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nion, elles sont si foibles qu'on peut à peine les apercevoir et qu'elles ne tombent sous aucune dénomination connue.

Pour bien comprendre ce que c'est que le parti royaliste et le parti révolutionnaire, il faut remonter à une époque reculée.

Dès l'origine de nos malheurs, l'Europe, singulièrement abusée, se figura que le parti de la révolution étoit le parti de la liberté, que ceux qui s'opposoient à cette révolution étoient une petite classe de privilégiés attachés à un régime oppresseur. Depuis la restauration, les révolutionnaires n'ont pas manqué de répéter qu'ils vouloient la liberté et que les royalistes vouloient l'ancien régime, la féodalité ou l'esclavage. Les ministériels, pour justifier leur système et leurs injustices, ont joint leur voix à celle des révolutionnaires; et l'Europe, que l'immortel Burke n'avoit pu détromper, a bien voulu croire sur parole les révolutionnaires et les ministériels, c'est-à-dire la démocratie et la domesticité. Voilà l'erreur.

Voici la vérité : ce n'est point la liberté, c'est l'égalité absolue qui a été le principe réel et qui forme encore le vrai caractère de la révolution françoise. Pour s'en convaincre il suffit de remarquer que la liberté a toujours succombé dans nos troubles, qu'elle a subi le joug de Robespierre, du Directoire et de Buonaparte, tandis que l'égalité absolue s'est constamment maintenue. Les révolutionnaires ont conservé cette égalité sous la démocratie de la Convention comme sous le despotisme de l'empire. Les distinctions de Buonaparte n'établissoient pas de véritables rangs, vu qu'il n'avoit fondé ni pairie ni noblesse ayant des droits politiques : c'étoit toujours l'égalité masquée en baron, comte ou duc.

Ce principe de l'égalité absolue existe encore aujourd'hui, et c'est le plus grand obstacle à l'établissement du gouvernement constitutionnel; car l'égalité absolue s'accommode du despotisme, qui nivelle tout, mais ne peut s'arranger d'une monarchie, qui établit une distinction de pouvoirs.

La liberté est le sentiment des âmes élevées : elle produit les grandes actions, crée les grandes patries et fonde les institutions durables; elle se plaît dans l'ordre et la majesté; elle s'allie avec tous les gouvernements, hors avec le despotisme.

L'égalité absolue est la passion des petites âmes : elle prend sa source dans l'amour-propre et l'envie, elle enfante les basses résolutions et tend sans cesse au désordre et au bouleversement.

Principe naturel de la démocratie et du despotisme, l'égalité absolue est d'autant plus dangereuse, quand son esprit domine chez un peuple, qu'elle ne peut être satisfaite qu'en régnant sur des tombeaux. Ce

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qu'elle attaque est une chose qu'on peut détruire, mais qu'on ne sauroit vaincre. Persécutez tant qu'il vous plaira la noblesse, vous ne l'empêcherez pas d'exister; vous abolirez les droits, vous n'effacerez pas les noms pour anéantir la noblesse, il faut tuer tous les individus nobles. L'égalité absolue est donc un principe de mort elle ne peut rien fonder, parce que rien ne peut s'élever auprès d'elle, pas même la liberté, qui est une supériorité réelle, comme la vertu. Aussi remarquez que les révolutions les plus sanglantes et les moins durables sont celles où l'égalité absolue a dominé. Rome établit la liberté avec la distinction des rangs; sa révolution, dans le premier moment, ne coûta la vie qu'à Lucrèce; six cents ans de vertus et l'empire du monde furent le prix de cette modération républicaine.

Ce principe posé, vous allez sur-le-champ découvrir le véritable esprit du parti royaliste et du parti révolutionnaire.

Les royalistes sont en France les hommes qui veulent la liberté, avec l'égalité devant la loi, avec l'égale admission aux places et aux honneurs, avec la faculté d'atteindre à tous les rangs; mais ils repoussent l'égalité absolue, incompatible avec une monarchie constitutionnelle. Les révolutionnaires veulent l'égalité absolue, et n'ont aucun amour sincère de la liberté.

Ouvrez les écrits des révolutionnaires et des royalistes, vous y remarquerez ces nuances d'opinion fortement prononcées.

