels. Que disoit-elle, cette lettre? Rien que de très-naturel qu'il ne falloit pas prendre un pacha qui voyage paisiblement avec ses esclaves, ou qui les envoie d'un port à l'autre sous un pavillon chrétien, pour un marchand qui vend de malheureux prisonniers de guerre et qui fait la traite des blancs. Il n'étoit pas question, dans l'amendement adopté, des canons qui ont foudroyé Missolonghi. M. le président du conseil a donc battu la campagne. Que ne répondoit-il plutôt à l'article des vaisseaux de guerre bâtis à Marseille pour le pacha d'Égypte, sous le prétexte d'une odieuse neutralité? Que ne s'attachoit-il à prouver que la caisse militaire d'Ibrahim n'a pas été portée par un bâtiment françois d'Alexandrie en Morée, et qu'il dise si cet argent de moins pour la solde des troupes égyptiennes n'auroit pas pu changer le sort de la campagne?

La vérité est que M. le président du conseil a été vivement blessé de l'amendement en faveur des Grecs, non par le côté matériel qu'il affecte de défendre, mais par le côté politique. Il a très-bien senti que la chambre des pairs, en se prononçant dans cette question, condam-

noit la diplomatie du ministère, et donnoit le signal à l'opinion européenne. En effet, la chose est arrivée ainsi : c'est depuis le vote de la chambre des pairs que l'enthousiasme pour la Grèce a réveillé les princes chrétiens et forcé les gouvernements à désavouer, du moins des lèvres, si ce n'est du cœur, une politique aussi misérable que barbare. Rien de satisfaisant en réponse aux calculs de M. le comte Roy : quand un homme aussi habile que ce noble pair se croit obligé d'annoncer qu'il tait une partie des maux qu'il voit; quand le noble comte, qui s'est retiré de la caisse d'amortissement pour ne pas mentir à ses principes, garde un douloureux silence; quand un noble baron signale les dangers de notre position extérieure, sans qu'on daigne s'expliquer sur cette position, on est obligé de convenir que l'on est conduit par cette espèce de despotisme de l'incapacité entêtée qui, bravant les forces morales, se retranche dans le fait de son existence physique.

M. le président du conseil a parlé de ses ennemis : en Angleterre, un ministre parle de ses adversaires; car lorsqu'il a des ennemis, et des ennemis nombreux, il est un inconvénient pour le monarque, un obstacle au gouvernement, et il se retire. Mais quels sont donc les ennemis que M. le président du conseil veut signaler? Seroit-ce par hasard ses anciens amis? A-t-il rejeté leur personne et renié leurs principes de manière à les obliger de s'éloigner de lui? A-t-il porté les premiers coups, et ne fait-on que les lui rendre? S'est-il imaginé qu'il pouvoit changer d'opinion, rompre les liaisons les plus intimes, blesser l'amitié et l'honneur, frapper au hasard sur tous les royalistes, sans distinction de talents, de services, de position sociale; commettre des fautes de toutes les espèces, se contredire à toutes les phrases comme dans tous les faits? S'est-il imaginé qu'il pouvoit agir de la sorte, et que tout cela seroit trouvé bon, parfait, admirable?

Il fut un temps où M. le président du conseil n'avoit à combattre que cette opposition naturelle qui éclaire le pouvoir. L'immense majorité du public étoit pour lui; il trouvoit dans ses amis cette partie de Įopularité qui lui manque et qui lui manquera toujours. Il vivoit en paix et en joie sous le bouclier d'une opinion que lui apportoient des hommes qui disposent à tort ou à raison de cette opinion. Qu'il descende maintenant dans sa conscience; qu'il se demande quand et comment les divisions ont commencé! depuis quelle époque les vieux serviteurs du roi et les amis des libertés publiques se sont à la fois retirés de lui! Qu'il dise si depuis le jour de l'isolement volontaire où il s'est placé il a eu un seul moment de repos! Il a conservé le pouvoir; mais quel pouvoir ! et à quel prix l'a-t-il acheté!

VIII.

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