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sion de l'écrit, de ne pouvoir faire ainsi par cette suppression une loyale modification aux trois mois de prison et aux 50 francs d'amende ; il affirme que les juges doivent appliquer la loi, parce que c'est une loi. D'un autre côté, il s'en rapporte à la discrétion des juges pour la gravure une loyale modification est faite aux trois mois d'emprisonnement et aux 200 francs d'amende, et les portes de la même prison s'ouvrent pour laisser entrer l'auteur et sortir l'artiste.

Dans une autre occasion, le 17 juillet 1818, un autre auteur, accusé d'écrits séditieux, est condamné à 200 francs d'amende, sans emprisonnement, le tribunal usant de la faculté à lui donnée par l'article 463 du Code Pénal, de modérer la peine prononcée par l'article 367, c'està-dire la faculté d'appliquer à l'auteur la loi contre les écrits calomnieux, au lieu de la loi contre les cris et les écrits séditieux.

Pourquoi le tribunal n'auroit-il pas usé de la même faculté en faveur du premier auteur dont le ministère public lui-même avoit loué les intentions et les principes? Tout cela vient encore une fois du vague de la provocation indirecte. Joignez-y les articles du Code Pénal qui, se mêlant aux articles de la loi des cris séditieux, laissent aux juges la faculté de choisir entre deux lois, et d'appliquer deux peines différentes à des délits de même nature, vous sentirez, messieurs, combien il est urgent de faire cesser une pareille confusion.

Il est arrivé d'ailleurs ce qui arrive toujours à une mauvaise loi. le ministère public, chargé de la faire exécuter, les tribunaux, convaincus des dangers qu'elle offroit dans son application, se sont vus forcés de reculer devant elle. On a d'abord presque tout jugé; aujourd'hui on ne juge presque plus rien. Par exemple, messieurs, on porte dans Paris des cannes fort curieuses. Elles renferment dans la pomme, qui s'ouvre à volonté, une petite statue de Buonaparte. Pourquoi la police n'a-t-elle pas saisi ces cannes? pourquoi les tribunaux n'ont-ils pas jugé ceux qui les portent? Parce que la petite statue a pu être faite sans malice, comme le portrait de L'Enfant du Régiment. On peut trouver aussi qu'elle ne ressemble pas parfaitement au modèle: tous les yeux ne voient pas de la même manière. Voilà, messieurs, ce que c'est que la provocation indirecte au moyen de cette provocation tout peut être blanc ou noir. Le magistrat qui, ne voyant point le délit spécifié, est obligé de chercher la règle de son jugement dans sa conscience, finit par s'épouvanter de cette effrayante responsabilité : dans la crainte de punir l'innocence, il aime mieux absoudre le crime, ou plutôt il préfère ne pas appliquer la loi.

Je dois maintenant parler des deux opinions qui se sont manifestées dans la chambre, et qui ont également divisé la commission. Personne,

VIII.

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du moins jusque ici, n'a demandé le rejet absolu de la proposition du noble comte; mais ceux qui ne se décident pas pour l'adoption pure et simple se retranchent dans l'ajournement.

On cherche particulièrement le motif de l'ajournement dans le projet de loi présenté à la chambre des députés, sur la réparation des crimes et délits commis par la voie de la presse, etc. Ce projet de loi rapporte la loi sur les cris et écrits séditieux: d'où l'on conclut que la proposition qui nous occupe devient inutile.

Le noble rapporteur de votre commission avoit répondu d'avance à cette objection : « Le nouveau projet de loi, vous a-t-il dit, peut être longtemps discuté dans les chambres. Des obstacles qu'on ne prévoit pas peuvent même entraver ou suspendre cette discussion; et enfin, il pourroit résulter de cette discussion même que la loi ne seroit pas adoptée, et qu'ainsi la révocation de celle du 9 novembre qu'elle renfermoit se trouveroit ne pas exister. >>

La publication du nouveau projet de loi donne, messieurs, à ce raisonnement une force invincible. Tout porte à croire que ce projet ne passera pas dans les deux chambres, sans éprouver de nombreux amendements. Sous les apparences de la plus grande libéralité, il cache une espèce d'arbitraire légal le plus menaçant on y reconnoît ce mélange de licence et de police, de démocratie at de despotisme, qui caractérise l'esprit du moment.

