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Veuille le ciel que mon opinion soit erronée! Mais je pense que la loi actuelle combinée avec la loi d'indemnité peut ouvrir sous nos pas des abîmes. Certes, des ministres si sincèrement dévoués à leur auguste maître ont dû se faire une cruelle violence, ont dû étrangement souffrir de venir nous demander la conversion des rentes dan les circonstances où nous sommes. Au commencement d'un règne nouveau, à la première session de ce règne, étoit-ce bien le moment d'embrasser des mesures qui ébranlent le crédit, détruisent la confiance, alarment et divisent les citoyens?

L'huile sainte qui coula sur le front de Louis IX, de François Ier, d'Henri IV, de Louis XIV, va couler sur la tête de Charles X : quelle époque pour toucher à la dette publique que celle d'une cérémonie qui consacra, il y a treize cent vingt-neuf ans, la fondation de l'empire des rois très-chrétiens, cérémonie que l'usurpation même crut devoir adopter pour emprunter à la religion l'air du pouvoir légitime. La monarchie va, pour ainsi dire, renaître dans son berceau, à ce baptistère de Clovis où j'eus le bonheur de l'appeler le premier, quand un roi chevalier vint nous consoler de la perte d'un roi législateur. Lorsque Paris, qui jadis avoit vu notre prince orné de toutes les grâces de la jeunesse, le revit paré de toute la dignité du malheur, ce n'étoit encore qu'un simple François, qu'un François de plus parmi nous aujourd'hui c'est un monarque; car cette France remplie de gloire a toujours des couronnes à donner ou à rendre. Ah! qu'il eût été facile d'offrir au cœur compatissant et paternel de Charles X des moyens bien différents de ceux par lesquels on nous invite à signaler son avénement au trône! Que ne laissoit-on déborder la joie populaire? Faudra-t-il que quelques voix plaintives se mêlent à des bénédictions, qui pourtant sortiront encore du fond des cœurs les plus attristés?

Si à l'intérieur de la France le moment est mal choisi pour courir les terribles aventures du projet de loi, l'est-il mieux dans l'ordre de la société générale? On nous dit que rien ne menace notre tranquillité. Peut-être la politique du moment est-elle stagnante, et il seroit facile d'assigner les causes de cet engourdissement; mais il y a une grande politique qui sort de l'esprit, des mœurs et des événements du siècle; politique que doit comprendre un homme d'État, qui doit entrer dans tous ses calculs s'il veut se rendre maître des destinées de son pays.

Jetez les yeux sur l'Europe, vous n'y verrez plus que des royaumes, des institutions, des hommes mutilés dans cette lutte à main armée entre les principes anciens et les principes modernes des gouverne

ments. Les limites des États, le cercle des constitutions, la barrièredes mœurs, les bornes des idées, sont déplacés; rien n'est assis, rien n'est stable, rien n'est définitif; tous les peuples semblent attendre encore quelque chose. Il y a trêve entre les principes, mais la paix n'est pas faite; ce qui se passe en Grèce et dans un autre univers augmente les embarras du traité. Les vieux soldats, fatigués d'une mêlée sanglante, veulent le repos; mais les générations nouvelles arrivent au camp, et sont impatientes de partir. La tranquillité du monde tient. peut-être au plus petit événement.

Et lorsqu'en France tout recommence à peine, que chaque élément n'a pas encore repris sa place; lorsqu'au mouvement général qui entraîne la société nous joignons notre mouvement intérieur, lorsque entre les crimes du passé et les fautes du présent nous vacillons sur un terrain remué, labouré, déchiré par le soc révolutionnaire, sans avoir égard à cette position déjà si difficile, nous nous précipiterions tête baissée dans des projets qui sont à eux seuls des révolutions! La restauration a bâti sur les débris de notre antique monarchie le seul édifice qui puisse s'y maintenir, la Charte il dépend de nous d'y vivre à l'abri de tout malheur; mais ce n'est pas en admettant les mesures qu'on nous propose. L'expérience, messieurs, doit nous avoir appris que out va vite dans ce pays, que beaucoup de siècles peuvent se renfermer dans peu d'années. Deux avenirs plus ou moins éloignés existent pour la France: l'un ou l'autre peut sortir de l'urne où vous déposerez bientôt vos suffrages.

Le système de Law et les réductions de l'abbé Terray contribuèrent à la ruine de la monarchie; les assignats en tombant précipitèrent la république; les banqueroutes de Buonaparte préparèrent la chute de l'empire. Que tant d'exemples nous avertissent. Qui bouleverse les fortunes bouleverse les mœurs, qui attaque les mœurs ébranle la religion, qui ébranle la religion perd les États.

Il nous importe, messieurs, de sauver le gouvernement d'une grande méprise dans laquelle les dépositaires de l'autorité ne sont tombés sans doute que par le louable désir d'accroître la prospérité publique. Qu'ils ne dédaignent pas, dans l'illusion du pouvoir, des prévoyances salutaires, parce qu'elles leur sembleroient sortir d'une bouche suspecte; qu'ils rendent justice à ceux qui, en évitant de blesser et respectant toutes les convenances, expriment avec ménagement, mais avec sincérité, des choses qu'ils croient utiles au roi et à la patrie.

