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Croyez-vous gagner les ennemis du roi en leur livrant toutes les places? Au 20 mars n'étoient-ils pas comblés de faveurs, et quelle reconnoissance en ont-ils montrée? Aujourd'hui ils seroient encore bien plus prompts à vous trahir : vous leur avez fait de leur défection une vertu patriotique. Pleins de la bonne conscience de leur mauvaise foi, ils marchent la tête haute et le front paré de vos couronnes. Vos bienfaits ne leur prouvent que votre crainte ou votre sottise. Le mépris que vous inspirez est pour vous un asile peu sûr : ces ministres de l'empire romain qui au moment de la catastrophe se cachoient dans des lieux infects y trouvoient-ils un abri?

Ce système ministériel, dont les conséquences sont si funestes, n'a pour appui que les hommes les plus médiocres et ces agents du pouvoir qui reçoivent de leurs émoluments leur conscience et leur pensée. Ce système n'est qu'une machine révolutionnaire, où l'on restaure les vieux jacobins et où l'on en fabrique de nouveaux. Se rassurer sur la paix qui règne en France seroit bien mal comprendre les choses. Cette paix vient, pour le répéter encore une fois, de la lassitude des peuples; elle vient du triomphe complet que la faction révolutionnaire a obtenu au moyen du système ministériel: on ne s'agite pas lorsqu'on triomphe. En France, nous l'avons déjà dit, si nous étions jamais assez malheureux pour éprouver une revolution nouvelle, cette révolution n'arriveroit point par le peuple : quand la loi des élections aura produit une chambre tout à fait démocratique ; quand la loi du recrutement aura corrompu l'esprit de l'armée; quand le système ministériel aura chassé tous les officiers royalistes, tous les magistrats royalistes, tous les administrateurs royalistes, une révolution pourroit être l'affaire d'une proclamation. Voilà ce qu'il faut voir, si l'on est homme d'État tel seroit le résultat certain du système ministériel, si ce système étoit encore de longue durée.

Il est temps que la monarchie européenne songe à son salut : nonseulement elle a à lutter contre la révolution françoise ranimée par notre système ministériel, mais encore contre l'esprit général du siècle et contre un obstacle né d'un changement arrivé dans l'ordre politique.

Avant l'émancipation des États-Unis on ne connoissoit de républiques dans les temps modernes que celles de l'Italie, de la Suisse et de la Hollande : les premières n'étoient que des rendez-vous de plaisirs, les dernières que des pépinières de soldats et de matelots. L'homme qui rêvoit constitution populaire n'avoit d'autre ressource que l'histoire exilé dans le passé, et citoyen des ruines de Rome, il ne troubloit point la paix du monde. Il pouvoit, au milieu des tom

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beaux, s'enthousiasmer pour les maximes républicaines, comme cet Athénien qui, s'asseyant au théâtre vide, applaudissoit aux acteurs absents, aux pièces qu'on ne donnoit pas.

Aujourd'hui vous avez devant vous une vaste république de plus en plus florissante : sa population augmente chaque jour; déjà eile s'avance vers l'océan Pacifique et va chercher la Russie sous les glaces du pôle. Là règne le principe de la souveraineté du peuple. L'esprit démocratique de l'Europe ne puise-t-il pas à cette source toujours ouverte ? Si les rois favorisent encore cet esprit, s'ils appuient les systèmes qui le propagent, s'ils proscrivent les principes et les hommesqui le combattent, comment conserveront-ils leurs couronnes? Que les colonies espagnoles passent à l'état républicain, le principe monarchique en Europe n'en sera-t-il pas de plus en plus attaqué?

Les anciens peuples vivoient dans une espèce d'isolement les uns des autres chaque nation, confinée à son territoire, et pour ainsi dire renfermée dans le cercle de ses lois, n'entendoit parler des nations voisines que quand le commerce ou la guerre amenoit à ses ports ou à ses frontières des marchands ou des soldats.

La croix changea le monde : sur les ruines de l'ancienne société s'établit la grande famille chrétienne, qui reçut dès sa naissance tous les germes de la civilisation par la morale évangélique. Dans cette vaste communauté aucun État ne peut s'ébranler sans menacer d'entraîner les autres dans sa ruine.

Le lien maternel qui unissoit toutes les monarchies européennes étoit donc la religion. A mesure que ce lien s'est relâché, la société s'est disjointe; et quand la révolution est venue le briser, les empires croulants ont semblé rentrer dans le chaos.