Mais comment vient-on nous dire que ce projet de loi rapporte la loi des cris et écrits séditieux, lorsqu'au contraire il consacre cette loi, lorsqu'il la reprend, l'aggrave et s'incorpore, pour ainsi dire, avec elle? Remarquez surtout, messieurs, que la provocation indirecte (sujette à de si énormes abus) n'est point du tout détruite par le nouveau projet de loi; on y trouve le mot provocation employé sans spécification par cette équivoque peu digne de la sincérité d'une loi, évite de dire ce qu'on ne veut pas avouer, et on laisse au ministère public, aux jurés, aux juges, la faculté de rendre la provocation directe ou indirecte, selon les choses, les hommes et les temps.

on

Tandis que le jury sera constitué tel qu'il l'est aujourd'hui, que le choix des membres de ce tribunal appartiendra exclusivement aux autorités administratives, on pourra toujours craindre que toute la loi relative à la presse ne soit plus au profit des ministres que des écrivains.

Mais, dira-t-on, il est donc inutile de demander l'abrogation de la loi sur les cris séditieux, puisque selon vous elle se retrouve dans le nouveau projet de loi? Inutile, messieurs! Et depuis quand est-il inutile de demander ce qui est juste, bon et honorable, lors même qu'on n'obtiendroit aucun résultat positif? La manifestation des principes

d'équité et des opinions généreuses est toujours utile: c'est pour semer l'avenir.

Ceux donc qui veulent ajourner la proposition du noble comte parce que le nouveau projet de loi rapporte la loi des cris séditieux ne peuvent plus vouloir cet ajournement, s'il est vrai que la loi des cris séditieux entre en grande partie dans la nouvelle loi; car alors ils voient revenir sous une autre forme une loi qu'ils condamnent, et ils doivent en rapportant la proposition protester contre cette dangereuse métamorphose.

Ceux qui désirent l'ajournement parce qu'ils craignent de désarmer le gouvernement peuvent, de leur côté, voter sans scrupule pour la proposition, puisque la loi, qui leur semble en partie nécessaire, se reproduit dans le nouveau projet de loi. Je dirai même à ceux-ci, pour achever de les tranquilliser, que dans le cas où le nouveau projet de loi fût rejeté et la proposition adoptée il n'y auroit encore rien à craindre; car la proposition parvenue dans les portefeuilles des ministres pourroit y rester, et nous conserverions dans toute sa pureté la loi des cris séditieux.

Les motifs d'ajournement tirés du nouveau projet de loi me semblent donc peu concluants. Si on examine les raisons qui peuvent être indépendantes de ce nouveau projet, elles ne me paroissent guère plus décisives.

On vous a dit et on vous dira peut-être encore que si l'on abroge la loi des cris et écrits séditieux, il se formera une lacune dans votre législation. Jetez les yeux sur les articles du Code Pénal rapportés par le noble auteur de la proposition, et vous verrez que tous les cas de sédition sont prévus. Un noble pair, membre de la commission, a cru qu'il faudroit faire quelque chose pour remplacer l'article 8 en ce qui concerne les biens nationaux. Le noble pair ne s'est pas souvenu de la loi du 7 pluviôse an IX, qui met tout en sûreté à cet égard, sans parler d'un article formel de la Charte. « Les menaces, excès et voies de 'fait, dit cette loi du 7 pluviôse, exercés contre les acquéreurs de biens nationaux, seront punis de la peine d'emprisonnement, laquelle ne pourra excéder trois ans ni être au-dessous de six mois. »> On dit encore que le Code ne punit pas le délit ou le crime résultant de l'érection d'un drapeau qui ne seroit pas celui de la France. Mais en vérité, messieurs, si nous en étions à voir arborer des couleurs séditieuses, si l'on s'attroupoit autour de ces couleurs, disons-le franchement, ce seroit là une guerre civile. Il s'agiroit bien de la loi des cris et écrits séditieux ! Dans ce cas extrême, vous tomberiez sous les lois militaires, et vous seriez régis par le quatorzième article de la Charte, qui donne

au roi le pouvoir de faire les règlements et ordonnances nécessaires pour la sûreté de l'État.

Que si vous supposez que sans trouble c sans rébellion un homme seul s'amuse à promener dans les rues de nos cités des couleurs séditieuses, eh bien, il y a une policè contre les fous et des places à Charenton.