Nobles pairs, supplions les ministres de Sa Majesté de retirer un projet funeste. Toutefois, s'ils se trouvoient trop engagés, s'ils se croyoient obligés de renoncer à cet honneur, nous, nous n'aurions

plus qu'à suivre ce qui me semble la route du devoir. De même que nous n'avons point écouté les cris des partis contre le principe d'une loi de propriété et de justice, tout en reconnoissant les vices multipliés des détails, de même nous pouvons secourir l'autorité qui s'égare en croyant faire le bien : prêtons l'oreille à des plaintes trop motivées, mettons à l'abri le rentier en honorant le sort de l'indemnisé. L'adoption de la loi d'indemnité sera pour les garanties monarchiques, le rejet de la loi des rentes sera pour les garanties nationales: notre place est sur les marches du trône, entre le roi et ses peuples.

Je vote contre le projet de loi.

DISCOURS SUR L'INTERVENTION,

PRONONCÉ A LA CHAMBRE DES PAIRS1,

EN MAI 1823.

On m'a sommé, messieurs, de répondre à des questions qu'on a bien voulu m'adresser. On a accusé mon silence, je vais vous en exposer les raisons, et peut-être vous paroîtront-elles avoir quelque valeur.

Un noble comte auroit voulu, messieurs, qu'à l'exemple de l'Angleterre nous eussions déposé sur le bureau les pièces officielles relatives aux affaires d'Espagne. On n'avoit pas besoin d'en appeler à cet exemple. La publicité est de la nature même du gouvernement constitutionnel; mais on doit garder une juste mesure, et surtout il ne faut jamais confondre les temps, les lieux et les nations.

Si le gouvernement britannique n'est pas sous quelques rapports aussi circonspect que le nôtre doit l'être, il est évident que cela tient à la différence des positions politiques.

En Angleterre la prérogative royale ne craint pas de faire les concessions les plus larges, parce qu'elle est défendue par les institutions que le temps a consacrées. Avez-vous un clergé riche et propriétaire? Avez-vous une chambre des pairs qui possède la majeure partie des terres du royaume, et dont la chambre élective n'est qu'une sorte de branche ou d'écoulement? Le droit de primogéniture, les substitutions, les lois féodales normandes, perpétuent-elles dans vos familles des fortunes pour ainsi dire immortelles? En Angleterre l'esprit aristocratique a tout pénétré : tout est priviléges, associations, corporations. Les anciens usages, comme les antiques lois et les vieux monuments, sont conservés avec une espèce de culte. Le principe démocratique n'est rien; quelques assemblées tumultueuses qui se réunissent de temps en temps, en vertu de certains droits de comtés, voilà tout ce

1. Ce discours a été prononcé par l'auteur en qualité de ministre des affaires étrangères.

qui est accordé à la démocratie. Le peuple, comme dans l'ancienne kome, client de la haute aristocratie, est le soutien et non le rival de la noblesse. On conçoit, messieurs, que dans un pareil état de choses, la couronne en Angleterre n'a rien à craindre du principe démocratique; on conçoit aussi comment des pairs des trois royaumes, comment des hommes qui auroient tout à perdre à une révolution, professent publiquement des doctrines qui sembleroient devoir détruire leur existence sociale : c'est qu'au fond ils ne courent aucun danger. Les membres de l'opposition angloise prêchent en sûreté la démocratie dans l'aristocratie: rien n'est si agréable que de se donner les discours populaires en conservant des titres, des priviléges et quelques millions de revenu.

En sommes-nous là, messieurs, et présentons-nous à la couronne de pareilles garanties? Où est l'aristocratie dans un État où le partage égal anéantit la grande propriété, où l'esprit d'égalité n'avoit laissé subsister aucune distinction sociale, et souffre à peine aujourd'hui les supériorités naturelles?

Ne nous y trompons pas : il n'y a en France de monarchie que dans la couronne : c'est elle qui par son antiquité et la force de ses mœurs nous sert de barrière contre les flots de la démocratie. Quelle différence de position! En France c'est la couronne qui met à l'abri l'aristocratie, en Angleterre c'est l'aristocratie qui sert de rempart à la couronne : ce seul fait interdit toute comparaison entre les deux pays.

Si donc nous ne défendons pas la prérogative royale, si nous laissons les chambres empiéter sur cette prérogative, si le gouvernement croit devoir céder à toutes les interpellations qui lui sont faites, apporter tous les documents que l'opposition croira pouvoir lui demander, vos institutions naissantes seront promptement renversées, et la révolution rentrera dans ses ruines.

J'ai peur, messieurs, d'avoir fatigué votre patience par ces développements, un peu longs. Il m'étoit nécessaire d'établir solidement que ce n'est ni par ignorance de la constitution ni par abus de pouvoir que le gouvernement n'a pas imité l'Angleterre, mais pour conserver à la prérogative royale cette force qui supplée à celle qui manque encore à nos institutions. Cette vérité une fois posée, je ne fais aucune difficulté d'examiner les autres objections.

Un noble comte a cru devoir reproduire tout ce qu'on a dit contre le congrès de Vérone. Un noble duc, que vous venez d'entendre, est entré dans cette question avec la candeur, la noblesse, la sincérité qui le caractérisent. Je pourrois donc me dispenser de répondre; mais je

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