Dans les écrits des révolutionnaires, vous distinguerez une haine violente du clergé et de la noblesse, comme de toute supériorité sociale; vous y trouverez le vœu bien formel de la division des propriétés, ce qui conduit à la loi agraire, par la loi agraire à la démocratie, et par la démocratie au despotisme. Mais en même temps ces écrits ne présentent qu'une très-molle défense de la liberté : leurs auteurs ont une tendance naturelle à flatter le pouvoir; tantôt, selon leurs intérêts du moment, ils prêchent la tyrannie ministérielle; tantôt ils attaquent les tribunaux, sollicitent des mesures arbitraires, invitent à proscrire une classe d'hommes et proposent libéralement de faire des ilotes.

Les écrits des royalistes expriment au contraire un vif et sincère amour de la liberté : on y remarque une extrême indépendance d'opinion et de caractère, une franche horreur de l'arbitraire; mais aussi une haine bien prononcée de l'égalité démocratique, un penchant bien décidé aux hiérarchies sociales, sans lesquelles aucune monarchie ne peut exister, un désir bien sincère de voir s'accroître la grande propriété, qui seule fonde les familles et donne à la fois des défenseurs aux rois et aux peuples.

Tels sont réellement et dans leur esprit les deux partis, révolutionnaire et royaliste. Nous les montrons sous leur véritable jour, et ce jour paroîtra peut-être nouveau : tant sur ce point les erreurs étoient étranges!

Les royalistes sont donc les défenseurs de la liberté sans l'égalité absolue; les révolutionnaires sont les soutiens de l'égalité absolue "sans la liberté.

Les royalistes ont toujours soumis au roi leur cœur et leur épée, mais ils n'ont jamais abandonné à personne leurs droits légaux et leur liberté acquise; les révolutionnaires s'arrangeroient de Constantinople, pourvu qu'il y eût égalité d'esclavage.

Révolution dans la bouche des révolutionnaires ne veut pas dire liberté, mais égalité absolue.

Révolution dans la bouche des royalistes veut dire absence de liberté, égalité absolue, nivellement complet, ou démocratie.

Les seuls hommes qui veulent véritablement la Charte sont les royalistes, parce qu'elle proclame la légitimité dans le roi qui a donné cette Charte, parce qu'elle fonde la liberté avec la distinction des rangs; toutes choses reconnues de tous temps des royalistes.

Les révolutionnaires ne veulent point la Charte parce qu'elle établit une monarchie légitime, une noblesse, un pouvoir qui n'est point le despotisme, une liberté qui n'est point la démocratie, une égalité de droit devant la loi qui n'est point une égalité absolue.

Les royalistes ne sont donc point les soutiens d'un arbitraire gothique; les révolutionnaires ne sont donc point les défendeurs d'une liberté constitutionnelle.

Ainsi s'évanouissent par cette explication de l'esprit du parti royaliste et du parti révolutionnaire toutes les idées fausses que l'on pouvoit en avoir conçues. Mettons maintenant en lumière le troisième parti, et voyons ce que c'est que le système ministériel.

Ce système a son langage, ses prétentions et ses actions : il ne peut pas toujours déraisonner; mais quand il fait entendre quelque chose de bon sens, il ne fait que répéter la doctrine des royalistes, car (remarque essentielle) toutes les fois que les ministériels et les révolutionnaires veulent en imposer sur leurs vrais sentiments, ils n'ont d'autre ressource que de dire ce que nous avons dit longtemps avant

eux.

Cent fois nous avons déclaré que le rétablissement de l'ancien régime étoit impossible, que les éléments de ce régime étoient à jamais détruits, qu'il falloit donc suivre le mouvement politique du siècle, que la Charte satisfaisoit à tous les besoins nouveaux. Nous

avons fait un million de fois l'éloge du gouvernement constitutionnel; et si ce gouvernement est maintenant connu et entendu de la France, nous osons dire que c'est nous qui l'avons rendu populaire, par les explications que nous en avons données.

Or donc, quand le système ministériel parle constitution, qu'avance-t-il que nous n'ayons avancé? Mais les ministériels ne sont que des écoliers ignorants qui répètent mal nos leçons, car au fond ils aiment peu les institutions libres. Élevés sous la férule du despotisme, ils violent à chaque moment cette Charte qu'ils n'entendent pas; ils n'ont d'autre but que de garder leurs places, d'autre système que d'établir l'arbitraire. Tous ces hommes de police et d'antichambre à qui l'on a donné la Charte à exécuter en font entre eux des espèces de répétitions, comme des musiciens que l'on forceroit à jouer sur des instruments dont ils n'auroient aucune pratique : c'est une cacophonie effroyable.