Il n'est pas rigoureusement vrai, d'ailleurs, qu'il n'y ait aucune peine prononcée contre l'érection d'un drapeau. Il existe des lois contre les emblèmes, contre les attroupements, contre tout ce qui fait naître des alarmes et excite à la sédition. Dans tous les cas, il faut bien hasarder quelque chose; si nous ne voulons jamais marcher sans lisière dans le gouvernement représentatif, s'il nous faut toujours des lois d'exception pour garder nos libertés, nous deviendrons comme ces esclaves qui perdent l'usage de leurs membres pour avoir porté trop longtemps des chaînes.

Une loi d'exception introduite dans une constitution libre est toujours une loi dangereuse. Prétendons-nous exister comme nation, hâtons-nous de nous réfugier dans des institutions fixes, qui nous servent d'abri contre les passions et l'incurie des hommes. Que nous resteroit-il si nous ne gardions pas soigneusement la Charte? Que pourrions-nous mettre entre nous et le pouvoir? Ne nous dissimulons pas que notre génie nous porte vers le despotisme militaire. Quand on promet à l'autorité de la rendre absolue, elle se laisse naturellement teater. Alors elle profite de tout ce qui peut discréditer des institutions qui l'arrêtent. Or, que faisons-nous depuis cinq ans? Combien de fois avons-nous manié et remanié ces institutions? Tous les pouvoirs de la société ont été pétris et repétris par nos mains. La chambre des députés, augmentée en 1815, est redevenue en 1816 ce qu'elle étoit en 1814, et va peut-être remonter en 1819 au nombre qu'elle avoit obtenu en 1815. La pairie a subi de nombreuses modifications; la couronne a cédé une partie de ses prérogatives; les lois ont rappelé des lois, les ordonnances ont contrarié les ordonnances. Même mobilité dans les hommes que dans les choses; à chaque instant et partout destitutions sur destitutions: les destituants ont passé comme les destitués, et les ministres eux-mêmes se sont succédé comme des ombres.

Les lois d'exception ont ajouté leur mal à ces maux, et c'est pour cela que nous devons demander l'abrogation de celle d'entre ces lois qui a le plus pesé sur nous. Puissent désormais les hommes qui veulent également la monarchiie et la liberté sentir qu'il est plus que temps de se réunir pour se sauver, eux, le roi et la France

Je vote pour la proposition.

OPINION

SUR LE

PROJET DE LOI RELATIF A LA SUSPENSION

DE LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE'

:

Messieurs, je n'approuve pas la maxime qui dit : Périsse la société plutôt qu'un principe. En matière de gouvernement, les vérités sont relatives et non pas absolues; les libertés publiques ne sont pas toutes renfermées dans les mêmes formes elles peuvent exister dans les institutions les plus diverses. Je comprends que selon les circons tances on modifie l'opinion qu'on pouvoit avoir eue sur telle ou telle loi, et qu'on admette dans un temps sans se contredire une mesure que l'on avoit repoussée dans une autre. Je crois qu'il est de la nature même de la liberté que les droits de cette liberté soient quelquefois suspendus: nier cette vérité, c'est fermer les yeux à la lumière, c'est rejeter tous les exemples de l'histoire. Les plus grands génies politiques, depuis Aristote jusqu'à Montesquieu, sont convenus qu'en certains cas il est utile aux peuples de se mettre à l'abri dans une sorte de despotisme légal et temporaire: on ne s'établit pas pour toujours dans le méchant asile où l'on se réfugie quelquefois pendant un orage. L'Angleterre (l'exemple en a déjà été cité à cette tribune) suspend souvent l'acte d'habeas corpus; Rome eut sa dictature, où tous les genres de liberté disparoissoient.

Un noble pair 2, dans un discours d'ailleurs très-remarquable, vous a dit hier, messieurs, qu'on ne pouvoit tirer aucune induction de la dictature romaine en faveur de la suspension d'une de nos libertés publiques. Sa raison est que la dictature appartenoit à une constitution républicaine, et que jamais les anciens ne se seroient avisés de

1. Cette opinion n'a pu être prononcée à la chambre des pairs dans la séance du 25 mars 1820, la discussion ayant été fermée.

2. M. le comte Daru.

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