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OPINION

SUR L'ARTICLE IV

DU PROJET DE LOI RELATIF AU SACRILÉGE,

PRONONCÉ A LA CHAMBRE DES PAIRS,

LE 18 FEVRIER 1825.

Messieurs, deux amendements considérables ont été discutés par la chambre l'un a été rejeté à la majorité de dix-neuf voix, et l'autre à la majorité, moins considérable encore, de neuf; de sorte que dix voix ou cinq voix seulement passant à l'opinion opposée, comme cela peut arriver dans le cours d'une discussion lumineuse, auroient changé le sort de ces deux amendements.

Il résulte de cette expérience qu'une moitié presque entière de la chambre auroit désiré le retranchement du titre 1er de la loi ce sentiment peut très-bien se soutenir.

Il faut d'abord poser un fait incontestable, c'est que le sacrilége simple n'existe pas. La loi devoit-elle le prévoir? Non, répond-on, pas plus que la loi athénienne ne prévoyoit le parricide.

Le premier coupable échapperoit sans doute, mais si le crime de sacrilége trouble l'ordre religieux, il ne met pas la société dans un péril soudain, dans un péril imminent. On auroit toujours le temps de prévenir par une loi le retour d'un pareil crime; et cette loi, alors motivée par la naissance du crime, cette loi née elle-même pour le poursuivre et le punir, ne saurait être trop sévère.

On vous a dit, messieurs, qu'il n'existoit dans aucune législation de fiction légale, et c'est une erreur; j'en citerai bientôt un exemple remarquable. Nulle part la loi n'a tout prévu, et la loi ne doit pas tout prévoir, car si le crime appelle la loi, la loi appelle le crime. Un monstre ne vient-il pas de dévorer presque sous vos yeux un enfant avec des circonstances épouvantables? Est-ce la faute du législateur?

Pouvoit-il lui tomber dans la pensée de faire une loi pour prévenir l'anthropophagie unie à la débauche?

Si le titre er avoit été supprimé, que de difficultés on eût évitées! On ne vous auroit pas dit, messieurs, que le sacrilége simple est un crime ignoré dans nos mœurs, comme un mot inconnu dans nos lois; que si on l'admet en principe, on n'a pas le droit de le définir, de le borner, de déclarer que telle chose est sacrilége, quand la loi religieuse, sur laquelle on s'appuie nécessairement dans cette matière, a fixé toute la catégorie des sacriléges.

Le projet de loi a-t-il pensé à punir l'enlèvement de la pierre sacrée, la profanation de la pale et du corporal, les outrages au crucifix, les blasphèmes proférés hautement, publiquement dans une église, en présence des saints autels, au milieu de la célébration des saints mystères? Qu'est-ce donc que ce prétendu projet de loi contre le sacrilége?

On ne vous auroit pas dit encore que vous faisiez une loi d'exception, puisqu'elle prive de fait des citoyens d'un de leurs plus beaux droits, celui de faire partie d'un jury.

On ne vous auroit pas dit que vous vous mettiez en contradiction avec votre code civil, votre code criminel, et la Charte, votre loi politique, qu'enfin vous sortiez des mœurs du siècle pour remonter à des temps que nous ne connoissons plus.

D'une autre part, on n'auroit pu vous taxer d'impiété, car la plus haute piété est de croire le sacrilége simple impossible; et comme vous remplissiez par la punition des vols sacriléges la lacune existant dans votre code, vous satisfaisiez à tous les besoins du moment, à tout ce que les hommes éclairés et les tribunaux vous demandoient.

Un ministre éloquent ne vous auroit pas dit que si la loi eût été faite pour la haute société, elle eût pu être fort différente; il se seroit épargné la peine de chercher ces raisons que le talent trouve, mais que la raison repousse.

Vous, messieurs, votre position eût été meilleure : vous eussiez simplement confirmé votre opinion de l'année dernière, et vous seriez restés conséquents à votre premier vote.