Mais quittons la théorie du système ministériel, et voyons comment il agit dans la pratique. La prétention de ce système est de ne verser ni dans le sens des royalistes ni dans le sens des révolutionnaires, d'observer un juste milieu : on va juger si cette prétention a quelque chose de raisonnable,

En premier lieu on peut maintenir l'équilibre entre deux opinions politiques quand ces deux opinions, différentes sous plusieurs rapports, n'attaquent cependant pas le fond de la chose établie. Mais si dans une monarchie deux opinions s'élèvent; si l'une de ces deux opinions, tout erronée qu'on la suppose, est néanmoins monarchique, et si l'autre est démocratique ou républicaine, doit-on tenir la balance égale?

En second lieu on peut essayer de maintenir l'équilibre entre les deux opinions hostiles; mais pour les faits et pour les hommes il n'y point d'équilibre possible : la trahison et la fidélité, le vice et l'innocence, ne sont point matières semblables que l'on puisse mettre dans la balance. Combien faut-il de vertus pour peser autant qu'un crime? ou combien faut-il de crimes pour égaler le poids d'une vertu?

Que l'on eût pour système de confier les places à des hommes nouveaux, qui n'auroient commis aucun excès, qui n'auroient appartenu à aucune époque de la révolution, qui n'auroient trahi ni la république, ni Buonaparte, ni le roi, qui n'auroient point servi l'usurpateur pendant les Cent Jours, ni suivi à Gand le souverain légitime, on pourroit comprendre en politique cette froide impartialité. Mais placer également un royaliste et un jacobin, celui qui a rempli tous ses devoirs et celui qui les a violés tous, celui qui a fait le bien et celui

qui a fait le mal, ce n'est plus un équilibre, c'est tout simplement une monstruosité morale, un véritable crime politique, qui tôt ou tard amèneroit la destruction d'un État.

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Eh bien, le système ministériel n'en est pas même à ce point d'impartialité tout en prétendant qu'il maintient l'équilibre entre les opinions et les hommes, il se jette entièrement du côté démocratique. Toutes les concessions sont faites à la révolution; toutes les lois, du moins les lois principales, sont conçues dans le sens de l'opinion démocratique; les royalistes sont chassés de l'administration, des tribunaux, de l'armée un service rendu à la monarchie légitime est une cause sûre d'exclusion. Malheur à celui qui a donné le scandale de la fidélité! Plus la félonie est récente, plus elle est recherchée; on la choisit fraîche et nouvelle, pour qu'elle soit vive et durable : l'ancienne félonie de 1793 est si vieille qu'elle est presque de la fidélité. On demande surtout pour députés les députés des Cent Jours, pour juges et pour préfets les juges et les préfets des Cent Jours. L'obscurité de la trahison ne met pas à l'abri des bienfaits du ministère : si quelque adjoint d'une mairie de campagne a prêté à l'usurpateur un serment inconnu, les ministres vont déterrer ce mérite caché, chercher la vertu antimonarchique à la charrue; la trahison a ses Cincin

natus.

Pour justifier cette indigne partie du système, on dit qu'il faut rattacher les ennemis de la légitimité à la légitimité.

Mais, en employant ces hommes, qui vous oblige à chasser les royalistes? L'admission des premiers est-elle de nécessité l'exclusion des seconds?

Dans tous les temps on a été obligé de capituler avec quelques chefs de factieux; dans tous les temps on a négligé quelques serviteurs, oublié quelques services. Vous falloit-il des victimes choisies, vous pouviez les prendre les plus fidèles étoient les plus résignées. Mais a-t-on jamais poussé l'absurdité au point d'écarter tous ses amis pour ne s'environner que de ses ennemis? Ce spectacle d'ingratitude est pour le peuple la plus violente des tentations et la plus profonde des corruptions morales et politiques. Qui servira si on ne récompense jamais? Qui ne voudra trahir si les honneurs et la fortune sont le prix de la foi violée? Quelle démence de confier la monarchie à la démocratie, la paix du monde à ceux qui n'ont cessé de la troubler! Le vieux billon de la Convention nationale, frappé au coin ministériel, ne change pas pour cela de valeur et de nature: cette prétendue monnoie royale garde toujours l'empreinte des faisceaux révolutionnaires et du bonnet rouge.

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