Veut-on renouer ce lien salutaire? Verrons-nous fonder des institutions politiques sur des bases religieuses? Rétablira-t-on cette justice éternelle qui est elle seule toute une constitution? Un souverain qui auroit conçu un pareil projet mériteroit les bénédictions de la terre.

Quoi qu'il en soit, il faut qu'on apprenne une dernière vérité : si la France a été le foyer des doctrines qui ont troublé l'ordre social, la France néanmoins est plus près de l'ordre et du repos qu'aucune autre nation de l'Europe. La maladie est passée pour nous; elle commence pour nos voisins. A l'abri de toute entreprise militaire par notre force et notre courage, nous ferions encore la loi si on avoit la prétention de nous la donner: ainsi, tranquilles sur notre position extérieure, notre position intérieure est telle que, si nous pouvons être facilement perdus, nous pouvons être encore plus facilement sauvés. Que le système ministériel tombe, avec lui disparoîtra une centaine

de jacobins, de petits administrateurs, de petits sophistes qui font seuls tous nos maux. On corrigera les mauvaises lois, on en fera de bonnes; on fondera les institutions aristocratiques qui manquent à nos libertés; on ne persécutera personne, mais on n'éloignera plus les honnêtes gens avec la paix de la France renaîtra la paix de l'Europe. Comment se fait-il que le bien soit si près du mal et qu'on ne puisse l'atteindre? Aurions-nous mérité que Dieu exerçât sur nous quelquesuns de ces conseils de justice qui échappent à notre vue? La Providence punit les nations obstinées. Alors elle rend impossible la chose la plus facile; elle fait que la folie triomphe de la raison, la stupidité du génie : si les innocents périssent par ses décrets avec les coupables, elle leur donne une récompense dans le ciel; mais les générations passent et sa volonté s'accomplit.

Paris, le 31 août 1819.

On n'est plus occupé à Paris que des élections. Les journaux indćpendants présentent leurs listes de députés; les journaux ministériels font l'éloge de ces députés désignés; c'est une merveilleuse concorde : à cette différence près toutefois que les indépendants traitent fort mał les ministériels, et que les ministériels se plaignent tendrement de la cruauté des indépendants.

La faction militaire voudroit nommer des généraux; la faction démocratique voudroit élire de bons jacobins; la faction ministérielle acceptera avec reconnoissance ce que ces fiers alliés consentiront à lui donner.

La position des royalistes est cruelle, nous en convenons. Objet de toutes les calomnies, de toutes les injustices, de toutes les ingratitudes, nous sommes offerts en sacrifice à la révolution, en dérision à la terre. Dans un mouvement de dépit, trop justifié par nos souffrances, nous pourrions être tentés de dire : « Eh bien, notre rôle est fini; nous ne nous ferons plus mettre en coupe réglée : que la monarchie se tire de ses lois ministérielles, de ses systèmes ministériels, de ses hommes ministériels, de ses amis de 1793 et des Cent Jours, comme elle pourra : cela ne nous regarde plus. Contents de cultiver notre champ à l'écart, Dous échapperons individuellement à la catastrophe. Nous avons déjà vécu sous Buonaparte; un autre usurpateur ne nous traitera pas plus mal. On nous renie? Nous nous éloignons en pleurant, mais nous nous éloignons. Nous n'admettrons jamais en principe le gouvernement de fait, mais nous nous y soumettrons. Nous cesserons d'immoler nos familles, nos biens et notre repos à une fidélité qui importune. »

Un mouvement de dépit peut faire tenir ce langage; mais, après tout, ce ne peut être qu'un mouvement bientôt réprimé. Quoi! vous seriez découragés parce que vos sacrifices sont méconnus! Mais s'ils étoient payés, ces sacrifices, que seriez-vous? Occuperiez-vous ce haut rang que la vertu vous donne, que la postérité vous conservera? Lorsque, dans les champs de la Vendée et de la Bretagne, vos pères, vos frères, vos fils tomboient en criant vive le roi! quand ils mouroient dans les prisons, quand ils versoient leur sang sur l'échafaud, songeoient-ils à la récompense que méritoit leur fidelité? Qui de vous n'aime encore mieux être un royaliste pauvre, dépouillé, insulté, oublié, que tel homme dont la fortune est aujourd'hui le mépris et le scandale du monde? S'il en est ainsi, de quoi vous plaignez-vous? Vous avez donc en vous-mêmes une récompense supérieure à tous les biens que l'on pourroit vous offrir; vous occupez donc la meilleure de toutes les places, puisque vous ne la voudriez pas changer contre celle qui vous procureroit richesses et honneurs. Royalistes, vous avez pour vous la force et la justice éternelle et la paix de la bonne conscience vous êtes donc puissants et heureux.