Quant à moi, j'aurais été aussi plus à mon aise. J'avois encore l'honneur de siéger dans le conseil du roi quand le projet de loi que l'on vous a présenté l'année dernière fut rédigé. Persuadé par les excellents motifs que mon ancien collègue le garde des sceaux donnoit alors pour justifier son projet de loi, je suis resté dans les principes qu'il a si bien su m'inculquer; ma conviction est son propre ouvrage, et s'il s'y mêle par hasard quelques erreurs, j'aime à recon

noître que ces erreurs viennent des raisons particulières que j'aurai pu mêler à sa raison.

Quoi qu'il en soit, le titre entier d'une loi ne peut se supprimer qu'article par article. Les articles ont été successivement adoptés, et les adversaires du projet ont été repoussés jusque dans leur dernier retranchement, c'est-à-dire jusque dans leur dernier amendement.

J'espère, messieurs, que la liaison de mes idées avec l'amendement du noble comte n'échappera pas à la chambre. Si j'ai démontré que le titre 1er de la loi est défectueux, de là suit la nécessité d'un amendement qui efface ou qui du moins pallie les défauts de la conception primitive. Je continue donc mes raisonnements, que j'aurai d'ailleurs bientôt terminés.

Les opinions de la chambre, comme je l'ai déjà rappelé, sont à peu près balancées; on peut le dire, puisqu'on n'a pas encore voté définitivement sur la loi. Les uns veulent la peine de mort pour le sacrilége simple; les autres ne la veulent pas. Le projet de loi est rédigé de telle sorte qu'il nous obligeroit, tous tant que nous sommes, en l'acceptant, à voter ce que nous ne désirons pas.

Ceux qui veulent la peine de mort pour le sacrilége simple ne l'obtiennent pas par le projet; ceux qui ne veulent pas la peine de mort la trouvent pourtant exprimée par le même projet.

Je dis que ceux qui désirent la peine de mort pour le sacrilége simple ne l'obtiennent pas, et je le prouve.

Le projet a ménagé merveilleusement le droit et le fait; il dit: Seront punis de la peine de mort, etc. Voilà le droit; mais il a eu soin d'ajouter: « Si le crime a été commis en haine ou mépris de la religion, » et la commission ajoute « publiquement ». Voilà le fait, le fait en contradiction manifeste avec le droit. Car pensez-vous, messieurs, que ces trois circonstances se rencontrent jamais? que jamais jury se déclare à charge contre l'accusé dans la question intentionnelle?

Qu'est-ce donc que ce titre 1er du projet de loi et l'article particulier que j'examine? C'est, dit-on, une profession de foi en faveur des dogmes fondamentaux de notre religion; c'est une déclaration qui fait entrer la religion dans la loi, et en vertu de laquelle la loi françoise cesse enfin d'être athée.

Que l'on rédige une profession de foi catholique, apostolique et romaine, et je suis prêt à la signer de mon sang; mais je ne sais pas ce que c'est qu'une profession de foi dans une loi, profession qui n'est exprimée que par la supposition d'un crime détestable et l'institution d'un supplice.

Veut-on que ce titre jer ne soit qu'un épouvantail placé dans le champ public? L'impiété s'en écartera sans doute, d'abord avec terreur; mais bientôt s'apercevant qu'il n'a aucun mouvement, qu'il est privé de tout principe de vie, qu'il ne peut jamais tenir ce qu'il promet, la mort, elle viendra l'insulter, et l'impunité étant de fait assurée au sacrilége, il sortira de votre loi même, au lieu d'être réprimé par elle.

Les trois conditions de la haine, du mépris et de la publicité, font que la loi ne pourra jamais joindre le crime: elles ressemblent à ces clauses de nullité que l'on insère dans les contrats de mariage en Pologne, afin de laisser aux parties contractantes la faculté de divorcer. Ces conditions sont une protestation véritable contre la loi, que vous écrivez en tête de cette même loi.

Cela est-il digne de vous, messieurs? digne de la gravité et de la sincérité du législateur?

La loi est utile ou elle ne l'est pas.