Mais souvenez-vous de la maxime Aide-toi, le ciel t'aidera. Les roya listes peuvent s'apercevoir que nous nous appliquons cette maxime nous-même, que nous donnons à leur service (en accumulant sur notre tête une foule de haines et de vengeances) des moments qu'il nous seroit plus doux de consacrer au repos. Mais quand il s'agit du salut de la monarchie est-il permis de rester tranquille spectateur d'un combat où le plus petit secours peut décider la plus grande victoire? Que les royalistes aillent donc voter à leurs colléges électoraux; qu'ils ne se laissent diviser par aucun intérêt de localité, de liaison ou de famille, c'est là le point capital; qu'ils se fassent entre eux tous les sacrifices d'amour-propre; qu'ils fixent leur choix sur des candidats capables de soutenir la cause royale, et qu'ils ne composent jamais avec cette espèce d'hommes qui, par une double lâcheté, se prosternent devant le crime et reculent devant la vertu.

Paris, le 24 septembre 1819.

Deux choses font les révolutions des empires, à savoir quand les événements sont grands et les hommes petits, ou quand les événements sont commmuns et les hommes extraordinaires. Dans le premier cas, les événements sont trop forts pour les hommes; ils les entraînent, et tout est détruit. Dans le second cas, les hommes sont

trop puissants pour les événements; ils les accroissent, mais il les maîtrisent, et tout est fondé.

Nous avons vu des catastrophes étonnantes : une antique religion ensevelie sous la pierre de ses autels, une monarchie de quatorze siècles renversée, un roi assassiné juridiquement par ses sujets, une république de quelques jours, un empire de quelques années. Des armées s'avancent et se retirent comme le flux et le reflux de la mer, le drapeau françois flotte sur les murs du Kremlin, et les peuples du Caucase campent dans la cour du Louvre; la légitimité chasse l'usurpation, et l'usurpation la légitimité; l'une et l'autre abandonnent tour à tour l'exil et le trône; la première se fixe enfin sur les fleurs de lis, la seconde est enchaînée sur un rocher à l'extrémité de la terre : tout rentre dans le silence, tout disparoît, tout s'évanouit; aucun personnage remarquable ne reste sur la scène, et au milieu des débris entassés on n'aperçoit plus que la main de Dieu.

Pourquoi les hommes n'ont-ils rien établi dans le cours de ces changements qui présentoient sans cesse l'occasion de finir une antique société et d'en commencer une nouvelle ? Pourquoi? Parce que les hommes étoient inférieurs aux événements, parce que leur génie raccourci n'étoit pas de taille à se mesurer avec la fortune. Chaque personnage de cette révolution croyoit devenir immortel à l'instant même où il tomboit dans l'oubli, comme cet empereur romain qui se faisoit appeler votre éternité la veille de sa mort : c'étoit prendre ce titre un jour trop tôt.

Les petits hommes d'État qui ont succédé à ces premiers révolutionnaires et qui nous gouvernent aujourd'hui ont aussi la prétention de travailler pour l'avenir, et, comme leurs prédécesseurs, ils ne sont pas de niveau avec les affaires du siècle. Il s'agissoit de reconstruire l'ordre social tout entier : se sont-ils même doutés de la nature du travail confié à leur inexpérience?

Les uns, jadis attachés à la police, sont cauteleux et madrés comme des esclaves; mais ils ne peuvent conduire les affaires, parce qu'ils ne savent rien par eux-mêmes et qu'ils ne possèdent que le secret d'autrui. Tout leur instinct consiste à donner des chaînes, parce qu'ils en portent, à inventer des conspirations pour multiplier les infâmes et les malheureux; mais, déjoués sans cesse par le gouvernement constitutionnel, qu'ils n'entendent pas, leur ruse est aujourd'hui misérable et leur arbitraire absurde. Les autres sont de petits litté rateurs sans talents, qui n'apportent dans la politique que les mécontentements de leur vanité blessée : ils ont fait de méchants ouvrages, ils ne peuvent nous pardonner nos souvenirs.

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