Si elle est utile, qu'elle soit franche et qu'elle ne détruise pas le droit par le fait;

Si elle est inutile, ayons le courage d'en convenir, et repoussons-la. N'ayons pas l'air de dire par les trois fameuses circonstances: la loi est dure, mais nous avons trouvé le moyen de la rendre inexécutable. Nous ne pouvons, messieurs, être à la fois d'opinion que l'on tue et d'opinion qu'on ne tue pas.

On a voulu, pour sauver ces contradictions, déclarer le coupable insensé; et en effet il faudroit qu'il le fût pour commettre le sacrilége simple avec les trois circonstances. Dans quelques États d'Amérique, le parricide est déclaré folie. Le criminel est condamné à la réclusion perpétuelle et à avoir la tête voilée le reste de sa vie. On tient que le visage d'un pareil monstre ne doit jamais reparoître aux regards des hommes, pas même à ceux de son geôlier. Ici, la fiction légale est sublime.

On vous a dit, messieurs, que le coupable conduit à l'échafaud recevoit les consolations d'un prêtre. Sans doute ces hommes de Dieu sont prêts à offrir leur ministère à toutes les infortunes. Je l'ai dit moi-même autrefois, partout où vous rencontrerez une douleur, vous êtes sûr de rencontrer un prêtre chrétien. J'ai osé parler du religieux dans les prisons, du capucin même consolant les criminels prêts à paroître devant le souverain Juge; j'ai montré dans ces circonstances pénibles le pauvre moine mouillant de ses sueurs le froc qu'il a à jamais rendu sacré, en dépit des sarcasmes d'une dédaigneuse philosophie. Mais, messieurs, n'est-il pas un peu imprudent de nous rappeler à

VIII.

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propos du projet de loi cette coutume céleste? N'arrêtez pas mes regards sur la dernière conséquence de la loi, ou vous me feriez frémir. La voici tout entière, cette dernière conséquence : l'homme sacrilége conduit à l'échafaud devroit y marcher seul et sans l'assis tance d'un prêtre, car que lui dira ce prêtre? Il lui dira sans doute : Jésus-Christ vous pardonne; et que lui répondra le criminel? Mais la loi me condamne au nom de Jésus-Christ.

Messieurs, en demandant la parole, je me suis mis d'avance audessus des intentions charitables que l'on pourroit me prêter. Je crois avoir acquis le droit de me dire aussi bon chrétien que les plus zélés partisans du projet de loi. Et moi aussi j'ai défendu la religion chrétienne à une époque où elle trouvoit peu de défenseurs. Si après vingt-quatre années l'apologie que j'en ai faite n'est pas encore tout à fait oubliée, je dois ce succès non au mérite de l'ouvrage, mais au caractère même de l'apologie.

J'ai essayé de peindre aux yeux des peuples les bienfaits du christianisme; je leur ai rappelé les immenses services d'un clergé qui a civilisé notre patrie, défriché nos champs, conservé les lettres et les arts, et qui a trouvé le temps au milieu de tous ces travaux de soulager toutes les misères humaines; je leur ai montré ces dignes évêques françois étonnant par leurs vertus, dans leur exil, les peuples d'une communion différente, ces apôtres proscrits priant pour leurs persécuteurs, ayant l'horreur du sang, et trouvant que le premier devoir étoit la charité.

Oui, messieurs, la religion que je me fais gloire d'avoir défendue, et pour laquelle je mourrois avec joie, est une religion qui convient à tous les lieux, simple avec les peuples barbares, éclairée avec les peuples civilisés, invariable dans sa morale et dans ses dogmes, mais toujours en paix avec les lois politiques des pays où elle se trouve, toujours appropriée au siècle et dirigeant les mœurs sans les heurter.

La religion que j'ai présentée à la vénération des hommes est une religion de paix, qui aime mieux pardonner que de punir; une religion qui doit ses victoires à ses miséricordes, et qui n'a besoin d'échafaud que pour le triomphe de ses martyrs.

Le projet de loi, messieurs, ne pouvoit être amendé que de deux manières, ou comme le vouloit M. le comte de la Bourdonnaye, ou comme le veut M. le comte Bastard. Si aucun changement n'est apporté à ce projet, il me sera impossible de voter une loi qui blesse mon humanité sans mettre à l'abri ma religion.

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